Audrey Rojkoff : «Les financements déployés cette année devraient être compatibles avec une vision de long terme»

Coup d'envoi pour le 1er Sommet Finance en Commun qui rassemble jusqu'au 12 novembre quelque 450 banques publiques de développement de par le monde. Audrey Rojkoff, Secrétaire générale de cette rencontre virtuelle de haut niveau, revient pour La Tribune Afrique, sur la nécessité de renforcer la coopération entre les BPD sur fond de pandémie, dans le respect des Objectifs de développement durable (ODD) et de l'Accord de Paris.
(Crédits : SFC)

La Tribune Afrique - Comment votre parcours vous a-t-il conduite à gérer le Sommet Finance en commun, un rendez-vous qui réunit cette semaine, quelques 450 banques de développement ?

Audrey Rojkoff - Avant de m'occuper à temps plein du Sommet, j'exerçais au sein de la division Climat de l'Agence française de développement (AFD). J'étais en lien direct avec l'International development finance club (IDFC), au sein duquel a germé cette idée. L'IDFC réunit les 26 plus grandes banques de développement du monde, telles que la Banque ouest-africaine de développement  (BOAD), la China Development Bank, la VEB en Russie, la BNDES au Brésil, la DBSA en Afrique australe ou encore la KfW en Allemagne [...] En septembre 2019, le Club a apporté une contribution lors du Sommet Action climat de l'ONU à New York. Nous avions l'intuition que les banques avaient besoin de renforcer leurs coopérations pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Nous nous sommes aperçus qu'au sein des grandes organisations internationales, le focus était très porté sur les Etats et sur les acteurs privés, mais que les banques publiques de développement (BPD) n'étaient pas sous le radar, alors qu'elles occupent un rôle très particulier entre les secteurs public et privé. Le Sommet sera donc l'occasion de souligner leurs rôles dans l'architecture financière du développement et de réfléchir à la façon de les développer.

Que représente l'écosystème des banques publiques de développement dans le monde ?

En se basant sur nos travaux de recherche et selon notre classification, les banques de développement qui sont très différentes les unes des autres disposent de 3 attributs communs. Premièrement, les Etats en sont actionnaires. Elles disposent ensuite d'une autonomie juridique et financière. Enfin, elles sont toutes dépositaires d'un mandat de développement. Nous en avons dénombré 450. Elles révèlent également de nombreuses différences. Certaines sont gigantesques et interviennent aux niveaux national, régional voire mondial comme la China Development Bank qui représente aujourd'hui, l'équivalent de cinq fois la taille de la Banque mondiale. Elles peuvent également être multilatérales, généralistes ou sectorielles comme les Banques de l'Agriculture ou de l'Habitat.

Que pèsent les BPD en termes d'investissement à l'échelle mondiale ?

Chaque année, les banques publiques de développement investissent 10% de la formation brute de capital mondial, soit 2 300 MDS de dollars. Cela représente un poids considérable que nous pouvons encore augmenter [...] L'un des objectifs du Sommet sera de s'interroger sur les capacités des BPD à jouer un rôle de levier pour les autres acteurs économiques et financiers, car elles interagissent avec tout un écosystème qui regroupe secteurs public et privé, fondations, organisations de la société civile ou encore assureurs.

Précisément, de quelle manière les banques peuvent-elles jouer un rôle de levier sur les autres acteurs du développement et en particulier sur le secteur privé ?

Elles interviennent avant le secteur privé, en réalisant les études préparatoires, en travaillant sur l'environnement des affaires et sur la réglementation, afin de réduire le niveau de risque. Elles interviennent également aux côtés des acteurs privés, en cofinançant, en signant des Partenariats publics-privés (PPP) ou en proposant de la garantie et de la prise de participation... Ensuite, les BPD peuvent intervenir après le secteur privé, au niveau du renforcement des capacités. Enfin, elles agissent là où l'on retrouve les populations les plus vulnérables, où ce n'est plus rentable. C'est ce qu'on appelle le dernier kilomètre (« Last Mile »).

De quelle façon les BPD sont-elles géographiquement réparties ?

