Charles-Henri Malécot  : « La crise ne ralentira pas notre processus de décision »

Alors que l'arrivée du Covid-19 a bouleversé les agendas, les investissements de STOA ne sont pas ralentis pour autant selon Charles-Henri Malecot, directeur général de ce fonds créé en 2017 pour financer les infrastructures dans les pays en développement, qui devrait bientôt annoncer de nouveaux engagements sur le continent.
(Crédits : STOA)

STOA, filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et de l'Agence française de développement (AFD) a vu le jour avec un capital de 600 millions d'euros. Jusqu'à présent, comment ces fonds ont-ils été répartis ?

Charles-Henri Malécot : STOA, qui signifie le « péristyle » en grec ancien, renvoie aux infrastructures essentielles que nous finançons dans les pays en développement. Nous avons décidé d'orienter au moins 50% de nos investissements en Afrique. Actuellement, nous menons un projet de fibre optique dans les principales agglomérations d'Afrique du Sud, avec la société MFN [Metro Fiber Networks INC, ndlr], dans laquelle nous avons pris une participation de 25 millions d'euros. Nous sommes également actionnaires à hauteur de 10% du Terminal portuaire d'Owendo à Libreville, au Gabon. Opérationnelle depuis 2 ans, cette infrastructure est une porte d'entrée et de sortie essentielle pour le pays et pour sa zone spéciale de Ngok [667 000 tonnes de marchandises transportées en 2019, ndlr].

A travers la GSEZ [Gabon Special Economic Zone, ndlr], nous avons participé à la création de 6 000 emplois directs et indirects. Nous avons également investi plus de 33 millions d'euros dans le barrage de Nachtigal au Cameroun qui permettra à terme de fournir près de 30% de l'électricité à bon marché, au niveau national. Nous sommes aussi entrés dans le capital d'un partenaire canadien [25% du capital, ndlr] pour construire une ferme éolienne d'une capacité de 150 MW avant la fin 2020 au Malawi, et de 500 MW à l'issue des travaux. Par ailleurs, nous avons encore plusieurs projets à venir sur le continent.

De quelle façon votre stratégie d'investissement sur le continent a-t-elle évolué depuis 2017 ?

Nous avons investi 220 millions d'euros en deux ans, soit environ 100 millions d'euros par an, dont 60% en Afrique. Nous sommes présents en Afrique du Sud, au Gabon, au Malawi, au Cameroun, mais nous regardons dans toutes les zones, car nous n'avons aucune priorité géographique. Au niveau des secteurs, nous nous concentrons sur les transports, l'énergie et les télécommunications. Parallèlement, nous nous intéressons de plus en plus aux projets sociaux - santé et éducation - et environnementaux - eau, assainissement et déchets -. Naturellement, nous choisissons les projets en fonction de leur rentabilité, car nous investissons comme un fonds d'investissement privé. Le second critère d'identification est l'impact, que ce soit en termes de création d'emploi, d'environnement ou d'électrification.

Alors que Proparco investit sur des tickets de 2 à 15 millions d'euros, STOA intervient à partir de 10 millions d'euros à 50 millions d'euros sur des projets plus importants. Cette initiative de l'Etat pour investir en fonds propres dans les pays du Sud se déclinera-t-elle en STOA 2?

Si nous investissons 10 millions d'euros en capital en statut minoritaire dans un projet, cela signifie que le projet recouvre un périmètre d'au moins 100 millions d'euros et de tels projets se financent à 20% en équité et 80% en dette. L'effet de levier de notre investissement nous permet de financer des projets très importants. Nous sommes un investisseur de long terme, ce qui nous permet d'accompagner la vision de la France dans ses politiques globales (...) Dès l'année prochaine, se posera en effet, la question de la réalimentation de la levée d'un STOA 2. La question reste ouverte, mais nous pensons que le rythme de décaissement actuel le justifierait.

Le manque d'investissement dans les infrastructures africaines dépasse 120 millions de dollars par an. Comment expliquez-vous qu'en dépit des milliards investis depuis des décennies, les écueils persistent dans de telles proportions ?

Le besoin d'infrastructures en Afrique reste considérable pourtant, les fonds qui existent ont beaucoup de mal à trouver les bons projets. Par exemple, Africa50 [la plateforme d'investissement dans les infrastructures de la Banque africaine de développement, ndlr] a levé près de 1 milliard d'euros et je ne suis pas sûr qu'ils aient investi plus de 100 millions d'euros pour l'instant... Les besoins et l'argent sont là, mais il est difficile d'identifier les projets bancables. Cela tient bien souvent aux règles juridiques et réglementaires. Toutefois, de nombreux pays sont en train de revoir leurs législations [...] STOA suit des directives strictes. Nous nous référons notamment aux Operating Principles for Impact Management élaborés par l'IFC de la Banque mondiale, qui suivent une feuille de route rigoureuse pour un investissement d'impact efficace et des projets à co-bénéfice climat.

Les « Operating Principles for Impact Management » ne reflètent-ils pas un glissement des ESG (Environmental, Societal and Governance) vers les stratégies à impact ?

Précisément, bien que les deux aspects ne soient pas incompatibles. Jusqu'à récemment, les risques ESG se concentraient surtout sur le respect des normes environnementales alors que les « Operating Principles » doivent désormais produire une valeur positive, sans se limiter à faire disparaître les seuls impacts négatifs.

De quelle manière la pandémie de Covid-19 a-t-elle affecté vos activités ?

Cette crise sanitaire va nous conduire à revoir notre mode de fonctionnement. Nous suivons au quotidien, les conséquences du Covid-19 sur nos investissements et nous sommes en relation permanente avec nos partenaires locaux. Les travaux du barrage de Nachtigal au Cameroun sont à l'arrêt, tout comme les éoliennes au Malawi. Cette crise ne sera pas sans conséquence non plus, sur le chiffre d'affaires du terminal d'Owendo.

Nous pensons enregistrer 6 mois de retard sur nos projets. Un problème de trésorerie va se poser, il nous faut donc réagir très vite. Toutefois, la crise ne ralentira pas notre processus de décision. Nous devrions d'ailleurs annoncer de nouveaux investissements en Afrique, dans les semaines à venir [...] L'investissement privé est absolument fondamental et nous aurons un rôle à jouer pour accompagner ces pays après la crise, car la plupart des Etats dans lesquels nous investissons devraient être confrontés à des problèmes budgétaires importants. Les pays en développement auront du mal à sortir de cette situation et on craint l'explosion de la dette.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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