Vanessa Moungar : « Le genre n'est pas une question de morale mais relève de l'économie »

Récompensée le 21 avril du prix les Margaret de la Journée de la femme digitale (JFD) dans la catégorie Intrapreneur Afrique, Vanessa Moungar, directrice de la Division Genre, femmes et société civile à la Banque africaine de développement (BAD), revient sur la stratégie du groupe pour promouvoir l'égalité sur le continent, en cette période de pandémie mondiale...
Vanessa Mounga est directrice de la Division Genre, femmes et société civile à la Banque africaine de développement (BAD),
Vanessa Mounga est directrice de la Division Genre, femmes et société civile à la Banque africaine de développement (BAD), (Crédits : BAD)

La Tribune Afrique - De quelle manière votre parcours personnel et votre formation professionnelle vous ont-ils conduite à travailler sur les questions liées au genre ?

Vanessa Moungar - De père chirurgien tchadien et de mère infirmière française, j'ai bénéficié d'une double culture dès mon plus jeune âge. Très tôt, j'ai intégré la réalité de l'injustice sociale qui m'a certainement influencée dans mes choix professionnels futurs. Mes parents m'ont baigné dans une grande générosité mais également dans le souci de nourrir une ambition pour le continent africain [...]

Après un baccalauréat littéraire, je me suis inscrite en école de Commerce. J''ai obtenu le MBA Institute du groupe INSEEC, une école franco-américaine basée à Paris. J'ai également obtenu un Master en Management de l'Université de Harvard. J'ai commencé ma carrière professionnelle au sein de la startup Terrafina [une société agroalimentaire américaine, ndlr]) que j'avais intégrée à l'occasion d'un stage et où je suis finalement restée 8 ans. C'est à travers le World Economic Forum (WEF) que j'ai ensuite commencé à travailler sur les questions liées au dividende démographique, aux femmes et à la jeunesse. Aujourd'hui, je dirige la stratégie liée au genre pour la BAD ou en d'autres termes, comment assurer l'égalité homme-femme sur le continent.

En Mauritanie, les lois ne permettent pas l'égalité des salaires et le Tchad est toujours classé parmi les pays les moins égalitaires, selon le dernier classement du Gender Parity Score de McKinsey : comment faire avancer la question du genre en Afrique?

Bien sûr, il y a encore beaucoup à faire mais la situation évolue. Le Tchad vient de bannir les mariages précoces et au Rwanda, plus de 60% du Parlement est composé de femmes. Ce pays a d'ailleurs voté une loi sur le droit à la propriété pour les femmes et l'inclusion financière des femmes est passée de 36% à 63% en moins de 5 ans (...) La conscience politique se développe autour de la question du genre en Afrique et la BAD reçoit de nombreuses demandes d'appui pour accompagner les gouvernements dans leurs réformes liées au genre [...] Si les femmes africaines représentent les piliers des économies du continent, il faut néanmoins faire tomber un certain nombre de barrières auxquelles elles restent confrontées pour accéder aux ressources productives (formation, information et financements) car il est impératif d'arriver à un accès égal aux opportunités entre les hommes et les femmes.

Quelles sont les grandes tendances observées lors du dernier Global Gender Summit ?

Le Global Gender Summit est une plateforme commune aux banques multilatérales de développement (Banque mondiale, BAD, Banque asiatique de développement...) qui permet de partager les pratiques internationales et d'accélérer les investissements à l'égard des femmes. Pour la 1ère fois, le Global Gender Summit s'est déroulé en Afrique l'année dernière. Kigali a accueilli près de 1.400 participants pour un évènement prévu à l'origine pour 400 personnes. C'était un franc succès qui a vu le lancement du programme AFAWA et de l'indice sur le genre en Afrique (...) La question du genre est relativement hétérogène sur le continent. Les indicateurs dont nous disposons révèlent des retards de certaines régions comme le Sahel ou l'Afrique centrale, notamment en termes d'éducation et de représentation. A contrario, en Afrique australe ou même en Afrique de l'Ouest, des efforts soutenus ont été enregistrés. Le Rwanda est un des pays les plus en avancés en termes de régulation sur le continent, mais beaucoup de progrès restent à accomplir.

