Sira Sylla : « La bi-bancarisation accélère l'inclusion financière des Africains dans leur pays d'accueil »

La députée LREM de Seine-Maritime lance un appel pour défiscaliser les transferts financiers et entend accélérer la bi-bancarisation entre la France et l'Afrique. Elle déposera un amendement dans les jours à venir, pour sauver une manne financière qui devrait chuter de 23 % cette année en Afrique subsaharienne, selon la Banque mondiale.
(Crédits : S. Sylla)

La Tribune Afrique - C'est dans un contexte de pandémie mondiale que vous avez appelé à défiscaliser les transferts d'argent des migrants et des diasporas. Quels ont été les impacts de la Covid-19 sur ces transferts?

Sira Sylla - Les membres des diasporas -étrangers ou Français d'origines étrangères- ont été durement impactés par la crise sanitaire de la Covid-19. Certains d'entre eux ont été dépourvus d'activité professionnelle. Cela s'est traduit par une baisse de leurs revenus qui s'est répercutée sur le montant de leurs transferts financiers vers l'Afrique. Ces fonds représentent l'équivalent de 2 fois le montant de l'aide publique au développement [APD, ndlr]. Cet argent permet d'assurer le quotidien des populations et contribue à hauteur de 20 % au développement local. Nous demandons donc une défiscalisation temporaire des transferts financiers des migrants et le renforcement de la bi-bancarisation entre la France et l'Afrique, sur le long terme.

De quelle manière le coût de cette initiative serait-il supporté?

Cette mesure serait financée par l'Etat français. N'oublions pas que de nombreux travailleurs d'origines étrangères ont été mobilisés pendant le confinement, que ce soient des personnels soignants comme le premier médecin d'origine malgache à succomber au Coronavirus, des éboueurs ou des caissières. Cette mesure serait donc à la fois une forme de reconnaissance de la France pour leur contribution essentielle pendant la crise sanitaire, mais surtout un véritable outil d'appui au développement.

Que vous a répondu Bruno Le Maire à la lettre envoyée le 23 avril dernier pour demander la défiscalisation des transferts d'argent et le renforcement de la bi-bancarisation?

Nous n'avons pas encore reçu de réponse de Bruno Le Maire. J'ai eu deux entretiens téléphoniques avec son cabinet puis un rendez-vous avec un responsable du Trésor, suivi le 10 juin dernier, d'une autre réunion avec le Trésor et le bureau D1 de la législation fiscale. Concernant la défiscalisation, on ne m'a opposé que des arguments négatifs, tels que le principe d'égalité devant l'impôt, le risque de contagion à d'autres formes de frais personnels, la « problématique » conservation des justificatifs, etc. On a également indexé le fait que le crédit d'impôt maintiendrait des prix anormalement élevés et que cela représenterait un appel d'air pour augmenter les commissions... Je vais donc déposer un amendement relatif au projet de loi de finances rectificative dans les jours à venir.

C'est en Afrique que les frais relatifs aux transferts d'argent sont les plus élevés, dépassant les 10 %, alors que l'ONU a fixé un objectif de développement durable à 3 % d'ici 2030 : n'est-ce pas à la réduction pérenne des frais sur le long terme qu'il faut avant tout s'atteler?

Précisément, bien que nous soyons encore loin de cet objectif défini par l'ONU [...] Nous considérons que la bi-bancarisation reste la clé pour accélérer l'inclusion financière des populations africaines dans leur pays d'accueil, mais aussi dans leur pays d'origine. Les banques africaines pourraient développer leurs services sur le territoire français d'une part, tandis que le financement des économies africaines par la diaspora serait facilité d'autre part. Cela constituerait également un outil de traçabilité des fonds, utile dans la lutte contre le blanchissement d'argent et contre le terrorisme. Enfin, ce dispositif permettrait d'alléger le poids de l'aide publique au développement dans le budget des Etats contributeurs.

A ce jour combien de députés ont cosigné cette tribune?

59 députés ont signé cette tribune, soit près de 15% de l'hémicycle, ce qui est notable concernant les sujets africains. Parmi les signataires, on retrouve des profils très différents, qu'ils soient membres de la diaspora ou non, comme Vincent Ledoux, député du Nord, Rodrigue Kokouendo, députée de Seine-et-Marne, Anissa Khedher, députée du Rhône ou encore Cédric Villani, député de l'Essonne.

En 2019, les transferts représentaient 86,2 milliards d'euros sur le continent, selon la Banque mondiale. Comment faire en sorte que cet argent soit davantage réinvesti dans le développement?

Il existe des initiatives comme le Plan d'appui aux initiatives solidaires de développement au Sénégal par exemple, capable de mobiliser et de soutenir les actions de solidarité et les initiatives économiques de la diaspora vers leur pays d'origine [e PAIS est une initiative du Sénégal, de l'Union européenne et de l'Agence française de développement). Un projet d'autoroute est en cours dans le cadre de ce programme. La bi-bancarisation permet d'accélérer ce type de projets. Pourtant, on m'a opposé la non-conformité de la bi-bancarisation avec les normes de l'UE ainsi qu'un retour d'expérience mitigée. En 6 ans, l'APCR [L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en charge de la surveillance de l'activité des banques et des assurances en France, ndlr] n'a délivré que 2 autorisations pour des banques marocaines.

Vous vous êtes exprimée sur la nécessaire réforme de la politique migratoire. Quel regard portez-vous sur la stratégie européenne et sur ses impacts en Afrique?

Force est de constater qu'il n'y a eu aucune politique migratoire commune au niveau européen (...) Il faut sortir du postulat selon lequel les Africains cherchent tous à partir de chez eux. Ils partent souvent contraints et désirent généralement rentrer. Nous avons changé d'époque, l'avenir est aux « allers-retours » et plus à l'aller simple post-seconde guerre mondiale, où les Africains venaient participer à la reconstruction de la France (...) Développons les partenariats avec les pays africains pour permettre aux populations de rester vivre chez elles décemment et pour éviter qu'elles ne meurent noyées en Méditerranée ou finissent par dormir dehors, porte La Chapelle.

Le président Emmanuel Macron cherche à établir une nouvelle relation avec les pays africains. Quelles sont les nouvelles dynamiques observées?

Aujourd'hui, la France n'est plus spécialement attendue en Afrique, dépassée par de nouveaux acteurs comme la Chine. Ne laissons pas notre avantage comparatif disparaître sans réagir. Emmanuel Macron a pris plusieurs mesures comme la création du Conseil présidentiel pour l'Afrique, composé de membres issus de la société civile. Des cursus affiliés à l'école Polytechnique sont désormais disponibles sur des campus en Tunisie et au Sénégal et nous souhaitons qu'à terme, des Français puissent également étudier sur le continent. Par ailleurs, les premières restitutions de biens culturels et artistiques au Bénin, tout comme la réforme du franc CFA me semblent être des avancées significatives en termes d'évolution des relations franco-africaines.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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