Leur répartition est relativement homogène avec plus ou moins une centaine d'entre elles présentes sur chaque continent. Il y en a 95 en Afrique, représentant un investissement annuel de 35 MDS  de dollars [sur un total de 2 300 MDS de dollars, ndlr] contre 146 banques en Asie pour un investissement de 1 121 MDS de dollars, soit près de 50% du montant global. Elles sont 102 en Europe pour un investissement de 711 MDS de dollars. Les 100 banques de développement que l'on retrouve sur le continent américain représentent 265 MDS de de dollars [...]

Parallèlement, 90% du total des actifs - 10,2 MDS de dollars - sont détenus par les 50 plus grandes BPD. La China Development Bank est la plus grande avec 235 MDS de dollars d'actifs en 2018 et la Scottish National Development Bank créée en 2020, est la plus récente. Les Etats-Unis n'ont pas de BPD active sur leur territoire, comme la Caisse des dépôts en France par exemple. C'est d'ailleurs en France qu'apparaissent les premières BPD, La Caisse des Dépôts est née en 1816 et l'AFD a fait son apparition en 1941, devenant ainsi la banque publique internationale la plus ancienne au monde...

Quels seront les thèmes abordés à l'occasion du Sommet Finance en Commun ?

Nous avons identifié quelques grandes questions. Premièrement : Qui sont ces banques et quelles sont leurs raisons d'être ? Une grande conférence sera organisée, au cours de laquelle des documents ainsi qu'une base de données dédiée, seront présentés. Ensuite, nous chercherons à déterminer de quelle façon ces banques contribuent à la mise en œuvre de l'Agenda collectivement fixé en 2015, qui regroupe les principes de l'Accord de Paris et les ODD. Dix High-Level Event [rencontres de haut niveau, ndlr] seront organisés le 12 novembre sur différentes thématiques comme le climat, la biodiversité, l'agriculture, le secteur privé ou le genre. Le troisième enjeu sera de définir comment les banques peuvent se réunir en coalition pour se renforcer. Cette coalition sera révélée dans une déclaration commune qui sera présentée pendant la séance plénière du Sommet, le 12 novembre à 16 heures [heure de Paris, ndlr].

Quelles sont aujourd'hui les principales interrogations des BPD sur le rôle des Etats ?

Elles sont multiples. Est-ce que leur mandat inclut la mise en œuvre de l'Accord de Paris ? Peuvent-elles changer leur mandat ? Peut-on les recapitaliser le cas échéant ? Les BPD disposent-elles d'un cadre financier leur permettant de fonctionner au maximum de leurs capacités ? Les banques de développement sont supposées prendre davantage de risques que les acteurs financiers privés. Leur gouvernance le leur permet-il? Un panel de haut niveau consacré à la relation entre les banques de développement et les Etats reviendra précisément sur ce type de questions.

Quelles sont les personnalités attendues lors du Sommet ?

Le Sommet sera composé de 16 événements auxquels participeront une centaine d'intervenants. Plusieurs chefs d'Etat sont attendus. Par ailleurs, les panels de haut niveau rassembleront de nombreuses personnalités. « Comment tirer le meilleur parti des banques publiques de développement (BPD) : des mesures pour libérer leur plein potentiel » qui se déroulera le 12 novembre, réunira par exemple, Jutta Urpilainen, Commissaire, en charge des Partenariats internationaux au sein de la Commission européenne, Rolf Wenzel, Gouverneur de la Banque de développement du Conseil de l'Europe (CEB), Sri Mulyani Indrawati, ministre des Finances indonésien, Luiz Awazu Pereira da Silva, DGA de la Bank for International Settlements (BIS). Serge Ekoué, le président de la BOAD, tout comme Tanja Gönner, la Directrice générale de la GIZ ou Amadou Gallo Fall, DG Afrique de la NBA réfléchiront à la mobilisation de la finance de développement pour le sport durable. Patrick Dlamini, DG de la DBSA s'exprimera sur les enjeux de la « transition juste » en Afrique du Sud. Shinichi Kitaoka, président de la Japan international cooperation Agency (JICA) interviendra sur les investissements humanitaires et la résilience.

