Guinée : l’élection de tous les dangers

Tous les moyens sont désormais bons pour sélectionner et manipuler l'électorat guinéen à l'approche du scrutin...
(Crédits : Reuters)

Alors que les yeux des observateurs sont rivés sur les élections américaines, plus rares sont ceux qui prêtent attention aux processus électoraux se déroulant dans la sous-région ouest-africaine. L'actualité y est pourtant dense, cinq élections présidentielles se tenant en Afrique de l'Ouest d'ici la fin de l'année : la Côte d'Ivoire et la Guinée en octobre, le Burkina Faso en novembre et le Ghana et le Niger en décembre. Les inquiétudes concernent surtout la Côte d'Ivoire et la Guinée, les deux présidents sortants de ces pays, Alassane Ouattara et Alpha Condé, ayant décidé de se présenter à un troisième mandat consécutif au prix de petits arrangements avec la Constitution. Alpha Condé, en particulier, semble prêt à tout pour conserver le pouvoir, n'hésitant pas à réprimer férocement les manifestations de l'opposition et à multiplier les fake news, tout en jouant la carte de l'ethnicisation.

Printemps guinéen

Depuis un an, la Guinée est entrée dans une dangereuse spirale de tensions politiques qui s'est amplifiée à l'approche de l'élection présidentielle du 18 octobre prochain. Les espoirs de réconciliation nationale contenus dans l'élection de 2010 se sont délités à mesure qu'Alpha Condé échouait à mettre en œuvre ses promesses de développement économique. Dès l'automne 2019, un vent de révolte s'est cristallisé autour du Front national pour la Défense de la Constitution (FNDC), un collectif composé de onze partis politiques et de membres de la société civile, qui entend défendre la Constitution de 2010 contre le projet de révision initié par Alpha Condé.

Considéré comme une mascarade électorale du fait des nombreuses irrégularités du fichier électoral par l'opposition, le référendum constitutionnel du 22 mars dernier, maintes fois repoussé, a abouti à une écrasante victoire du "Oui" à un changement de Constitution. Le nouveau texte modifie la durée du mandat présidentiel (il le fait passer de cinq à six ans) et permet de mettre "les compteurs à zéro", ce qui signifie en clair qu'Alpha Condé peut se présenter encore deux fois à l'élection présidentielle, et ainsi briguer un troisième voire un quatrième mandat. Depuis, le climat politique est devenu explosif.

Fermeture des frontières et ethnicisation exacerbée du débat politique

Certes, la question ethnique est importante, parfois déterminante, dans le processus électoral africain. Mais Alpha Condé, issu de l'ethnie malinké, la deuxième du pays, tend, ces dernières semaines, à exacerber la question identitaire dans un pays à forts clivages, en donnant à ses discours des accents guerriers. «Cette élection n'est pas seulement une élection, c'est comme si nous étions en guerre», a-t-il récemment déclaré.

« Si vous votez pour un candidat malinké qui n'est pas du RPG (Rassemblement du peuple de Guinée, le parti au pouvoir), c'est comme si vous votiez pour Cellou Dalein Diallo », avertissait par ailleurs le chef d'Etat. Cellou Dalein Diallo est en Guinée la  principale figure de l'opposition, le président de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et un membre de la communauté peule, cette dernière étant traditionnellement le « souffre-douleur » des gouvernements. Alpha Condé n'a pas non plus hésité à fermer les frontières de son pays sans donner d'explications en déclarant que les Guinéens du Sénégal et d'Angola ne pouvaient pas participer au vote du 18 octobre. Or, ces derniers sont à 90% Peuls et Cellou Dalein Diallo est crédité au Sénégal « de nombreux soutiens qui pourraient inquiéter le régime d'Alpha Condé », comme le rapporte le journal sénégalais Vox Populi.

Bref, tous les moyens sont bons pour sélectionner et manipuler l'électorat guinéen à l'approche du scrutin : ethnicisation du débat pour faire oublier un mauvais bilan économique, fermeture des frontières et interdiction faite à une partie des Peuls de voter pour son concurrent et, bien sûr, contrôle exacerbé de l'information, quitte à la tronquer, voire à la truquer.

Manipulation des chiffres et des images

La manipulation de l'information, rendue possible par une mainmise du clan au pouvoir sur les médias audiovisuels, les seuls, bien souvent, que comprend une population comptant 62,7 % d'analphabètes (PNUD, 2018), est devenue un enjeu crucial pour le parti au pouvoir. Quel meilleur moyen de lutter contre le boycott décrété par l'opposition lors des législatives de mars que de montrer des photos de son leader, Cellou Dalein Diello, allant voter avant de prendre l'avion pour Dakar ? Ou de faire défiler en armes, devant les caméras de la télévision nationale, des manifestants (en fait des prisonniers dans un camp militaire), qui sont ensuite qualifiés de « mercenaires » par des journalistes à la solde du clan Condé ?

Récemment, un rapport de l'ONG Human Right Watch révélait que les forces de sécurité, accusées de violence arbitraire, avaient délibérément sous-estimé le nombre de morts et l'ampleur des dégâts matériels suite aux massacres de Nzérékoré commis au printemps à l'occasion du référendum constitutionnel...

Devant cette débauche de manipulations propres à réduire la prochaine présidentielle à l'état de simulacre de processus démocratique, il est à noter toutefois l'initiative d'un jeune bloggeur, Sally Bilaly Sow, de l'association « villageois 2.0 » de Labé, de créer une plate-forme contre les fake news. Il est appuyé financièrement par l'Agence française de développement, soulignant ainsi l'intérêt que la communauté internationale porte à ce que la succession d'Alpha Condé soit démocratique.

S'il appartient aux candidats de l'opposition de capitaliser sur la colère de la population, ils peuvent aussi compter sur la maturité démocratique du peuple guinéen qui n'a plus confiance dans le processus électoral et aspire à donner un nouveau souffle à la démocratie par le jeu de l'alternance.

(*) Gérald Arboit est Docteur HDR en Histoire contemporaine et chercheur-associé à UMR CNRS SIRICE (Sorbonne-Identités, relations internationales et civilisations de l'Europe), Paris 1 et Paris 4.

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