La Tunisie au bord du précipice  ? [Tribune]

« Il est vrai que le système fiscal tunisien, qui cible naturellement les contribuables et les sociétés travaillant dans la légalité, ne combat guère les entreprises malhonnêtes, ce qui encourage la contrebande et l'évasion fiscale ». Tribune de Korbi Fakhri* et Brahim Mariem* autour des enjeux macroéconomiques auxquels fait face la Tunisie.
(Crédits : DR)

Cela devient une habitude : le mois de janvier en Tunisie est celui de tous les dangers. Chaque début d'année, depuis la révolution de Jasmin de 2011, tous les mécontents contre la dégradation du niveau de vie et les différents plans d'austérité descendent dans la rue. Cette année, c'est la nouvelle loi de finances qui a poussé la jeunesse à se mobiliser. Aussi bien dans les grandes villes qu'à l'intérieur du pays, les manifestants dénoncent l'augmentation des prix et du chômage, ainsi que le maintien des inégalités sociales qui, à leurs yeux, ne sont que la conséquence de la nouvelle loi. Les propos du ministre du Commerce Omar Béhi (« le prix des produits subventionnés demeure inchangé pour épargner les plus démunis ») n'ont ni rassuré, ni calmé les contestataires.

Dans le cadre d'un budget d'austérité, le gouvernement tunisien s'est donné pour objectif la réduction du déficit budgétaire à moins de 5 % du PIB. Une telle ambition passe par la réforme de la fonction publique (14 % du PIB), celle de la sécurité sociale qui, elle aussi, pèse lourd dans le budget, et la réduction des subventions de l'énergie (5 % du PIB).

Autant d'étapes cruciales que l'Etat tunisien doit franchir pour réduire son déficit et stabiliser sa dette. Et, à cela s'ajoute la réforme d'un système fiscal perçu comme complexe et inéquitable. Il est vrai que le système fiscal tunisien, qui cible naturellement les contribuables et les sociétés travaillant dans la légalité, ne combat guère les entreprises malhonnêtes, ce qui encourage la contrebande et l'évasion fiscale.

Pour atteindre ses objectifs, la Tunisie doit s'appuyer sur l'endettement intérieur qui ne représente que 29%, contre un endettement extérieur à hauteur de 71%. Le service de la dette extérieure est actuellement un réel fardeau pour le budget de l'État : près de 7,5% du PIB, le cinquième du total des recettes des exportations tunisiennes. La situation est telle que la Tunisie emprunte pour rembourser les dettes anciennes et non pas pour investir. Enfin, la dépréciation du dinar tunisien, qui en une année a perdu 22,8% de sa valeur face à l'euro et 26 % face au dollar américain, détériore un peu plus la situation et accable le gouvernement.

Les efforts doivent donc être multipliés en direction du déficit commercial qui vient d'atteindre un nouveau record. L'Institut national de la Statistique (INS) a en effet annoncé que le déficit de la balance commerciale a été de 15 592 millions de dinars en 2017. La promotion des exportations pourrait néanmoins contribuer au rétablissement des grands équilibres financiers. Le pays peut d'abord compter sur les produits agricoles, à savoir l'huile d'olive (+ 828 millions de dinars), les dattes (+ 570 MD), les fruits (+ 61.6 MD) et les produits de la pêche (+411 MD). Il peut notamment, pour écouler ses produits, continuer à explorer des nouveaux marchés, à l'instar des pays du Golfe ou l'Europe de l'Est.

Promouvoir le "Made in Tunisia"

La Tunisie doit aussi exploiter les flux des investissements étrangers, lesquels ont progressé, fin novembre 2017, de 11% pour dépasser les 2 milliards de dinars. Selon les statistiques de l'Agence de promotion des investissements extérieurs (FIPA), l'industrie a accaparé depuis au cours de l'année 2017, un peu moins de la moitié des IDE engrangés par la Tunisie, soit un montant de 905 MDT. En fait, le secteur industriel tunisien attire de plus en plus d'investisseurs étrangers, notamment depuis ces quatre dernières années.

Fin novembre 2017, le secteur des services s'était redressé avec 207 MDT d'investissements mobilisés, soit une hausse de 19,7% par rapport à 2016. En revanche, le secteur énergétique s'inscrit dans une tendance baissière, puisque les investissements se sont limités, durant les 11 premiers mois de 2017, à 783 MDT. Pour ce qui concerne les investissements de l'agriculture, ils ont été toujours très modestes. Fin novembre 2017, avec 15,9 MDT, ils accusaient, de plus une baisse de 23% par rapport à 2016.

Ainsi, le taux de croissance de 2,2% annoncé pour 2017 reste inférieur à la moyenne mondiale (3,7%), à celle de l'Union Européenne (2,3%) et au taux de croissance de l'ensemble des pays africains (2,6%), ces derniers constituant un marché qu'il conviendrait d'investir.

L'une des priorités est donc de dynamiser l'exportation. Il s'agit d'abord d'en fluidifier les opérations en raison des trop nombreuses entraves. Commençons par limiter l'emprise de la bureaucratie, par faciliter le transport maritime et l'accès au crédit, mais travaillons surtout sur l'image du pays. Autrement dit, tout le monde doit s'attacher à promouvoir le « Made in Tunisia ».

*Korbi Fakhri est Enseignant-chercheur à Burgundy School of Business ; Brahim Mariem est Enseignante à l'EDHEC Business School

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