Union africaine : une zone de libre-échange pour quels échanges ? [Tribune]

L'accord sur la zone de libre-échange continentale africaine est désormais une réalité. C'est un premier pas qui mérite d'être salué (même s'il ne faut pas oublier que le libre-échange ne fait pas nécessairement l'unanimité en Afrique), car même si cet accord ne répondra pas à lui seul aux vraies questions des économies africaines que sont l'industrialisation, la diversification économique et le taux des échanges commerciaux intra-africains, il contribuera, il faut l'espérer, à cristalliser les débats autour de ces sujets et à inciter les leaders politiques à prendre de réelles initiatives dans ce sens.
(Crédits : LTA)

Il faut d'abord saluer la signature de l'accord sur la zone de libre-échange continentale (ZLEC) le 21 mars 2018 à Kigali, sous l'égide de l'Union africaine, qui vise principalement à réduire les barrières douanières et promouvoir les échanges intra-africains. A l'heure du Brexit, de la taxation des importations d'acier et d'aluminium par les Etats-Unis, et où la guerre commerciale menace le monde, les pays africains semblent plutôt vouloir se tendre la main. Ce premier pas contribue à faire comprendre aux Africains que d'un point de vue économique, leur salut réside en grande partie dans l'intensification des relations commerciales intra-africaines.

En effet, la signature de cet accord n'est que la première étape de la mise en œuvre d'un programme qui vise à faciliter les flux de marchandises et de personnes sur le continent et dont on estime qu'il pourrait permettre d'ici à 2022, d'augmenter de près de 60 % les échanges commerciaux intra-africains. Cet accord, s'il est adopté par les Etats membres de l'Union africaine, ouvrirait l'accès à un marché de plus d'un milliard de personnes, pour un PIB cumulé de plus de 2 500 milliards de dollars. Il faut encourager cette dynamique. Il faut aussi poser les vraies questions.

Le Nigeria, un absent omniprésent

Sur les 55 Etats membres que compte l'Union africaine, 44 ont pour l'instant accepté de signer cet accord, ce qui, contrairement à ce qu'on pourrait penser, est plutôt une réussite. De ce point de vue, la principale interrogation concerne plutôt le Nigeria (première économie africaine notamment si l'on tient compte du secteur informel), qui s'est engagé depuis quelques années dans une politique économique protectionniste, notamment afin de promouvoir le made in Nigeria. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, sous la pression de ses industriels, le président Buhari a renoncé à signer cet accord pour l'instant, estimant que les consultations avec les acteurs économiques nationaux n'étaient pas encore arrivées à maturité.

Nous semblons subitement découvrir que le libre-échange ne fait pas nécessairement l'unanimité, même si, pour simplifier, on pourrait reprocher à ses opposants une vision qui met davantage l'accent sur des intérêts individuels à court terme plutôt que sur les effets bénéfiques communs à long terme. Il faut cependant noter que l'Algérie, qui mène également une politique économique protectionniste, a pourtant signé cet accord.

Quels échanges pour des économies peu diversifiées ?

Au-delà des difficultés qu'il reste à résoudre pour faire fonctionner cette ZLEC, le véritable problème qui se pose est celui de la diversification des économies africaines, voire des disparités que l'on peut observer de ce point de vue entre les pays de l'Union africaine. En fait, les zones de libre-échange ont souvent été créées à travers le monde entre des pays qui entretenaient déjà des relations commerciales importantes et, parfois, dont les économies étaient complémentaires. Avec cet accord, c'est tout l'inverse. On espère plutôt qu'une telle zone servira de levier pour la diversification des économies et l'intensification du commerce intra-africain. On pourrait même se demander (non sans provocation) ce que nous allons bien pouvoir échanger dans cette zone de libre-échange.

En réalité, les échanges intra-africains aujourd'hui ne représentent que 16 % du commerce en Afrique, et les économies sont, dans de nombreux cas, très peu diversifiées et orientées vers l'exportation (hors Afrique) de quelques matières premières. S'il faut citer un exemple, au Congo-B, les hydrocarbures représentent environ 60 % du PIB, 70 % des recettes budgétaires et 90 % des recettes d'exportation. Il faut espérer que la levée des barrières douanières pourrait avoir pour effet de stimuler des secteurs d'activités non encore exploités par certains pays africains, plutôt orientés vers des économies de rente avec quelques partenaires économiques de poids comme la Chine, l'Inde et un certain nombre de pays européens.

En tout état de cause, cet accord est désormais adopté, et les Etats africains doivent se donner les moyens de sa réussite, certainement à très long terme, en raison des nombreux prérequis qu'il impose. Tout d'abord, pour entrer en vigueur, cet accord doit être ratifié par au moins 22 Etats signataires, ce qui prendra un certain temps. Ensuite, il faudrait poursuivre les discussions avec le Nigeria et offrir à son économie les garanties suffisantes en vue de son adhésion à cet accord.

Enfin, il ne faut pas oublier que la libre circulation des biens et des personnes à l'échelle continentale nécessitera une véritable révolution en matière d'infrastructures, ainsi que de nombreux ajustements juridiques, institutionnels, économiques et politiques au sein de l'Union africaine et des Etats signataires pour rendre cet accord réellement opérationnel.

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* Alex Bebe Epale, avocat aux barreaux de Paris et du Cameroun, et Almamy Touré avocat au barreau de Paris.

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