Quels sont les défis auxquels sont confrontées les BPD pour s'aligner sur l'Accord de Paris ?

La pandémie de la Covid-19 nous a rappelé le besoin de renforcer le multilatéralisme, pour avancer une approche globale face aux problèmes mondiaux. Les BPD sont d'ailleurs disposées à travailler ensemble. Elles sont en forte demande de coopération, car elles disposent de valeurs ajoutées complémentaires et peuvent apporter des cofinancements. Il faut se poser la question du cadre d'investissement « ODD compatible ». Il n'existe pas à ce jour, de cadre commun aux BPD qui permette d'investir de façon compatible avec l'Accord de Paris et les ODD. L'un des enjeux du Sommet sera de réfléchir à la définition d'un cadre commun d'investissement. En l'absence de ce cadre, les cofinancements ne sont pas possibles, car nous ne disposons pas des mêmes procédures, ni des mêmes façons de mesurer les impacts environnementaux, économiques et sociaux. C'est d'ailleurs dans cet objectif que nous sommes allés consulter les BPD, des plus grandes au plus petites. Elles devraient bientôt sortir un document qui explique de quelle façon elles opérationnalisent l'Accord de Paris [...] A l'AFD, nous sommes arrivés au cap suivant, car nous avons adoptée une approche « 100% Accord de Paris », ce qui signifie que chacune de nos opérations passe par un filtre qui nous permet de juger si un investissement est climato-compatible.

Quel serait un exemple de partenariat entre BPD sur un projet à impact et climato-responsable, conduit récemment en Afrique ?

L'AFD travaille beaucoup avec la DBSA, la BOAD et de nombreuses banques africaines de développement. Dans le cadre du Projet TFS [Transforming Financial System for Climate, ndlr], nous avons été chercher du Fonds vert pour le climat en cofinancement, destiné à un grand programme conduit à travers 16 pays d'Afrique, qui vise à faire des lignes de crédits dans les banques publiques et privées, servant des projets climats. Nous avons injecté environ 750 millions d'euros de finances concessionnelles. Nous avons participé à transformer le système financier, car à travers cette opération, certains des financements ont transité par la DBSA, la BOAD ou encore par la Banque égyptienne de développement.

Quels ont été les principaux impacts de la pandémie de la Covid-19 sur les BPD ?

L'idée du sommet est née il y a près d'un an, juste avant l'arrivée de la pandémie. Or, les BPD ont joué un rôle immense et contracyclique de soutien à leur économie en 2020. Depuis le début de la pandémie, les BPD se sont beaucoup développées. Certaines ont enregistré une croissance de 20% comme la Banque du Conseil de l'Europe, qui représente 4 Mds d'euros de décaissements par an en moyenne et qui réalisera cette année, 6,6 Mds d'euros. La KfW est venue au secours de l'économie allemande. Les autorités outre-Rhin avaient d'ailleurs déclaré au plus fort de la crise qu'il n'y avait pas de plafond pour les financements de la KfW en Allemagne.

Nous avons réalisé un monitoring de toutes les actions en réponse à la pandémie de la Covid19 qui seront annexées à nos documents lors du Sommet. De nombreux financements à impact durable ont été mis en œuvre pour faire face à la crise. Nous voulons nous assurer que tous les financements déployés à l'échelle cette année soient compatibles avec une vision de long terme. L'urgence et l'action de court terme doivent être compatibles avec les objectifs ODD.

Ce Sommet consacré aux banques publiques de développement est-il amené à se pérenniser ?

Cet événement n'est pas un « One off Event », car nous souhaitons effectivement, qu'il s'inscrive dans le temps. Nous allons lancer une dynamique à travers plusieurs événements en 2021, qui permettront de donner de l'écho à ce 1er Sommet des BPD, que ce soit en Chine avec la COP15 ou à Glasgow avec la COP26 ou encore via le Forum Génération Egalité. Des rencontres régulières entre les BPD pourront mesurer la progression de nos objectifs. Notre ambition est donc d'organiser ce type d'événement à échéances régulières et la coalition qui émergera du 1er Sommet Finance en Commun, sera chargée d'organiser les prochaines rencontres.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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