Chrysoula Zacharopoulou : «Face à la guerre, il n'y a pas de place pour le racisme et la discrimination»

Chrysoula Zacharopoulou fait le point sur les moyens déployés par l'Union européenne pour accompagner le développement d'une souveraineté médicale en Afrique. A la recherche de compromis, l'eurodéputée « Renew Europe » revient aussi sur la question migratoire entre l'UE et l'Afrique, préconisant une approche qui s'attaquerait avant tout aux causes profondes du phénomène.
Chrysoula Zacharopoulou, eurodéputée et coprésidente du Conseil des actionnaires de Covax
Chrysoula Zacharopoulou, eurodéputée et coprésidente du Conseil des actionnaires de Covax (Crédits : European Union - Source EP)

La Tribune Afrique : Quels sont les résultats du dispositif Covax (COVID-19 Vaccines Global Access) dont l'objectif initial était de distribuer 2 milliards de doses de vaccin contre la COVID-19 à travers le monde d'ici la fin 2021 ?

Chrysoula Zacharopoulou, eurodéputée et coprésidente du Conseil des actionnaires de Covax : La centrale d'achat Covax est l'un des piliers de l'accélérateur ACT pour la production et l'accès équitable aux tests, traitements et vaccins COVID-19. L'initiative Covax proposée par le président Macron dès le début de la pandémie aux pays membres de l'Union européenne (UE), est codirigée par Gavi, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) (...) Dès qu'un vaccin a été trouvé, s'est posé le problème de la production qui a conduit l'UE à développer une task force pour renforcer ses capacités de production. En avril 2021, l'interdiction des exportations en Inde avec laquelle un contrat avait été conclu, a fortement impacté ce dispositif qui a pu résister grâce à des dons (...) Au total, Covax a permis la livraison de 1.2 milliard de doses dans 144 pays.

Lors du dernier Sommet Union africaine-Union européenne qui s'est tenu les 17 et 18 février à Bruxelles, l'UE a promis 450 millions de doses à l'Afrique d'ici cet été. Cet engagement sera-t-il tenable ?

Nous ne faisons plus face aux mêmes défis aujourd'hui, car les capacités de production ont été largement renforcées. Depuis la fin de l'année 2021, l'UE produit 300 millions de doses de vaccin par mois, ce qui en fait le premier producteur, mais aussi le premier exportateur de vaccins contre la COVID-19 au monde. Nous recherchons désormais la meilleure voie pour que toutes les doses soient bel et bien utilisées, notamment sur le continent africain.

Seulement 11 % d'Africains sont vaccinés à ce jour selon l'OMS, pourtant le 16 février OXFAM révélait par voie de communiqué, que l'UE serait contrainte de jeter des millions de doses périmées de vaccin à la fin du mois de février...

L'année 2021 était celle de l'accès au vaccin, l'enjeu de 2022 repose sur l'aide au déploiement des vaccins. En Afrique, il faut des seringues, des frigos (...) ainsi qu'une organisation logistique appropriée. Tout cela doit s'accompagner d'une sensibilisation sur le terrain, car il existe encore de nombreux freins à la vaccination qui tiennent notamment à des repères socioculturels. L'UE va déployer 425 millions pour permettre ce déploiement dans les pays concernés.

Quels sont les engagements pris par l'UE en matière de soutien à l'autonomisation sanitaire et vaccinale des pays africains ?

L'Afrique importe 99 % de vaccins et les Africains veulent changer cette situation. Ils se sont fixé l'objectif de produire 60 % de leurs vaccins d'ici à 2040. L'UE a débloqué un milliard d'euros en 2021 pour accompagner le développement des capacités de production sur le continent, en Afrique du Sud, au Sénégal et au Rwanda (...) Lors du Sommet UA-UE, il a été question de transferts de technologies en direction de l'Afrique du Sud notamment. La Commission européenne, la Belgique, l'Allemagne et la France soutiennent cette initiative à hauteur de 40 millions d'euros. La technologie ARN pourra non seulement servir pour lutter contre la COVID-19, mais aussi contre d'autres pathologies. Six pays pourront y accéder dans un premier temps : l'Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria, l'Egypte, la Tunisie et le Sénégal.

Le secteur privé s'est également mobilisé lors du Sommet UA-UE pour lutter contre la COVID-19 en Afrique...

Effectivement, la société allemande BioNTech s'est engagée à installer des mini laboratoires de production du vaccin dans des conteneurs en Afrique (Afrique du Sud, l'Egypte, le Kenya, le Nigeria, le Sénégal et la Tunisie, NDLR). Le Rwanda et le Sénégal seront les premiers à en bénéficier (...) Aujourd'hui, la mobilisation et les partenariats engagés dans le cadre de la lutte contre la COVID-19 apparaissent comme un exemple de success story entre l'Europe et l'Afrique. Par ailleurs, le continent africain a renforcé ses capacités pendant la crise sanitaire à travers les Africa Centres for Disease Control and Prevention et l'Agence africaine du médicament. L'UE se tient également prête à apporter son soutien en termes de réglementation. Il ne suffit pas de produire, il faut aussi vendre les vaccins.

