Android, Meng Wanzhou et le Canada  : se défaire de l'ingérence américaine

Une guerre sans merci. Certains utilisateurs des terminaux Huawei en Afrique s'en sont aperçus depuis plus d'un an : les applications Android ne fonctionnent sur leurs smartphones. Et cela perdure. Privé d'Android en raison des sanctions imposées par Washington il y a deux ans, le géant chinois est depuis engagé dans un bras de fer technologique aux allures (parfois) diplomatiques.
(Crédits : DR.)

Le dernier acte de cette bataille entre les Etats-Unis et la firme est le lancement de HarmonyOs, le système d'exploitation mobile de Huawei. L'alternative à Android qu'a trouvée l'entreprise interdite d'accès à toute technologie américaine depuis 2019.

Cette année-là, l'administration de Donald Trump inscrit Huawei sur liste noire, ouvrant la voie à une guerre commerciale entre Washington et Pékin. Conséquence : l'entreprise de télécom ne peut plus travailler comme elle l'entend avec des entreprises et développeurs américains. Plus concrètement, interdiction lui est faite d'utiliser la licence Android et d'installer les services de Google (et les autres applications locales très populaires) sur ses smartphones.

Une décision difficile à digérer pour le numéro 1 du marché mondial de la téléphonie mobile à cette époque. Il est contraint de céder sa filiale Honor et se retrouve en difficultés pour s'approvisionner en processeurs. Un an plus tard, le 13 août 2020, le gouvernement américain, via son département du Commerce, ne renouvelle pas la licence générale temporaire qui permettait à Huawei Technologies Co. Ltd d'accéder aux logiciels, applications et technologies d'origine américaine. Inquiétude chez les milliards d'utilisateurs de téléphones Huawei sur tous les continents.

Face à ce vent impétueux, le fabricant chinois joue la carte de la sérénité et sort son « arme fatale » : HarmonyOS, avec l'objectif d'en faire la troisième plateforme mobile de la planète avec Apple et Google.

Bien au-delà de l'arène technologique, ce qui se joue sous nos yeux est bien un combat de positionnement économique. Les Etats-Unis tiennent à conserver leur place de « première puissance mondiale » (avec un PIB qui a atteint une valeur de plus de 21 900 milliards de dollars en 2021)[1] . L'administration de Joe Biden nouvellement installée n'entend pas perdre ce titre dans l'opinion mondiale. D'autant plus que derrière elle, la Chine arrive en force : 16 493 Mds $ de PIB en 2021[2], selon le Fonds monétaire international (FMI).

A ce jeu-là, tous les coups sont permis, même s'il faut parfois mettre de côté la doctrine démocratique pour arpenter les sentiers des coups bas.

Dernier en date, l'affaire Meng Wanzhou. La Directrice financière de Huawei est détenue au Canada depuis 2018. Elle a été arrêtée à Vancouver à la demande des Etats-Unis, accusée de « fraude et du viol des sanctions américaines contre l'Iran ». Plus concrètement, la justice américaine l'accuse d'avoir menti à un cadre de la banque HSBC, lors d'une rencontre à Hong Kong en 2013, sur les liens entre le groupe chinois et une filiale qui vendait des équipements à l'Iran, exposant l'établissement à des sanctions américaines.

Les avocats de Huawei affirment que les États-Unis n'ont aucun motif pour extrader Meng Wanzhou. Ils s'appuient sur des échanges avec HSBC. Ceux-ci comprennent des mails et documents bancaires prouvant que HSBC était bien au courant des activités iraniennes de Skycom, une société écran appartenant à Huawei. « Ces documents montrent que le contrôle de Skycom par Huawei n'a pas été caché aux cadres de HSBC, que la nature durable de la relation commerciale entre Skycom et Huawei en Iran ne leur a pas été dissimulée et que les évaluations internes de HSBC sur les risques ont été réalisées en connaissance des faits réels », précise une déclaration de Huawei relayée par The Guardian.

La stratégie américaine est simple : montrer, à tout prix, les accointances entre l'entreprise chinoise et un pays « blacklisté », l'Iran.

Le Canada de son côté est bien embarrassé. Le pays, fidèle allié des Etats-Unis, est sous pression. Trahir son attachement à l'indépendance de la justice en livrant Meng Wanzhou ? Or, les conflits politiques ou commerciaux doivent se garder d'influencer la sphère judiciaire. C'est un principe de base de la démocratie.

D'ailleurs, les avocats de la défense avaient, au moment des faits, demandé que le dossier soit rejeté en évoquant une interférence de la part de l'ancien président américain Donald Trump, au cœur d'une guerre commerciale avec la Chine. Pour eux, les droits de leur cliente avaient été bafoués à la frontière, « car elle avait été questionnée sans la présence de son avocat » ajoutant que « les accusations violent le droit international, car les actions de la directrice financière de Huawei auraient eu lieu à Hong Kong, à l'extérieur du territoire américain ».

La grave crise diplomatique entre les deux grandes puissances peut entraîner le Canada, sauf si celui-ci veut affirmer sa souveraineté juridique. Les audiences finales sur l'extradition de Meng Wanzhou auront lieu le 3 août prochain. En donnant droit à la requête du voisin américain, le Canada montrerait qu'il a succombé à la pression de Washington, car pour l'heure les accusations ne reposent que sur des suspicions. Mais rien n'est encore perdu pour le Canada qui peut redorer son image déjà écornée par ce conflit américano-chinois. Parce qu'au final, ce qui doit rester et subsister dans les annales de l'histoire, c'est la sauvegarde de son intégrité judiciaire.

(*) Directeur de l'Institut Africain des Médias

[1]© Statista 2021

[2]Les prévisions de croissance que le Fonds Monétaire International (FMI) a publiées dans son Word Economic Outlook d'octobre 2020 permettent d'en avoir une idée pour l'année 2021. Après une année 2020 dans le négatif pour la plupart des économies vient le temps du rebond, d'après les prévisions du FMI. La Chine connaîtra même une croissance à deux chiffres en 2021, avec +11%, selon l'institution.

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