La communauté internationale doit aider l'Afrique à sortir de la double peine climatique

Le continent africain n'est responsable que de 4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Pourtant, l'Afrique est sans doute le continent le plus exposé aux bouleversements climatiques. En affirmant à l'ONU que le financement de l'adaptation de l'Afrique au réchauffement climatique devait être une priorité de la COP 26, le président de la RDC et actuel président de l'Union africaine (UA), Félix Tshisekedi, a rappelé à raison la communauté internationale à ses responsabilités.
(Crédits : DR.)

Il est d'ores et déjà acté qu'une grande partie du continent africain connaîtra un réchauffement supérieur à 2° par rapport à l'ère préindustrielle. Dans ses différents rapports, le GIEC souligne sans cesse la vulnérabilité du continent africain face à ce réchauffement: températures invivables, multiplication d'événements extrêmes (cyclones, glissements de terrain ou encore inondations), perte de terres arables, invasions de nuisibles- notamment les criquets pèlerins -la persistance de maladies comme le paludisme, sont autant de menaces sur la sécurité alimentaire, hydrique et sanitaire du continent. A cela il faut ajouter une capacité d'adaptation plus réduite des Etats et économies africaines aux conséquences du dérèglement climatique.

Deux récentes études illustrent l'ampleur de la menace. La première, publiée en 2020 dans la revue Global Change Biology, a conclu qu'une augmentation des températures de 4°C dans la période 2081 - 2100 pourrait entraîner une chute des rendements agricoles de 14 à 26 % en Afrique. Une catastrophe aggravée par la hausse de la pression démographique, la multiplication des catastrophes naturelles et les conséquences d'un moindre accès à l'eau. La seconde, récemment publiée dans la revue Science, affirme qu'un enfant né en Afrique subsaharienne en 2020 sera confronté à 50 fois plus de vagues de chaleur et à six fois plus d'évènements extrêmes que les générations vivant à l'époque préindustrielle.

Le continent africain est aussi une partie la solution

Les dirigeants occidentaux doivent réaliser que l'inadaptation de l'Afrique au dérèglement climatique aura des conséquences très réelles dans leurs pays. Un rapport de mars 2018de la Banque mondiale avance le chiffre de 86 millions de migrants climatiques potentiels venant d'Afrique subsaharienne d'ici 2050. Tout indique que cette population se dirige naturellement vers l'Europe, où les conditions climatiques, mais aussi économiques sont plus favorables. Le vieux continent sera alors confronté à un dilemme moral sans précédent, et ce d'autant que ces réfugiés climatiques fuiront des conditions invivables dont ils ne sont pas responsables.

Le continent africain s'affirme cependant aussi comme un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique. Citons à titre d'exemple, par son immense capacité forestière, le bassin du Congo, qui s'étend sur la République du Congo, la République centrafricaine, le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Gabon et surtout la République démocratique du Congo. Il s'agit du deuxième poumon à carbone du monde après l'Amazonie et la forêt équatoriale. Aussi, notre capacité collective à le préserver aura des conséquences importantes sur notre capacité à limiter le réchauffement climatique.

Les financements internationaux doivent aller en priorité vers les zones géographiques les plus exposées

La lutte contre le réchauffement climatique inclut en effet non seulement des projets d'adaptation destinés à adoucir les conséquences du dérèglement sur les populations, la réduction rapide et conséquente de nos émissions, mais encore des projets d'atténuation, permettant de capter le carbone déjà présent dans l'air. La seule compensation carbone des arbres ne sera toutefois à elle seule pas suffisante pour compenser les émissions humaines comme l'a récemment rappelé Juliette Nouel Elle ne pourra être d'un des leviers à actionner dans la lutte contre le changement climatique si nous voulons éviter les scénarios les plus critiques récemment détaillés par le GIEC. Aussi, le soutien aux politiques de reforestation est une nécessité impérieuse.

Devant l'Assemblée générale de l'ONU, Félix Tshisekedi a justement rappelé que la restructuration des dettes africaines demeurait un préalable fondamental pour que les Etats puissent libérer la marge de manœuvre budgétaire pour mettre en place des politiques de préservation de l'environnement, de réduction des émissions et d'aides aux populations les plus exposées au changement climatique. Cette dernière doit se conjuguer à d'autres mécanismes internationaux de financement internationaux et privés.

Certes, les fonds alloués par la Banque africaine de développement (BAD) au changement climatique sont passés de 9 % des investissements globaux en 2016 à 35 % en 2019 et un Business Plan pour le climat en Afrique a été dévoilé en 2020 par la Banque mondiale. Mais ces budgets demeurent insuffisants au regard des besoins du continent, estimés à 30 milliards de dollars par an d'ici 2030, puis 40 milliards jusqu'en 2040.L'allocation des ressources contre le réchauffement climatique doit être conditionnée aux besoins et aux capacités financières des Etats.

D'autres mécanismes doivent en effet être activés. À ce titre, les 33 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI) alloués à l'Afrique paraissent bien peu, alors que les conclusions du Sommet de Paris estimaient ces besoins à environ 100 milliards. Un soutien financier international au programme d'accélération de l'adaptation en Afrique de la Banque africaine de développement est également nécessaire pour accentuer les financements nécessaires qui, dans un continent sous-dimensionné en infrastructures, s'annoncent particulièrement lourds.

Encourager le développement des obligations vertes

L'un des points les plus périlleux du financement de la lutte contre le réchauffement est la capacité à augmenter les investissements climatiques sans pour autant aggraver l'endettement des pays du continent. Et ce d'autant plus dans des contextes budgétaires contraints par la pandémie de Covid-19.À ce titre, le développement d'outils financiers innovants, comme les obligations réellement vertes et transparentes, doit être une priorité. Citons par exemple le lancement, par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), de la première obligation à objectif de développement durable du continent, qui a permis de lever 750 millions d'euros au taux très attractif de 2,75 %. Ce mécanisme, encore embryonnaire sur le continent, a déjà mis en œuvre aux Seychelles, l'un des Etats pionniers dans le domaine. Ce dernier a émis en 2018 une « obligation bleue » destinée à protéger son écosystème marin.

En plus de ses conséquences humaines et sociales dévastatrices, la pandémie de Covid-19a contribué à ce que les enjeux climatiques soient relégués au second rang.Au moins autant que la santé, le climat constitue un bien commun mondial. Il est grand temps de se donner les moyens de nos ambitions, un « quoiqu'il en coûte » climatique et social dont l'ancien PDG de Danone, Emmanuel Faber chantait encore récemment les louages. Chacun doit donc participer à sa préservation - à la hauteur de ses moyens et de sa responsabilité dans l'émission de gaz à effet de serre. La COP 26 doit être l'occasion d'acter que nous ne sommes pas tous égaux face au changement climatique et que, dans une grande partie du globe, les pays les plus faiblement émetteurs seront aussi les plus touchés par le réchauffement climatique.

(*) Ancien expert en communication politique et en stratégie, Christophe Nourissier travaille aujourd'hui comme conseiller en leadership responsable et dans la promotion de politiques durables et circulaires.

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