Diasporas africaines : un nouveau regard est nécessaire

Initiée par le think tank Molongwi**, la présente tribune collective est adressée aux diasporas africaines, à leurs pays d'origine ainsi qu'à leurs pays d'adoption. Elle invite chacune de ces parties prenantes à un changement de paradigme sur elles-mêmes ainsi que dans leurs relations réciproques si elles souhaitent bâtir avec succès la prospérité partagée qu'elles appellent toutes de leurs vœux. Les signataires sont des personnalités engagées au sein des diasporas africaines en France et/ou sur le continent africain dans les domaines de l'entrepreneuriat et de l'innovation, de l'apprentissage et de la formation ou encore de la citoyenneté active.
(Crédits : DR.)

Dispersées à travers le monde, les diasporas africaines constituent, à l'image du continent africain, une composante hétérogène, d'où l'usage du pluriel pour les désigner. Les motivations à l'origine de cette dispersion sont aussi multiples que les aspirations desdites diasporas vis-à-vis de leurs pays d'origine et d'adoption. Il en est de même de leurs apports auxdits pays. A ce propos, quelles que soient les générations, elles sont toutes fortement engagées dans la vie socio-économique, politique, culturelle ou encore scientifique de leurs pays d'adoption. En même temps, elles démontrent des liens forts avec leur continent d'origine.

Les diasporas africaines, des passerelles et des passeurs vers de nouveaux horizons de prospérité partagée

L'importante implication des diasporas africaines dans la prospérité des pays d'adoption ainsi que leurs manifestations d'attachement envers leurs pays d'origine inspirent désormais aussi bien aux États qu'aux organisations internationales divers projets et initiatives. L'objectif poursuivi dans ces cadres est notamment, d'associer les diasporas africaines aux politiques et programmes de coopération de tous ordres. Pour les pays d'adoption des diasporas africaines, c'est une manière de les associer aux enjeux de transformation liés aux changements mondiaux ; ce qui fait sens d'autant plus que, désormais, et plus que jamais, l'Afrique est le continent de l'acculturation aux changements d'une part et de l'espérance d'autre part. Si le rôle naturel de passerelle semble retrouver un regain d'intérêt, celui de passeur reste à construire vers de nouveaux horizons de prospérité partagée. La crise de la Covid-19, tout en ébranlant nos certitudes, vient amplifier l'exigence d'édifier dès maintenant un monde nouveau, juste et équitable, écologique et nécessairement coconstruit, car interconnecté tant par les fléaux qu'il subit que par les prospérités auxquelles aspirent les peuples.

Cette utopie à laquelle nous aspirons et convions les pays d'origine, les pays d'adoption, ainsi que les diasporas elles-mêmes, engage chacune de ces parties prenantes à un véritable changement de paradigme sur elles-mêmes ainsi que leurs relations réciproques.

Les diasporas africaines gagneraient à changer leur regard sur elles-mêmes

Les histoires de conquête nous enseignent que le regard porté sur soi constitue un puissant vecteur d'émancipation et de transformation de sa condition au monde ainsi que de la réponse du monde à soi. Mues par un esprit d'universalisme, les diasporas gagneraient à s'employer à un regard lucide et transparent sur elles-mêmes pour identifier et nommer leur nature d'une part et projeter les expériences qu'elles souhaitent vivre ainsi que leur contribution à l'humanité d'autre part. C'est en incarnant et en habitant pleinement leur(s) véritable(s) aspiration(s) d'une part et en s'appuyant sur la richesse de leurs cultures plurielles d'autre part qu'elles contribueront à diffuser naturellement la saveur du sel de leur potentiel. Jouer le rôle de passeurs entre plusieurs cultures, plusieurs générations et plusieurs territoires nécessite un état d'esprit d'ouverture au champ des possibles, d'agilité, de fluidité, de co-construction, mais aussi de réflexivité sans cesse opérationnelle. La période inédite que nous vivons, qui bouscule les équilibres et défie les certitudes quant à la solidité des macro et micro-systèmes établis, interpelle les diasporas à une introspection en vue d'éclairer leur identité et leurs contributions au regard de leurs pays d'adoption ainsi que de leurs pays d'origine dont elles portent consciemment ou pas, les empreintes.

