Bienvenue dans un monde « post-factuel »

Il est à la mode de dire que nous sommes entrés dans une ère « post-vérité ». C'est une époque nouvelle où les faits n'auraient plus d'importance et où chacun se déterminerait davantage en fonction de ses opinions et de ses préjugés que d'une analyse froide et circonspecte de la réalité.

Cela doit être vrai, au moins dans l'univers anglo-saxon. Le dictionnaire qui fait référence dans la culture dominante, l'Oxford Dictionary a ainsi choisi l'expression « post-truth » comme mot de l'année qui vient de s'éteindre. Il en veut pour preuve que l'usage de cette formule a bondi, à tel point que bien des événements politiques ne pourraient s'expliquer autrement.

 La campagne électorale de Donald Trump aux Etats-Unis, le Brexit au Royaume-Uni et le recours de plus en plus massif aux réseaux sociaux expliqueraient notre entrée dans ce monde « post-factuel ». Ne nous faisons pas d'illusions : notre planète étant largement mondialisée, les cartésiens francophones que nous sommes n'échapperont pas à la pandémie du moment.

Cela ne nous empêchera pas de nous demander si ce nouveau continent où nous sommes invités à débarquer est réel ou seulement « post-réel ».  De tout temps, la vérité des uns a été le mensonge des autres. Les résistants et les combattants de la liberté n'ont-ils pas été qualifiés de terroristes par ceux-là mêmes qu'ils défiaient ?

Vérité relative

Il serait déplacé d'insister sur la relativité de la notion de vérité. Mais à l'heure où l'on découvre que le naufrage du Titanic ne serait pas seulement dû au choc de sa coque contre un iceberg mais à un vulgaire incendie en salle des machines, le moment est venu de se méfier des évidences qui nous sont prodiguées comme allant de soi.

Que Donald Trump ait pris de sacrées libertés avec la vérité pour surprendre son monde et se faire élire ne fait aucun doute. Il y a dans son incroyable succès une large part de mensonges et de promesses qui ne seront jamais tenues. Mais n'est-ce pas le propre de toute campagne électorale ? Doit-on être à ce point naïf pour l'ignorer ?

 Il en est de même pour le Brexit. Prétendre qu'en quittant l'Union européenne, le Royaume-Uni retrouvera sa pleine souveraineté, politique et économique, et profitera mieux de la mondialisation, relève, au mieux, d'une erreur de jugement, au pire, d'une supercherie cynique. Se méprendre sur la réalité du monde moderne est excusable. Il l'est moins de tromper à ce point les électeurs, par cynisme ou en se trompant soi-même. Faut-il pour autant y voir l'intrusion d'une « post-vérité » triomphante ?

Bulles d'information

 Le rôle envahissant des réseaux sociaux est, lui, un phénomène plus nouveau et problématique. Il est porteur de bouleversements qui affectent la sphère politique. Chaque citoyen est désormais en mesure de choisir ses sources d'information sans passer par le truchement des médias traditionnels et de se construire « sa »  propre vérité. Les temps sont loin où le rendez-vous obligé des journaux télévisés servait de cours d'instruction civique et permettait de construire un consensus sur lequel l'action gouvernementale pouvait s'appuyer.

 Avec Facebook, Google et Twitter, chaque individu vit dans sa bulle d'information. Des algorithmes l'alimentent, en fournissant à chacun ce qu'il préfère savoir du monde qui l'entoure. Il est devenu rarissime de se confronter à des idées qui ne sont pas les siennes, principe à la base de tout comportement démocratique.

Dans une atmosphère aussi cloisonnée, le monde « post-factuel » prospère. Peu importent les faits ou la réalité, ce qui est primordial c'est de savoir qui en parle. Puisque l'on a renoncé à distinguer par soi-même le vrai du faux, l'important est de se brancher sur la bonne source d'information, c'est-à-dire sur la source que chacun juge fiable. Aux Etats-Unis, les Républicains croiront dur comme fer à tout ce que leur dira Fox News, tandis que les Démocrates resteront branchés sur CNN.

Le discours dominant en perte de crédibilité

La polarisation de l'opinion fait que l'on se demande comment il est encore possible de dépasser cet esprit de chapelle pour défendre l'intérêt général. La presse toute entière est contaminée. Trop souvent, l'exercice journalistique ne consiste plus à poser des questions pour aider le lecteur, l'auditeur ou le téléspectateur à se faire sa propre opinion, mais à asséner des réponses hâtives et biaisées à des questions qui ne se posent pas vraiment.

Alors, la victoire de Donald Trump aux élections américaines et celle du Brexit au référendum en Grande-Bretagne sont-ils, comme on le dit, les produits d'un monde  « post-factuel » ? Quels que soient leurs excès manifestes, les partisans de l'un et de l'autre ont défendu des positions qui avaient le mérite de trancher avec la vérité établie, avec le « politiquement correct » soutenu sans nuance par les élites gouvernantes.

Si Trump et le Brexit ont trouvé un aussi large écho dans l'opinion, n'est-ce pas aussi parce que le discours dominant a perdu une large part de sa crédibilité ? Dans un autre domaine, les agissements - il faut dire parfois douteux - de Vladimir Poutine justifient-ils la théorie du complot qu'ils alimentent ? La propagande serait-elle subitement devenue à sens unique ? Ne serait-on pas à la recherche d'un responsable de nos propres défaillances ?

À force de s'entendre dire que la mondialisation est la solution à tous les maux, que l'Europe doit s'élargir indéfiniment pour devenir un État fédéral ouvert à des millions de migrants, les électeurs ont le droit de se poser des questions. Ils attendent qu'on ne mette pas tous les travers de la politique sur le compte d'un monde qui serait soudain devenu « post-factuel ».

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Commentaire 1
à écrit le 06/01/2017 à 13:20
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"À force de s'entendre dire que la mondialisation est la solution à tous les maux, que l'Europe doit s'élargir indéfiniment pour devenir un État fédéral ouvert à des millions de migrants," La mondialisation économique s'est traduite par un dumpin...

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