Vers un timide printemps Africain  ? [Tribune]

L'évolution politique de plusieurs pays africains donne à penser que le continent prend lentement le chemin de l'ouverture démocratique. L'idée que le destin du continent serait figé dans un pessimisme irréversible laisse place à des projections plus optimistes. À ce titre, et en contrepied d'un lourd passif historique, il serait bienvenu, pour les puissances européennes et notamment la France, d'encourager ce mouvement et d'aider le continent à opérer sa propre transition démocratique.
Sonia Boukobza, Analyste

C'est arrivé il y a près de trois semaines. Robert Mugabe, le président Zimbabwéen, à la tête du pays depuis près de 37 ans, père de l'indépendance et figure historique de la lutte anti coloniale est tombé. Il n'est pas le seul dinosaure africain à s'en être allé ces derniers temps. Quelques mois auparavant, en Janvier, c'était l'indétrônable Yayha Jammeh, président de la Gambie, qui quittait le pouvoir. Certes, dans les deux cas, les circonstances sont bien différentes. Au Zimbabwe, les évènements se rapprochent plus d'une danse de palais et il est prématuré d'évoquer l'idée d'une éventuelle libéralisation du nouveau régime en place. Le nouvel homme fort de la nation Emmerson Mnangagwa n'est pas un tendre et sa tâche première sera de redresser une économie moribonde. Le cabinet ministériel nouvellement nommé est essentiellement composé de militaires et Mnangagwa est encore loin de se soucier des éventuelles volontés démocratiques de son peuple. En Gambie, le président Jammeh a finalement accepté, non sans menace d'intervention militaire de la part de la CEDEAO, de lâcher les rênes du pouvoir après des élections remportées par son opposant Adama Barrow.

Une analyse plus globale du continent s'impose

Ces deux exemples ne sont pas isolés et doivent se lire à l'aune d'une analyse plus globale de la situation politique africaine. À ce titre, d'autres cas sont remarquables : Ainsi au Togo, depuis près de quatre mois, le peuple gronde, semaine après semaine, contre le pouvoir en place. Il espère, ainsi, détrôner la dynastie Gnassingbé qui fête son cinquantenaire à la tête de l'état et dont le fils, Faure Gnassingbé, préside le pays depuis 2014. D'aucuns pourront rétorquer que ce genre de manifestations n'est pas inhabituel au Togo. Certes, le pays a connu plusieurs vagues de manifestations anti gouvernementales, notamment en 2016, mais cette fois, le Nord, traditionnellement acquis au pouvoir, enregistre un fort degré de mobilisation. Plus surprenant encore, le leader de ce mouvement contestataire, Tikpi Atchadam, est lui même issu du Nord.

Autre cas surprenant, l'Angola. Le président Dos Santos a quitté le pouvoir de son plein gré après 38 années passées à la tête de l'Etat. Ce faisant, il a veillé à laisser ses alliés aux postes clés, gardant ainsi une entière mainmise sur les évolutions politiques et économiques du pays. Pourtant, le nouveau président élu au mois d'Août dernier, Joao Lourenço, a récemment surpris son entourage, en évinçant de bons nombres de postes stratégiques, la garde rapprochée du clan Dos Santos. Il a même été jusqu'à congédier Isabelle Dos Santos, la fille de l'ancien président, de la tête de Sonangol, la compagnie pétrolière étatique. Quand on sait que les revenus pétroliers représentent pas moins de 45% du budget de l'Etat Angolais, on prend toute la mesure de cette décision. On pensait pourtant que Lourenço se comporterait en loyal successeur du président Dos Santos. Là encore, le temps dira s'il s'agit d'un simple remaniement ou d'un premier pas vers un changement en profondeur des manières de gouverner le pays.

Pour compléter cette brève énumération, on peut rappeler le soulèvement populaire de 2014 au Burkina Faso, qui a entraîné l'éviction de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 1987. Et au Ghana, le pays a opéré sa transition démocratique dès 1992, date de l'instauration de sa quatrième république, enchainant des élections caractérisées par le multipartisme, donnant lieu à des transitions de pouvoir sans heurts.

Le vent tourne en Afrique

À la lecture de cette liste, il est légitime de se demander si les temps ne sont pas en train de changer. Peut-on encore qualifier l'Afrique de continent dormant, hermétique à toute évolution politique ? En écho à ce qui a été qualifié de printemps arabe, suite aux révoltes populaires qui ont explosé, entre autres, en Tunisie et en Egypte, il est tentant de penser que nous assistons, lentement mais surement, à l'avènement d'un printemps Africain. L'expression est à prendre avec des pincettes évidemment, d'autant que la plupart des cas évoqués ici ne procèdent pas d'un soulèvement populaire. Départ volontaire de dirigeants qui ont bien veillé à verrouiller leur succession, coup d'Etat militaire ou révolution de palais, soulèvement populaire dans le meilleur des cas, chaque situation évoquée a ses particularités, et il est peu probable qu'elles débouchent toutes, à court terme, sur l'instauration d'un régime démocratique, solide et pérenne. Cela étant, et en dépit des fortes incertitudes qui caractérisent l'évolution politique du continent africain, le mouvement qui prend racine ne peut plus être ignoré.

Que déduire de ce constat ? D'abord que le destin de l'Afrique n'est pas figé et qu'à contrecourant de ce que l'on a rabâché pendant des décennies, il est autorisé d'imaginer un scénario optimiste. Ensuite, qu'il est temps d'encourager les peuples africains à effectivement prendre leur destin en main pour entamer leur propre transition démocratique. Cette nouvelle posture trancherait avec un lourd passif historique pour la France et d'autres puissances européennes, qui se sont trop souvent accommodées du règne sans partage et multi décennal de dictateurs, parfois sanguinaires, quand elles n'ont pas favorisé leur accession et maintien au pouvoir.

Choisir la voie de l'optimisme

Evidemment, il reste encore beaucoup à faire pour transformer le rêve d'une Afrique démocratique en réalité concrète et palpable. La situation économique de beaucoup de pays du continent reste encore désastreuse malgré un renouveau économique africain certain. Plusieurs de ces pays sont touchés par le fléau du terrorisme, fléau aggravé par l'abreuvement, notamment des régions du Sahel et du Lac Tchad, en armes et en hommes venus de Libiye suite à la chute de Mouammar Kadhafi. Guerre civile, pullulement de milices armées qui ravagent le quotidien des populations civiles, famine et sécheresse, la liste des problèmes dans lesquels est embourbée l'Afrique reste malheureusement bien longue et conduirait plutôt à un pessimisme fataliste. Il faut alors faire le pari de l'optimisme, se focaliser sur les signes encourageants qui émergent, et espérer que la timide réalité prometteuse prenne forme et vitalité pour s'inscrire fermement dans la durée.

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Commentaires 3
à écrit le 25/12/2017 à 18:25
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Un point de vue interessant bien que critiquable sur l actualite africaine! J espere que cet article en appelera d autres pour preciser votre opinion generale sur la region!

à écrit le 22/12/2017 à 7:37
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Le Maroc est aussi un pays africain comme l'Algérie...des pays arabes et musulmans qui méritent aussi une attention particulière. Le Makhzen au Maroc comme Saïd Bouteflika fait le bon et le mauvais temps et les dictatures sont monnaies courantes dans...

à écrit le 21/12/2017 à 23:46
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Une très belle analyse! Félicitation à cette experte qui, une fois n’est pas coutume, voit en l’Afrique u continent de l’avenir!

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