Les pays africains gagneraient à changer leurs rapports aux diasporas et à cultiver envers elles une relation de confiance

En plusieurs endroits du continent, la grille de lecture en ce qui concerne les diasporas africaines doit être élargie de manière à faire de celles-ci de véritables alliées. Dans un monde où l'État se doit d'être davantage stratège, l'intelligence impose la nécessité d'associer les diasporas comme parties prenantes actives dans la construction et la réalisation d'une vision ambitieuse de progrès économique, politique et social au bénéfice des citoyens. La part vibrante des pays africains en leurs diasporas légitime les aspirations de celles-ci à agir pour la prospérité de leurs pays d'origine. Les contextes internes à ces pays, mais aussi internationaux les confinent bien souvent à réduire leurs capacités d'agir aux transferts de fonds. Les pouvoirs publics, les acteurs économiques et les sociétés civiles africaines gagneraient à se livrer à une véritable catharsis pour cerner (reconnaître) les raisons à l'origine des départs des diasporas et s'interroger sur les différents niveaux de responsabilité dans les malentendus/incompréhensions avec elles. Cela permettrait de créer les conditions d'une alliance et d'une dynamique nouvelles, créatrices de valeurs gagnant-gagnant avec leurs diasporas.

Dans cette nouvelle ère rêvée, les diasporas seraient les « ambassadeurs » dans les pays d'adoption auprès des peuples et des opinions, des institutions et des autorités, ainsi que dans les mondes académique, scientifique et économique.

Les pays d'adoption gagneraient à revoir par et pour eux-mêmes leurs histoires avec les diasporas africaines

C'est au bout de l'ancienne corde qu'on tisse la nouvelle. Mais c'est en sachant de quoi est faite l'ancienne qu'on minimise le risque d'en tisser une nouvelle qui n'en serait que la copie conforme avec des conséquences tout aussi désastreuses. La question de l'histoire et de la mémoire doit être l'objet d'un travail profond et empreint de dignité humaine. Il doit être initié par les pays d'adoption des diasporas qui gagneraient à interroger, identifier et mettre en lumière les apports des diasporas africaines ainsi que les apports de leurs pays d'origine à leurs prospérités (économique, culturelle, politique, scientifique...) ; amplifier au sein de leurs institutions, de leurs territoires, de leurs entreprises ainsi que de leurs sociétés civiles, le travail de construction de nouveaux rapports (égalitaires, justes, respectueuses, gagnant-gagnant...) avec les diasporas et ce faisant aussi avec leurs pays d'origine ; faire à leur tour des diasporas, des traducteurs et des ambassadeurs de leurs évolutions internes au sujet de la mémoire et de leur souhait de bâtir sur de nouvelles bases, de nouvelles relations avec l'Afrique. Cela contribuerait à l'élévation de leurs propres consciences et donc à un changement bénéfique pour eux de la perception qu'ils ont des diasporas africaines et au-delà de l'Afrique.

Liste des signataires :

- Souleika Absieh, présidente Iqili Consulting - membre du Conseil d'administration de Molongwi / France ;

- Fortuné B. Ahoulouma, avocat au Barreau de Paris - membre du Conseil d'administration de Molongwi / France ;

- Kodjo S. Baba, consultant en management stratégique de l'information - membre du Conseil d'administration de Molongwi / France ;

- Alioune B. Dia, ingénieur d'étude - membre du Conseil d'administration de Molongwi / France ;

- Yves Edem Kodjo Ezui, directeur général et fondateur de ForManagement Consulting / Côte d'Ivoire ;

- Landry Djimpe, président du Réseau des entrepreneurs de la diaspora africaine / France ;

- Hermann Christian Kouassi, co-fondateur - président Incubivoir / Côte d'Ivoire ;

- Karl Lawson, partner Néré Consultants / France ;

- Dieuveil Malonga, Food entrepreneur / Rwanda ;

- Tchéka K. Malou, cadre de banque - consultant en stratégie et communication - président de On est Ensemble / Togo ;

- Franck-Eric Mbianda, conseiller en gestion privée et co-fondateur Studely - membre du Conseil d'administration de Molongwi / France :

- Benjamin Ngongang, directeur associé cabinet FinAfrique / Cameroun ;

- Christian Njiensi, expert en arts d'Afrique et civilisations - spécialiste conseil en biens et services culturels - membre du Conseil d'administration de Molongwi / France ;

- Laetitia Owendet, responsable Supply Chain - présidente de Molongwi / France ;

- Ileana Sanstos, co-fondatrice de Je m'engage pour l'Afrique / France ;

- Eva SOW Ebion, co-fondatrice de The Innovation for Policy Foundation / Sénégal ;

- Abdoulaye Sy, CEO Obconnect / France.

(*) Molongwi est un think tank fondé par les diasporas africaines en France. Il intervient en Afrique et en Europe sur les sujets liés à l'entrepreneuriat, à l'innovation, à la citoyenneté active ainsi qu'à la formation et à l'apprentissage. Il a pour mission principale d'être une interface entre les écosystèmes humains, territoriaux et technologiques africains et mondiaux - en particulier français et européens - en vue de co-créer des solutions alternatives au service de la croissance et du développement humain durable.

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