Afrique de l'Ouest : qu'est-ce qui ralentit aujourd'hui le développement du marché de l’électricité ?

Si le marché de la sous-région ouest-africaine de l'électricité présente un intérêt certain pour les investisseurs, il reste toutefois confronté à des contraintes juridiques qui ralentissent son développement. Décryptage de Paul Elfassi et Anais Reilhac, respectivement avocat associé et avocate collaboratrice chez BCTG avocats.
(Crédits : Reuters)

« Notre ambition première est d'accroître la coopération régionale et l'accès à l'électricité à travers l'harmonisation des politiques et des programmes des États membres de la CEDEAO, l'interconnexion de l'Afrique de l'Ouest et le développement des énergies renouvelables dans la perspective d'un marché régional de l'électricité ».

C'est par ces termes que Sédiko Douka, commissaire chargé de l'Energie et des mines de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), a résumé la volonté des Etats membres de cette organisation, qui s'est matérialisée par le lancement du marché régional de l'électricité, le 29 juin 2018 à Cotonou au Bénin.

Le président de la CEDEAO, Jean-Claude Kassi Brou, a même qualifié le marché régional de l'électricité de la CEDEAO de « fondamental » et « critique » pour le développement de l'Afrique de l'Ouest.

Néanmoins, bien que le marché régional de l'électricité présente un intérêt certain, il se confronte à des contraintes juridiques qui ralentissent son développement.

L'intérêt certain d'un marché régional de l'électricité

Le marché régional de l'électricité est défini par la CEDEAO comme « l'ensemble des échanges transfrontaliers d'énergie électrique à caractère onéreux et des services associés, réalisés à travers le Réseau de transport dans l'espace de la CEDEAO » [1].

En pratique, des Etats membres se mettent d'accord pour augmenter la taille de leur marché de l'électricité, en passant du niveau national au niveau régional ou interrégional et en créant des interconnexions électriques [2].

Cela présente l'avantage, entres autres, de :

- rationaliser le déploiement des infrastructures et d'optimiser leur maintenance : de nombreuses zones à haut potentiel énergétique sont situées aux frontières (ex : le fleuve Sénégal pour l'énergie hydraulique). Au lieu de créer deux centrales hydrauliques sur le même fleuve, les Etats n'en construiront qu'une, avec plusieurs lignes de transport de l'électricité ;

- mutualiser les investissements nécessaires dans le secteur de l'électricité : les Etats financeront à plusieurs les installations nécessaires ;

- pallier la variabilité des énergies renouvelables intermittentes et de la consommation ;

- améliorer la résilience des systèmes électriques de la zone.

Concrètement, les pays producteurs d'énergie (dont le Nigéria, la Côte d'Ivoire et le Ghana) pourront bénéficier de l'amélioration des infrastructures grâce à des investissements partagés et de la possibilité de vendre leurs surplus ponctuels d'électricité. A l'inverse, les pays enclavés et pauvres en électricité (dont le Mali, le Niger et le Burkina Faso), pourront bénéficier de sources fiables, efficaces et abordables d'importations d'électricité.

Par ailleurs, le secteur de l'électricité nécessite d'être régi par un cadre légal clair, encadré par une régulation juste et transparente, ainsi qu'une planification cohérente et des conditions de tarifications de rachat de l'électricité attractives. Ce qui n'est pas encore le cas, mais qui pourrait être établi par un marché régional.

Par ricochet, le marché régional de l'électricité sera plus attractif pour les investisseurs, les producteurs d'électricité seront plus nombreux et seront donc mis en concurrence, ce qui conduira à des prix de l'électricité plus transparents et plus compétitifs pour les consommateurs.

Des contraintes juridiques ralentissant le développement du marché régional de l'électricité de la CEDEAO

Par Directive C/DIR.1/06/13 du 21 juin 2013, la CEDEAO a créé son marché régional de l'électricité (« Marché »). Il a toutefois fallu attendre le 29 juin 2018 pour que les Règles du Marché[3] entrent en vigueur et que la première phase soit lancée[4].

En effet, il ressort des Règles du Marché que le développement effectif du Marché « sera effectué en plusieurs phases afin de permettre l'adaptation des pays au nouvel environnement et effectuer progressivement les changements indispensables à entreprendre un niveau national pour donner plein effet aux Règles du Marché »[5].

Le 21 mai 2021, la CEDEAO annonçait « l'accélération de la finalisation des documents réglementaires nécessaires au lancement de la deuxième phase de ce marché », censé être plus concurrentiel.

Cette mission est confiée à l'ARREC (Autorité de régulation régionale du secteur de l'électricité de la CEDEAO), régulateur des échanges transfrontaliers d'électricité en Afrique de l'Ouest, créée par l'Acte additionnel A/SA.2/01/08 et dont la composition, l'organisation, les attributions et le fonctionnement sont régis par le Règlement C/REG.27/12/07. En effet, l'une des attributions de cette entité est de contribuer à la mise en place d'un environnement institutionnel et juridique approprié au développement du secteur de l'électricité ouest-africain.

Néanmoins, selon les règles du marché, la deuxième phase ne pourra démarrer qu'à condition que l'ARREC mette à disposition des Etats membres :

- des modèles de contrats bilatéraux,

- une méthodologie de tarification de transport,

- des procédures pour l'administration des contrats et l'enregistrement des participants au marché,

- des procédures de règlements des différends,

- des normes et procédures d'exploitation régionales à appliquer[6].

Les trois premiers documents sont aujourd'hui publiés sur le site de l'ARREC[7].

Toutefois, les deux autres conditions ne sont pas remplies. L'ARREC ne dispose que de ressources très limitées de sorte que la première phase, censée ne durer que deux ans (selon les objectifs affichés par les Etats membres lors de son lancement), n'arrivera pas à son terme prochainement.

Une solution pourrait être de s'inspirer de ce qui a été mis en place par d'autres organisations régionales (ex : Union européenne) ou de faire appel à des experts juridiques spécialisés dans le secteur de l'énergie.

(*) Avocat associé BCTG avocats

(**) Avocate collaboratrice BCTG avocats

[1] Directive C/DIR/1/06/13 sur l'organisation du marché régional de l'électricité du 21 juin 2013, article 1er

[2] Défini par la Directive C/DIR/1/06/13 précité comme « les lignes permettant la jonction de deux ou plusieurs réseaux de transport nationaux, reliant les systèmes électriques d'au moins deux Etats membres de la CEDEAO »

[3] Décision n°005/ERERA/15 portant approbation des Règles du Marché régional pour les systèmes d'échanges d'énergie électrique ouest africain

[4] Par Décision n°012/ERERA/18 portant date d'entrée en vigueur des Règles du Marché Régional de l'Electricité de la CEDEAO

[5] Articles 12 des Règles du Marché

[6] Article 13 des Règles du Marché

[7] Des modèles de contrats bilatéraux de fourniture d'énergie électrique dans le cadre du Marché, une méthodologie tarifaire pour les coûts et le tarif du réseau de transport, une procédure de demande d'admission au Marché et des procédures d'accès et d'utilisation des services de transport ont été publiées sur le site internet de l'ARREC

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