L’éducation en Afrique : après le Covid 19, il faudra se focaliser sur les apprentissages fondamentaux

La crise actuelle, en mettant au pied du mur les systèmes éducatifs partout dans le monde, crée une opportunité de repenser les choses, et en particulier dans les pays en voie de développement.
(Crédits : C.D.)

La crise du Covid-19 aggrave une situation déjà critique pour les systèmes éducatifs africains. Bien que 80% des enfants soient inscrits à l'école primaire, une minorité d'enfants savent lire selon les critères des standards internationaux à la fin du primaire. Les résultats de l'évaluation PASEC sur 10 pays francophones, dont le Sénégal et la Côte d'Ivoire, montrent que 60% des élèves n'atteignaient pas ces standards de fluidité et de compréhension. Les raisons de cet échec sont partiellement dues à l'accent mis sur la mémorisation, à un programme chargé par rapport aux nombres d'heures de cours effectifs (typiquement 4 heures par jour au primaire) et à un système de faible capacité ayant vécu une massification de l'enseignement relativement récente.

Les fermetures d'écoles, qui ont concerné la grande majorité des pays d'Afrique depuis fin mars vont aggraver la faiblesse du niveau scolaire et particulièrement du niveau de lecture des enfants . Les estimations actuelles varient, mais les études existantes (ici et ) suggèrent qu'une fermeture d'école de 3 mois pourrait se traduire pour certaines classes par l'équivalent d'un an de retard d'apprentissage. Ceci est particulièrement vrai pour les enfants dont les parents ne sont pas allés eux-mêmes à l'école ou qui sont issus de milieux socio-économiques modestes et ruraux. Ceux-ci constituent une portion conséquente des élèves dans les pays d'Afrique et n'ont généralement pas accès à la technologie pour l'apprentissage à distance. Par exemple, en Ethiopie, 4/5 élèves n'ont jamais utilisé internet selon l'enquête « Young Lives ». La télévision, la radio et les téléphones portables sans internet offrent pour certains des moyens d'accès à l'information, mais ces solutions, même quand elles sont à disposition, ne pourront pas combler la totalité de l'écart social et donc d'apprentissage à la maison qui se creuse.

La crise actuelle met en exergue les problèmes latents du système, mais offre aussi une opportunité de les résoudre

Les réformes éducatives, comme toute réforme touchant à l'emploi public, comportent des risques politiques. Elles amènent à se poser des questions délicates autour de l'efficacité des pratiques enseignantes, des ambitions trop élevées des programmes scolaires qui sont censés être exécutés dans un temps trop court pour permettre une vraie maîtrise des apprentissages, et plus généralement de l'efficacité du service public sur un sujet qui concerne directement toutes les familles. En ce qui concerne les apprentissages fondamentaux, il n'est également jamais agréable de reconnaitre les carences de fond du système, et plus porteur politiquement de se focaliser sur les compétences techniques ou sociales et émotionnelles dans le secondaire, liées à l'emploi de futurs électeurs atteignant bientôt l'âge de voter. Les compétences au secondaire sont, bien entendu, importantes, mais leur développement et leur utilité sont compromis si on ne traite pas les problèmes de base en lecture et en calcul de la majorité des élèves.

L'expert en sciences politiques américain Joseph Overton évaluait la viabilité politique d'une idée, non par les préférences individuelles des politiciens, mais en évaluant si cette idée se situait dans une 'fenêtre de discours' acceptable dans une société. Jusqu'à maintenant, dans une majorité de pays d'Afrique, les réformes éducatives sur les apprentissages fondamentaux se situaient bel et bien en dehors de cette '"fenêtre d'Overton".

La crise actuelle, en mettant au pied du mur les systèmes éducatifs partout dans le monde, crée une opportunité de repenser les choses, et en particulier dans les pays en voie de développement.

Le contexte actuel : des inégalités croissantes et une marge de manœuvre budgétaire restreinte

La crise du Covid-19 est tout d'abord une crise de santé publique et la sécurité sanitaire doit être une priorité dans les écoles comme partout ailleurs.

Elle pose également et de manière pressante deux défis aux systèmes éducatifs. Tout d'abord, l'impact économique de la crise sur les ménages, en particulier les plus pauvres, car les familles tombées en dessous du seuil de pauvreté risquent de ne pas renvoyer leurs enfants à l'école. Le ralentissement de la croissance mondiale va avoir des conséquences négatives durables sur le budget des Etats des pays en voie de développement et ce alors que l'aide internationale des pays développés risque de diminuer. Certaines organisations internationales sont montées au créneau : le Partenariat mondial de l'éducation (PME), par exemple, a engagé 250 millions de dollars pour partiellement remédier au problème à court et moyen terme. Néanmoins, les sommes engagées par le PME et les autres acteurs, comme la Banque Mondiale, sont loin d'être à la hauteur du problème, car bien trop faibles si on s'appuie sur les estimations du FMI qui prédisent un recul de 3 % du PIB mondial.

Deuxièmement, dans ce contexte de crise, les systèmes devront préparer un retour à l'école assurant la cohérence et la continuité pédagogique tout en prenant en compte les pertes d'apprentissage et risques accrus d'abandon. Cela, dans un contexte de crise sanitaire, économique dont les conséquences se feront sentir tant sur les enseignants que les élèves.

On ne peut pas demander à un système affaibli ce qu'il n'arrivait déjà pas à faire quand il était en bonne santé

Les priorités doivent être simples. Les gouvernements, en partenariat avec les partenaires techniques et financiers doivent saisir cette opportunité pour simplifier et recentrer le programme sur les apprentissages de base : mettre en place des mécanismes de rattrapage pour que l'enseignement se fasse « au bon niveau » pour aider les élèves en difficulté ; faire un état des lieux et créer des systèmes de suivi des apprentissages qui permettent d'identifier le niveau réel des élèves et de les accompagner ; améliorer la formation professionnelle des enseignants en leur permettant de mettre en application les méthodes pédagogiques éprouvées pour faciliter les apprentissages fondamentaux...

Une telle série de mesures pourrait être accompagnée d'outils de soutien pour les enseignants afin de les accompagner au mieux dans la mise en œuvre des nouvelles priorités.

La force d'une telle réponse est qu'elle ne nécessiterait pas d'augmentation des ressources, mais une volonté politique et une focalisation des énergies sur les apprentissages fondamentaux, essentiels à tout progrès éducatif.

L'amélioration fulgurante des résultats dans la région de Ceara au Brésil et au Kenya à la suite de programmes ciblés et d'une volonté politique claire montre que le progrès est possible dans des systèmes en développement.

La situation de crise actuelle va mettre au grand jour les failles des systèmes existants et a le potentiel de faire glisser la possibilité de réforme éducative dans la "fenêtre d'Overton". Les ministres de l'éducation africains et leurs partenaires techniques et financiers ne devraient pas laisser filer cette opportunité.

(*) Diplômée d'HEC Paris et d'un Master in Public Administration de la Kennedy School à l'université d'Harvard, Clio Dintilhac a travaillé en développement international et en éducation pour le cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting Group et pour la Fondation Tony Blair pour l'Afrique.

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