Les pays africains réclamaient à Bruxelles, une levée des brevets sur les vaccins. Comment progresse ce débat en UE ?

Il y a eu des discussions vives sur le sujet. L'Afrique du Sud qui produit des vaccins a porté le sujet dans les débats, car elle est dotée d'infrastructures médicales de qualité, ce qui ne s'observe pas dans tous les pays africains pour lesquels la question prioritaire reste le transfert de technologie. Il n'y a pas de place pour le dogmatisme et d'ailleurs Ngozi Okonjo-Iweala, la directrice générale de l'Organisation mondiale du Commerce [OMC] a parlé de troisième voie, car l'important est de trouver une solution afro-européenne. La question du brevet ne doit donc pas être un obstacle pour trouver un compromis sur la propriété intellectuelle qui sera à l'ordre du jour de la prochaine réunion de l'OMC.

Lors du Sommet UA-UE de 2017, les migrations étaient au centre des débats et notamment la situation en Libye. De quelle manière la question migratoire a-t-elle été abordée au Sommet de Bruxelles et pour quelles conclusions ?

Il n'a pas été spécifiquement question de la Libye, mais de lutte contre les passeurs et du renforcement des voies légales d'accueil pour favoriser les migrations circulaires (...) Pour qui ne connaît pas l'Afrique, la relation euro-africaine se réduit trop souvent à la question migratoire. Il ne faut pas continuer à se focaliser sur un sujet qui est loin de faire l'unanimité entre les Etats membres de l'UE et qui polarisent les extrêmes. J'entendais encore aujourd'hui le candidat Zemmour, qui déclarait ne pas vouloir accueillir les migrants venus d'Ukraine alors que la guerre y est déclarée (...) Je suis membre de l'Africa Europe Foundation [AEF] qui n'hésite pas à aborder les « questions qui fâchent ». Un débat très franc sur la migration et les mobilités a été organisé récemment, en présence du président rwandais, Paul Kagamé (dès 2019 le Rwanda accueillait des migrants venus de Libye, NDLR) et du Premier ministre grec (29 000 personnes secourues en mer et près de 9 000 demandeurs d'asile en 2021, selon les autorités grecques, NDLR). Il nous faut travailler sur les causes profondes des migrations en offrant des perspectives à la jeunesse qui représente à la fois une chance et un défi pour l'Afrique.

Vous évoquiez les migrants issus du conflit russo-ukrainien. Quel regard portez-vous sur la situation de milliers de Subsahariens qui rencontrent de grandes difficultés à sortir du pays alors que les autres migrants sont accueillis à bras ouverts en Europe ?

L'Ukraine est en Europe, il est donc normal que les pays européens se mobilisent pour accueillir les migrants venus d'Ukraine. Cependant, il est vrai que des étudiants africains qui vivent en Ukraine rencontrent aujourd'hui des difficultés à sortir du territoire. Il faut absolument assurer l'égalité de traitement de toutes les personnes qui fuient la guerre d'où qu'elles viennent et faire respecter la Convention de Genève. Face à la guerre, il n'y a pas de place pour le racisme et la discrimination.

En dépit de la volonté du président Macron pour refonder la relation franco-africaine, le sentiment anti-français, chez la jeunesse ouest-africaine en particulier, n'a jamais été aussi prononcé. Comment l'expliquez-vous ?

Cela tient beaucoup à la désinformation. Regardez aujourd'hui, l'une des premières décisions de l'UE, a été d'arrêter la diffusion des chaînes RT et Sputnik (suite à l'invasion russe en Ukraine, NDLR). Concernant le Sahel, j'ai du mal à comprendre comment un jeune de 20 ans, qui n'a jamais vécu la colonisation, peut encore croire à ces histoires et nourrir ce ressentiment. Il me semble que certains acteurs comme la Chine et la Russie peuvent trouver un certain bénéfice à l'altération de l'image de la France en Afrique. Il ne faut pas oublier que la stratégie de prédation des autres acteurs est très éloignée de ce que la France propose, c'est-à-dire un new deal qui ne s'adresse pas seulement aux autorités, mais qui est aussi destiné aux sociétés civiles. Les Russes, les Chinois ou les Turcs par exemple, négocient directement avec les gouvernements et n'ont rien à proposer à la jeunesse africaine. La France propose des solutions et des formations à cette jeunesse.

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