Assuraf ou l'assurance à portée des portefeuilles électroniques africains

Après plusieurs années passées en Afrique pour le compte de multinationales de télécoms, Souleymane Gning s'est lancé dans l'AssurTech. Créé en 2019, Assuraf, le broker digital présent au Sénégal et en Côte d'Ivoire, entend démocratiser l'assurance sur le continent et prépare son implantation dans les huit Etats membres de l'UEMOA d'ici 2025.
Souleymane Gning, CEO et fondateur d'Assuraf.
Souleymane Gning, CEO et fondateur d'Assuraf. (Crédits : DR.)

La Tribune Afrique : Comment est née votre vocation d'entrepreneur dans le secteur des assurances en Afrique ?

Souleymane Gning : Je suis ingénieur télécoms de formation et j'ai fait mes premières armes en Afrique subsaharienne d'où je suis originaire (Sénégal, ndlr), au sein du groupe Orange. Je me suis ensuite occupé du secteur public pour Cisco Systems sur une vingtaine de pays africains, répartis entre le Cap-Vert et le Tchad, la Mauritanie et la République démocratique du Congo, pour développer avec ces Etats, les infrastructures Internet nationales. Plus tard, j'ai travaillé pour une filiale de Swisscom basée à Abidjan avant de prendre deux nouveaux engagements au Nigeria. De 2002 à 2018, j'ai donc exercé pour plusieurs multinationales, mais toujours avec un focus sur l'Afrique, avant de me lancer dans l'entrepreneuriat.

Quel a été le déclic qui vous a permis de vous lancer dans l'entrepreneuriat ?

Cela s'est fait en plusieurs étapes. A un moment donné, j'ai identifié des besoins « émergents » divers dans mon secteur, non adressés et qui ne s'inscrivaient sur aucune fiche de poste. Ensuite, j'avais envie d'avoir plus d'impact direct à travers mon travail. Je me suis d'abord lancé dans les télécoms au moment où le mobile-money était en plein boom en Afrique. A cette époque, peu d'acteurs hors du continent réalisaient à quel point le mobile-wallet (portefeuille électronique) était en train de changer la vie des populations africaines (...) Aussi, j'ai vite compris qu'il valait mieux avoir un centre de développement implanté en Afrique et utiliser les mêmes moyens que ceux que vous cherchiez à servir, pour répondre aux besoins réels de nos marchés.

C'est précisément pour répondre à un problème conjoncturel kenyan lié à la crise politique de 2007 qu'est née M-Pesa, une solution locale rachetée par Safaricom, filiale du groupe anglais Vodafone...

En matière de développement de mobile wallet, ce modèle est un exemple venu d'Afrique de l'Est. M-Pesa en a été le pionnier. Par ailleurs, je pense que les logiques économiques vont bien au-delà de celle du groupe qui vous acquiert, quoique Safaricom soit toujours en partie propriété de Telkom Kenya. La réussite de Safaricom est d'avoir su conserver l'ADN kenyan de M-Pesa et de s'attacher à répondre aux besoins des populations locales.

De quelle façon avez-vous construit votre offre ?

J'ai d'abord lancé eConnect pour contribuer à combler les liens manquants (« Connecting the dots ») entre l'usage mobile, le paiement et les futurs usages. J'ai développé des projets avec des opérateurs comme Free au Sénégal, des services de cash-in par carte bancaire, de paiement ou de peer-to-peer, mais aussi des projets d'optimisation de la bande passante Internet et d'engagement des masses via les canaux mobiles et digitaux. C'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à travailler sur un premier projet dans l'assurance.

Quels sont les principaux défis du secteur de l'assurance en Afrique ?

La pénétration est très faible, car les services de l'assurance ne sont pas suffisamment accessibles. Dans les pays développés, tout le monde est assuré, mais la culture de l'assurance prendra du temps à s'imposer en Afrique. Il existe encore des freins comme la religion, par exemple. Le risque incertain relève souvent du divin voire du destin. La perception du risque est différente. On s'imagine qu'en cas de problème, nos proches nous soutiendront. C'est une forme « d'assurance solidaire informelle ». Mais où est la solidarité quand tout le monde est financièrement vulnérable ? Nous sommes tous à une maladie de la faillite (« One serious illness away from bankrutpcy »). Qui paiera pour le traitement d'un cancer quand on est vendeur d'arachides à Dakar ? Entre problème d'accès, de culture et de confiance : les défis sont nombreux.

Que représentent les acteurs de l'assurance sur le continent africain ?

Il existe plusieurs acteurs de poids comme les groupes NSIA (Côte d'Ivoire), Sanlam (Afrique du Sud) ou SUNU (Sénégal) par exemple. Rien qu'au Sénégal, il existe une vingtaine de compagnies d'assurance. La part la plus importante concerne l'assurance d'entreprise qui répond souvent à des obligations réglementaires ou économiques. L'assurance individuelle reste faible. L'inclusion de l'assurance se mesure grâce au taux de pénétration (qui correspond au volume de primes d'assurance rapporté au PIB du pays).

