L’argent mobile ne prospérera pas sans les banques

Aucune technologie, aussi disruptive soit-elle, ne parviendra à renverser le secteur tout entier. Mais certaines banques plus fragiles ou moins agiles courent le risque d'être balayées si elles se laissent distancer.
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Une étude menée en 2020 montre que 96 % des banques africaines perçoivent la transformation numérique comme « l'un des facteurs les plus importants de la stratégie de croissance de leur banque.». Malgré cette prise de conscience de la nécessité de la numérisation, le processus s'avère lent pour les institutions bancaires traditionnelles du continent qui demandent toujours à leurs clients de remplir des documents papier pour quasiment tous les types d'activités bancaires.

Se trouvant au centre des transactions financières depuis des siècles, les banques se croient peut-être immunisées aux caprices du progrès technologique. Pourtant, le plus grand danger qui guette le secteur bancaire est la complaisance. La concurrence des entreprises de télécommunication et de technologie financière, couplée aux conséquences de la pandémie de coronavirus, fait que les banques africaines se retrouvent aujourd'hui à la croisée des chemins en matière de numérisation.

Disruption économique

À l'ère de la disruption numérique, les secteurs qui refusent ou ne parviennent pas à évoluer se placent à la merci de nouveaux acteurs davantage à l'écoute des attentes de leurs clients. Au cours des vingt dernières années, des secteurs bien établis comme la presse écrite, les agences de voyages, les librairies, les hôtels et les taxis ont tous été profondément affectés par la concurrence d'entreprises numériques comme Travelocity, Amazon, Airbnb ou Uber.

La plupart de ces secteurs auraient pu éviter le déclin qu'ils ont rencontré en intégrant les avancées numériques et en mettant le client au cœur de leur stratégie d'entreprise. Pour preuve, alors qu'une quantité astronomique de journaux dans le monde entier ont été contraints de mettre la clé sous la porte à la suite de l'effondrement de leurs ventes, les publications les plus avant-gardistes se sont rapidement converties à la publication en ligne - domaine dans lequel elles prospèrent encore aujourd'hui.

La disruption économique a prouvé à maintes reprises que lorsque les institutions traditionnelles ne saisissent pas les opportunités offertes par l'âge numérique, d'autres le feront à leur place. En Afrique, où 57 % de la population n'a toujours pas recours aux services bancaires traditionnels, les opportunités de croissance sont énormes, notamment dans le secteur des PME alors que de plus en plus d'Africains créent de petites entreprises.

L'immense popularité de l'argent mobile, c'est-à-dire des portemonnaies électroniques associés à un numéro de téléphone, en est la preuve. Avec plus de 300 millions de comptes d'argent mobile sur tout le continent, l'Afrique est la pionnière mondiale dans l'adoption de cette technologie. Au cours de la seule année 2020, près de 500 milliards de dollars ont été transférés en Afrique via l'argent mobile, plaçant ainsi une grande part des transactions financières entre les mains des entreprises de télécommunication.

En dépit de la simplicité d'utilisation de l'argent mobile, il ne s'agit pourtant pas d'une solution de long terme pour les individus hors du système bancaire. Au contraire des systèmes bancaires traditionnels, l'argent mobile n'a pas la confiance des régulateurs et ne possède aucun système en place pour lutter contre la fraude et le blanchiment d'argent. Des recherches montrent que les clients hors du système bancaire qui commencent à utiliser l'argent mobile recherchent par la suite des services bancaires plus complexes et une protection plus forte. Les banques devraient chercher à en tirer avantage, par exemple en proposant des services traditionnels comme un compte épargne aux clients utilisant l'argent mobile tout en leur offrant la même simplicité à laquelle ils se sont habitués.

Les dernières années ont également vu une forte croissance du nombre de néo banques fondées dans des pays comme l'Afrique du Sud, l'Uganda, le Nigeria et l'Égypte. Ces entreprises de technologie financière opérant uniquement de façon dématérialisée viennent concurrencer les banques traditionnelles. Sous l'action combinée de l'augmentation rapide du nombre de possesseurs de téléphone portable et de l'accès à internet, la simplicité d'ouverture d'un compte en banque numérique en fait une option très attractive, en particulier pour ceux qui vivent dans des régions rurales ou isolées. La numérisation à marche forcée de l'Afrique signifie que ce qui semblait impossible il y a dix ans risque de devenir une nécessité dans d'ici dix ans.

Le facteur coronavirus

La tendance générale à la numérisation a poussé les entreprises dans cette direction depuis des années, mais la pandémie de Covid-19 a provoqué une accélération sans précédent de ce processus. Dans le monde entier, des milliards de personnes se sont retrouvées enfermées chez elle pendant des semaines sans autres options que d'utiliser l'internet pour de nombreuses activités jusque-là réservées exclusivement au monde physique. Les premiers mois de la pandémie en particulier ont vu des utilisateurs peu habitués à accéder aux services en ligne et des institutions peu habituées à les fournir ainsi devoir s'adapter à ces nouvelles façons de procéder. D'après certaines mesures, c'est jusqu'à sept ans d'avancées numériques qui ont été condensées sur les six premiers mois de 2020.

La pandémie devrait offrir aux banques africaines l'opportunité idéale pour accélérer leurs efforts à cet égard, profitant du fait que la demande de services bancaires numériques n'a jamais été aussi forte. Au Nigeria, où les banques ont été plus rapides à se convertir au numérique que dans d'autres pays du continent, le volume des transactions numériques a fait un bond de 40 % au deuxième trimestre 2020. Le Kenya, où l'usage de l'argent mobile était déjà largement répandu avant la pandémie, a lui aussi rencontré moins de difficultés pour s'adapter aux services bancaires numériques lorsque le besoin s'est fait sentir.

La réticence de certaines banques à effectuer la transition vers le numérique peut être imputée aux régulations très strictes et obsolètes imposées par certains régulateurs africains. Cependant, la crise du coronavirus a fait changer les mentalités non seulement des entreprises et des consommateurs, mais également des régulateurs et des politiques.

La plupart des experts s'accordent pour dire que cet élan de numérisation se poursuivra dans le monde post-pandémique, et jouera un rôle important dans les efforts de relance qui suivront. Au lieu d'un pic, 2020 apparaîtra sans doute plutôt comme un tournant majeur, le moment où les services en ligne sont devenus véritablement et sans aucun doute possible la norme.

Les banques traditionnelles ne sont pas condamnées à disparaître, mais à s'adapter

Les conditions exceptionnelles créées par l'accroissement de l'accès à internet et la pandémie de coronavirus ont donné naissance à une nouvelle ère pour les services numériques. Comme tous les grands bouleversements historiques, elle présentera un test cruel et éprouvant pour les institutions en place qui devront s'adapter pour survivre.

Les banques africaines doivent déjà faire face à une compétition grandissante offrant des services simples à utiliser et à l'écoute de leurs clients comme les plateformes d'argent mobile et les néo-banques. Ces banques doivent analyser ce qui a rendu ces offres si populaires en premier lieu pour ainsi essayer d'adopter des solutions technologiques similaires.

Les banques traditionnelles ne sont pas condamnées à disparaître. Aucune technologie, aussi disruptive soit-elle, ne parviendra à renverser le secteur tout entier. Mais certaines banques plus fragiles ou moins agiles courent le risque d'être balayées si elles se laissent distancer. De même que pour la presse écrite, les institutions qui adopteront les avancées numériques rapidement et intelligemment auront les meilleures chances de survie. Pour le secteur bancaire africain, les prochaines années détermineront qui survivra.

(*) Regional VP Europe Afrique Moyen-Orient chez Backbase.

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