Et si le numérique se politisait pour être durable en Afrique

« L'Africain de demain devra s'ancrer dans sa culture, l'interroger, afin de mieux la conjuguer avec celles des autres et ainsi s'éloigner des codes aseptisés de la mondialisation ». Tribune de Patrick Ehode, le PDG de Vairified.

La démographie africaine souvent fantasmée est avec sa forte croissance au cœur de la préservation des grands équilibres mondiaux centraux aux problématiques de notre siècle. À l'heure des replis identitaires de toutes sortes, des tensions et des guerres sous fond d'accès aux ressources naturelles, penser le développement de l'Afrique signifie ancrer sa réflexion autour d'un nouveau paradigme économique, à la fois inclusif et multiplicateur d'opportunités.

Insuffler ce récit nouveau, nécessaire, pour évoquer les dynamiques de développement est important, afin d'encourager l'essor d'une technologie au service du développement durable. Dans ce récit, la question du développement du capital humain occupe une place prépondérante, quel Africain pour demain et surtout quelle technologie pour précipiter son avènement ? La réponse doit nous amener loin des sentiers battus et des mécanismes idéologiques y associés.

L'Africain de demain

Non, l'Africain de demain ne sera pas diplômé de Harvard, mais devra maîtriser comment tirer le meilleur de son environnement immédiat et les TIC devront jouer leur rôle, en permettant la création et / ou la diffusion des savoir-faire. Quels diplômes, quelles universités et quels savoir-faire, sont autant de questions auxquelles les TIC apportent des réponses, par une décentralisation et un accès égal au savoir, comme jamais dans l'histoire de l'humanité. L'école de demain se fera avec tous ou ne se fera pas, ceci est déjà observable avec la délocalisation de plusieurs grandes écoles dans les pays africains.

L'Africain de demain devra s'ancrer dans sa culture, l'interroger, afin de mieux la conjuguer avec celles des autres et ainsi s'éloigner des codes aseptisés de la mondialisation. Le développement culturel, ainsi que sa diffusion sera la clé pour la vitalisation des échanges à l'intérieur des pays ou du continent et ainsi préservera les équilibres commerciaux nécessaires au développement, ainsi que la valorisation des populations constitutives. La multiplication des projets d'interconnexion (fibre optique, liaison satellitaire, câble sous-marin...), des data-centers, des ateliers de production de contenu et la libre concurrence entre distributeurs d'Internet représentent les enjeux cruciaux de cette problématique.

L'Africain et l'Africaine de demain seront émancipés, libres de leurs capacités et en pleine jouissance de leurs droits. L'émancipation est très liée au problème de la gouvernance, ainsi que de la redistribution des richesses, qui malheureusement reste une problématique majeure dans nos pays. L'économie de demain pour être durable devra prendre en compte les revendications des citoyens libres et capables d'exercer leurs droits. Les Gov-up (startup spécialisée dans l'amélioration de la gouvernance) et la e-gouvernance doivent répondre à ces besoins et contribuer au développement d'une société qui offrira des opportunités similaires aux citoyens de tous bords.

Un numérique durable

Il existe déjà des initiatives sur le terrain, ateliers de blogging/vlogging, des incubateurs, des innovations dans le secteur agricole, des activistes qui sur les réseaux sociaux scannent les élections présidentielles... Néanmoins, pour atteindre les objectifs cités plus haut, ces efforts s'ils ne sont pas mal ou peu financés, restent parcellaires et manquent de souffle. Cette vitalité devrait être apportée par une idéologie forte, une vision durable du développement de l'économie numérique. Un panafricanisme 2.0 débarrassé de ses relents passéistes et autoritaires, pourrait servir de base à cette économie numérique durable, faite d'entrepreneurs voyant l'Afrique pour ce qu'elle est et non au travers de la vision courte et partisane de certains bailleurs de fonds. Ces entrepreneurs seraient autre chose que le bras séculier de ces multinationales concourant à un affaissement du savoir-faire et du tissu économique local.

Ceci impose donc la question du financement, pour laquelle il n'y a pas de réponse miracle, car il s'agit là de fédérer des ressources pour atteindre une idée de développement.  Cependant, il est facile de penser que ceux qui devraient prendre les devants sont ceux qui ont le plus à perdre ou à  gagner dans le développement des TIC, c'est à dire les gouvernements, ONG, institutions, société civile et mouvements politiques.

À cause de la faible rentabilité initiale souvent fantasmée des projets TIC, surtout en Afrique, il faudrait d'abord une économie numérique politique avant qu'elle ne devienne essentiellement capitalistique.

Changement de paradigme

Ce changement de paradigme aurait pour impact direct le changement de l'approche entrepreneuriale, une approche orientée plutôt vers l'impact que sur le profit direct qui in extenso ne sera jamais atteint si au départ on n'investit pas dans la population. Ceci changerait aussi les acteurs de l'économie tech, en remettant au centre les collectivités locales et acteurs locaux favorisant la circularité et la valorisation des terroirs, notamment avec les gov-ups pour l'amélioration de la transparence.

Twitter, le célèbre réseau social pour le citer en exemple, n'a pas de modèle de revenu après Presque 10 ans d'existence, mais sa fermeture sur cette base seule serait inenvisageable pour ses utilisateurs, mais surtout pour le gouvernement américain, allez savoir pourquoi. On peut dire la même chose de Wikileaks, de Facebook, de Google, de Tesla, qui portent une vision à long terme forte pour les agents qu'ils promeuvent, avant les intérêts purement financiers, certes importants.

Les TIC en Afrique doivent être pensées comme un instrument d'utilité publique, qui doit servir au plus grand nombre, pour résoudre des problèmes concrets et non uniquement comme des réservoirs illimités de richesses pour une jeunesse dorée ambitieuse ou une tribune pour un leadership manquant d'assise sur le terrain. Malgré la difficulté de leur mise en œuvre, la multiplication des partenariats public privés est essentielle pour atteindre les objectifs, et les échanges entre institutionnels, société civile, ONG et startups doivent être maintenus pour un développement équilibré d'un écosystème dynamique et à forte valeur ajoutée locale.

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