Quelle est la stratégie déployée par la BAD en matière de genre et avec quels moyens ?

La BAD a développé 2 grands axes. Premièrement, le mainstreaming ou l'intégration systématique du genre. La Banque investit entre 8 et 10Mds USD sur le continent chaque année, et nous nous assurons de l'intégration des questions de genre à travers les projets en matière d'infrastructures, d'agriculture, d'énergie ou d'éducation. Deuxièmement, la BAD met en place des projets ciblés comme AFAWA [Affirmative Finance For Women in Africa, ndlr] favorisant l'accès des femmes au financement en Afrique, qui dispose d'un mécanisme de garantie pour couvrir les risques des prêts faits aux femmes. Nous avons notamment mobilisé les pays du G7, autour de cette initiative. Enfin, la BAD est très active en matière de recherches et de données désagrégées, ce qui nous permet d'alimenter le dialogue politique [...] Le genre n'est pas qu'une question morale mais relève de l'économie.

Le 21 avril dernier, en recevant le Prix les Margaret Intrapreneur, vous êtes devenue à votre tour, un « role model » pour une nouvelle génération. Dans quelle mesure la digitalisation peut elle accompagner l'autonomisation et l'entrepreneuriat des femmes en Afrique ?

J'ai été surprise de recevoir cette récompense mais ravie. Toutefois, au-delà de la reconnaissance, c'est la responsabilité qu'elle suppose qui m'importe le plus. Les filles sont encore trop peu nombreuses à intégrer les filières STEM (Science, technologie, ingénierie et mathématiques) en Afrique pourtant, nous ne devons pas manquer cette 4 révolution industrielle car le digital est un accélérateur extraordinaire de développement. A titre personnel, j'ai eu beaucoup de « role models », à commencer par mes grand-mères. Il y a des exemples anonymes partout, il suffit juste de les voir [...] Au niveau de la BAD, nous intervenons en matière d'infrastructures digitales et de formations notamment. La Banque a lancé une nouvelle opération lors du dernier Gender Summit, « 50 Million African Women Speak », une plateforme online dédiée aux femmes entrepreneures, qui centralise les informations financières et non financières de plusieurs Etats africains, pour favoriser l'autonomisation et l'entrepreneuriat des femmes en Afrique. Ce système déployé dans une trentaine de pays, est financé par la BAD et mis en œuvre par les organisations régionales : CEDEAO, COMESA et EAC.

Le monde fait face à la pandémie de Covid-19 : quelles sont les dispositions prises par la BAD pendant cette période sanitaire particulière ?

Aucun d'entre nous n'était préparé à cette pandémie et il nous a fallut réagir très vite pour réorganiser toutes nos opérations et notre programme de l'année. La BAD a également débloqué un fonds de 10Mds USD pour aider les pays membres à lutter contre l'épidémie de Covid-19 [...] Dans un pays comme l'Egypte, le personnel soignant féminin atteint 91%. De façon plus transversale, le Covid-19 aura des impacts en matière de pauvreté or, nous savons que les femmes et les jeunes restent les populations les plus vulnérables.

Vous êtes membre du Conseil présidentiel pour l'Afrique (CPA). Quel regard portez-vous sur la désaffection grandissante de certaines populations africaines à l'égard de la France et quel rôle peut jouer le CPA pour améliorer cette relation franco-africaine ?

Rejoindre le CPA représentait justement une opportunité pour moi, de contribuer à la reconstruction d'un avenir différent. Nous avons une histoire commune lourde avec les pays africains francophones... On ne peut pas ignorer le passé mais il nous faut regarder de l'avant ! Le CPA a été créé pour repenser la relation entre la France et le continent africain. L'idée est de soutenir des solutions locales plutôt que d'imposer des directives venues de l'étranger, pour établir un partenariat « gagnant-gagnant ». Nous sommes d'ailleurs très mobilisés autour des impacts du Covid-19 en Afrique et en particulier sur l'engagement des sociétés civiles et de la diaspora africaine pour lutter contre l'épidémie.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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