Eric Adechian : Pour un report des élections législatives béninoises, « au nom de la démocratie »

Alors que seuls deux partis, pro-régime, sont autorisés à participer au scrutin du 28 avril prochain, l'Union africaine a dénoncé la « rupture du consensus sur lequel repose la démocratie béninoise ».
(Crédits : DR)

A l'échelle africaine, le Bénin s'apprête à faire un bond de plusieurs décennies en arrière. Tandis que le continent se convertit peu à peu à la démocratie, avec plus ou moins de réussite selon les pays, les législatives béninoises, prévues le 28 avril prochain, auront lieu... sans opposition. Conformément aux conclusions de la Commission électorale nationale autonome (Céna), seuls deux partis ont été autorisés à concourir : « l'Union Progressiste » et le « Bloc Républicain ». Soient deux blocs issus des soutiens du président Patrice Talon. En termes de libéralisme politique, on a connu mieux.

« Déni de démocratie »

Les réactions hostiles, évidemment, ont afflué ces derniers mois. Certains, au sein de la société civile, ont dénoncé des « législatives monocolores », tandis que des représentants de partis évincés s'en sont pris au pouvoir en place, accusé de vouloir assurer sa pérennité. Géraldo Gomez, un lieutenant de Sébastien Ajavon, candidat « indésirable », a ainsi fait part de sa « surprise » et de son « inquiétude ». Un proche de l'ancien chef de l'Etat Boni Yayi, à la tête des Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE), a même ironisé : « Ce n'est plus une démocratie, c'est de l'entre-soi ».

Un entre-soi intelligemment orchestré par le régime Talon, aurait-il pu ajouter. En plus d'un quitus fiscal difficile à obtenir - qualifié de « mascarade » par Candide Azannai, ex-ministre de Patrice Talon -, les partis devaient ainsi présenter un « certificat de conformité » non moins décrié.  En effet, via une décision contestable, la Cour constitutionnelle, présidée par l'ancien avocat personnel du président Talon, a institué l'obligation d'un certificat de conformité délivrée par le ministère de l'intérieur sur décision (El 19-001 du 1er février 2019). Cette exigence n'étant pas prévue dans le code électoral, ce verrou a parachevé la complexité de l'accès des partis d'opposition au scrutin législatif, à quelques jours de la date limite du dépôt des candidatures à la CENA. Des « malfaçons normatives », selon l'opposition, qui s'est réunie en février dernier pour critiquer d'une seule et même voix la mainmise du régime sur les élections.

Du côté de Cotonou, on avance volontiers qu'« il n'y a pas de parti pris, il n'y a pas de traitement de faveur pour un camp contre un autre ». Le contraire eut été surprenant. Pourquoi le régime a-t-il, dès lors, refusé de réunir toute la classe politique pour la recherche de conditions consensuelles pour la tenue du scrutin, comme l'y invitait l'opposition ? Un mystère, un de plus, qui renforce le déni de démocratie que connait actuellement le Bénin, rappelé récemment par le député béninois Guy Mitokpè. « Ce qui se passe sort de l'entendement [et] ne se fait nulle part ailleurs », a-t-il ajouté sur une radio béninoise, invitant le peuple à prendre ses responsabilités afin de restaurer l'image de la vie publique béninoise. L'avocat Robert Dossou, ancien président de la Cour Constitutionnelle, a davantage enfoncé le clou en arguant que « nous ne sommes plus en démocratie au Bénin » dans une interview accordée à une web télé béninoise.

« Avancer de manière consensuelle »

Modèle démocratique pendant plus de 20 ans, loué en Afrique et au-delà, le Bénin est en train de glisser, avec ces législatives, vers des tréfonds que nous pensions à jamais derrière nous. La création de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), l'an dernier, n'était en somme qu'un avertissement. Celui d'un régime prêt à tout, jusqu'au viol de l'ordre judiciaire et à l'immixtion dans la justice du pays, pour dénaturer l'Etat de droit.

Chercher à museler l'opposition, par l'institution de cet organe de justice aux pouvoirs exorbitants, demeurait visiblement insuffisant. Le pouvoir a donc tout simplement exclu les partis des législatives. Qui n'ont, dès lors, plus aucune raison d'être. Car l'Union africaine l'a parfaitement rappelé il y a quelques jours : « Ces élections interviennent dans un contexte marqué par une rupture de consensus sur lequel repose la démocratie béninoise ». Quant aux Nations unies, elles ont exhorté les autorités béninoises à « avancer de manière consensuelle [et] préserver [les] acquis démocratiques ».

Dans une lettre ouverte à Patrice Talon, rédigée « au nom de la démocratie », deux anciens présidents de la République béninois et quelques leaders d'opinion de la société civile, notamment, ont appelé le chef de l'Etat à « reporter les législatives du 28 avril 2019 et convoquer au plus vite des élections qui incluront toutes les forces politiques ». Si tel n'était pas le cas, avertissent-ils, « 100 % des députés élus [seraient] acquis au président ». Qui aurait dès lors réussi à imposer un régime autoritaire dans un pays pourtant reconnu de longue date pour sa tradition démocratique, et jusqu'à présent cité en exemple.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 27/04/2019 à 1:22
Signaler
Maruis ben comment il y aura de consensus si la majorité ne veulent pas. Le problème tout le monde le sait,c'est talon même, on n'est pas les enfants. Dis nous combien ils t'ont donné.

à écrit le 25/04/2019 à 19:34
Signaler
C'est dommage qu'un journaliste écrive des choses pareilles et prendre partie de ma nière fragrante. Le président n'apprécie pas la situation et a demandé au Parlement de rechercher une solution consensuelle et inclusive. Pendant deux semaines toutes...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.