Au Sénégal, le taux de pénétration est inférieur à 2 %. Un autre indicateur est la densité d'assurance, c'est-à-dire le montant dépensé par personne dans les assurances, chaque année. La moyenne mondiale est de 800 dollars par an. En Afrique, cela se situe autour de 40 dollars  pour 13 dollars dans la zone CIMA). Ici, en Afrique du Sud (entretien réalisé pendant l'AfricArena Summit au Cap, ndlr), la pénétration est comparable aux pays développés. D'ailleurs, 70 % des primes d'assurance collectées sur l'ensemble du continent viennent d'Afrique du Sud. Le reste est réparti essentiellement entre les pays du Maghreb et d'Afrique de l'Est.

En substance, comment avez-vous fait évoluer vos activités d'eConnect vers Assuraf ?

Fin 2018, alors que je dirigeais encore eConnect, j'ai été approché par un grand groupe mondial d'assurance au Sénégal. C'est à ce moment-là que je me suis intéressé à ce secteur. J'ai vite compris qu'il fallait s'orienter vers des solutions d'assurances digitales et embarquées pour l'inclusion des populations avec des produits adaptés et tangibles. Au bout d'un certain temps, les retours positifs des adhérents confrontés à des accidents de la vie, entraîneront un mouvement plus large (...) J'ai créé Assuraf début 2019, sur fonds propres. Nous avons développé une infrastructure technologique permettant une plus grande accessibilité de l'assurance via son téléphone portable et en ligne. Depuis, nous sommes une quinzaine de collaborateurs.

Quels sont les services proposés par Assuraf ?

En qualité de courtier en assurances, nous distribuons des produits, conseillons les clients et modélisons des solutions qui peuvent être adossées à des compagnies. Concernant l'assurance santé individuelle par exemple, nous avons développé la solution AssurCare, adossée à AXA, depuis un an.  Ce produit s'adresse à la classe moyenne. Beaucoup d'Africains de l'étranger décident aussi de souscrire des assurances santé pour leurs parents restés au pays. En dehors d'AXA, nous disposons de nombreux partenariats (NSIA, SONAM Assurances ou encore le groupe Allianz...).

Aujourd'hui, nous proposons des assurances-vie, maladie, automobile, voyage, habitation pour les entreprises et aussi sur des risques émergents. En termes de volume de contrats, l'assurance automobile arrive en tête, car elle relève d'une obligation règlementaire. Cependant, en termes de primes, l'assurance-santé commence à la rattraper notamment avec notre produit AssurCare. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui, dans nos pays, souscrivent une assurance voyage pour le besoin de visa ou par prévoyance. En revanche, l'assurance-habitation et l'assurance-vie sont encore peu répandues (...) Nous travaillons sur des solutions graduelles et moins coûteuses. Pour ce faire, il nous faut poursuivre nos travaux de développement de produits adaptés et d'éducation, ce qui requiert de lever des fonds.

Combien cherchez-vous à lever pour développer de nouvelles solutions ?

Nous sommes en amorçage et nous cherchons 1 million de dollars pour développer nos produits et nous étendre géographiquement. Nous sommes présents depuis dix-huit mois au Sénégal, nous sommes aussi en Côte d'Ivoire depuis près d'un an avec un partenaire local qui nous donne accès au marché ivoirien, ainsi qu'à une vingtaine de partenaires assureurs locaux. Nous tissons en parallèle, un réseau de courtiers panafricains (...). Notre modèle économique est simple. En tant qu'intermédiaire, nous prélevons une commission sur chaque contrat d'assurance, comprise entre 5 % et 30 % selon les produits.

Quel a été le poids des aspects réglementaires dans l'élaboration de votre projet ?

Ce n'est pas toujours simple. Les procédures prennent du temps. De plus, entrer dans une corporation très fermée comme celle des assurances ne facilite ni l'obtention d'agrément, ni l'innovation sur certains aspects, notamment sur la dématérialisation des contrats et preuves d'assurance.

Quel est l'objectif à moyen terme d'Assuraf ?

Nous voulons nous étendre dans tous les pays de la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine, ndlr) d'ici 2025, puis au-delà, sur tout le continent. Nous voulons faire en sorte que le vendeur de crédit téléphonique de rue soit en mesure, tout comme le chef d'entreprise, d'avoir accès à un produit d'assurance adapté, avec des tarifs compétitifs pour la santé. En matière d'assurance-vie, les prix peuvent être encore plus bas. Nous sommes convaincus que le développement de l'assurance en Afrique permettra de consolider la résilience financière du continent. Nous sommes trop fragiles financièrement, pour nous permettre d'être exposés aux catastrophes de la vie, sans aucune protection.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.