Marina Diboma : « Nous ne sommes pas présents en Afrique uniquement pour investir »

Si les Néerlandais sont mondialement connus pour leur horticulture, ce que l'on sait moins, c'est que ces fleurs viennent du Kenya ou d'Ethiopie. Marina Diboma, DGA du Netherlands African Business Council (NABC) revient sur la stratégie africaine des Pays-Bas. Second exportateur mondial de produits agricoles, le « pays des fleurs africaines » multiplie les investissements sur le continent, en particulier dans le secteur agricole...
Marina Diboma, DGA du Netherlands African Business Council (NABC).
Marina Diboma, DGA du Netherlands African Business Council (NABC). (Crédits : NABC)

La Tribune Afrique - Que recouvrent les activités du cabinet Netherlands African Business Council (NABC) ?

Marina Diboma - Cette organisation est l'équivalent du patronat néerlandais pour l'Afrique. Notre objectif repose sur le renforcement des relations entre les Pays-Bas et le continent. NABC a été créé en 1946 et réunit un réseau de 350 membres environ, composé de multinationales, mais aussi d'institutions financières, de PME, de startups ou encore d'ONG.

Avec 64 milliards de dollars, les Pays-Bas sont devenus les seconds pourvoyeurs d'Investissements directs étrangers (IDE) en Afrique, selon la CNUCED. Quels sont les secteurs d'activité qui supportent ces investissements ?

Ils sont majoritairement orientés dans l'agrobusiness [deuxième exportateur mondial de produits agricoles derrière les Etats-Unis, ndlr]. L'Afrique de l'Est alimente notre marché horticole. Les Pays-Bas sont connus comme de grands exportateurs de fleurs, mais l'essentiel de cette production arrive du Kenya ou d'Ethiopie [...] Parallèlement, nous disposons d'acteurs importants engagés sur le continent comme le groupe néerlando-britannique Unilever, Heineken [partenaire de Coca-Cola sur le continent, ndlr] ou encore le producteur laitier Friesland Campina.

Quelle est la stratégie des Pays-Bas pour pénétrer les marchés africains ?

Nous sommes engagés dans le développement du savoir-faire au niveau local, pour soutenir toute la chaîne de valeur de façon inclusive. Nous ne sommes pas  présents en Afrique uniquement pour investir et c'est d'ailleurs de cette façon que nous nous démarquons des autres investisseurs sur le continent. Bien sûr, le business reste au centre de nos objectifs, mais notre vision repose sur du long terme et il nous semble indispensable d'investir dans le capital humain à travers les transferts de compétences.

Quelles sont les mesures incitatives développées aux Pays-Bas pour soutenir la relation néerlando-africaine ?

Nous nous appuyons sur l'agence, RVO, l'agence néerlandaise pour l'entreprise, qui soutient les entrepreneurs tournés vers l'international dans leurs recherches de financements et de partenariats commerciaux. Par ailleurs, nous disposons du Dutsch Good Growth Found (GDDF), un fonds qui octroie des crédits revolving aux opérateurs économiques néerlandais et qui leur propose une assistance technique. Il facilite également le crédit à l'export et l'octroi de financements pour les entreprises africaines désireuses de travailler avec leurs homologues néerlandais. Nous bénéficions également de programmes comme « Impact cluster », qui reposent sur les transferts de compétences.

Quels sont les principaux partenaires commerciaux africains des Pays-Bas ?

Je dirais le Nigéria, l'Ethiopie, le Kenya, la Côte d'Ivoire, l'Algérie et le Sénégal. L'Afrique du Sud est un cas particulier, en raison de notre Histoire commune. Plusieurs entreprises néerlandaises y sont très actives, notamment dans les secteurs agroalimentaires, logistiques et maritimes (...) Les activités du cabinet NABC sont relativement réduites en Afrique du Sud. Il est important de renforcer notre présence dans des pays où nous sommes peu présents comme au Nigéria qui compte 200 millions d'habitants.

A travers les transferts de compétences, les Pays-Bas sont également engagés dans la coopération et le développement sur le continent...

La politique de développement des Pays-Bas ne repose plus simplement sur de l'aide, mais sur la coopération afin d'accompagner les institutions locales telles que les Chambres de Commerce, les Agences pour la promotion de l'Investissement et les ministères concernés, afin qu'ils deviennent des interlocuteurs efficaces pour les acteurs locaux et internationaux. La transformation économique d'un pays dépendra avant tout des acteurs locaux et pas seulement des fonds venus de l'extérieur.

Qu'attendez-vous de la zone de libre-échange continentale africaine (Zleca ?

Les échanges intra-africains restent très faibles [15,2 % entre 2015 et 2017 selon l'OCDE, ndlr]. La Zleca permettra aux Etats africains de renforcer leur compétitivité. Parallèlement, les investisseurs étrangers bénéficieront d'un cadre réglementaire qui facilitera leur implantation et le déploiement de leurs activités sur le continent. A moyen et long termes, on ne pourra plus opérer uniquement à partir des Pays-Bas, il faudra être présent sur le terrain pour développer nos relations commerciales avec les pays africains. La Zleca nous oriente vers cette perspective à laquelle nous préparons les opérateurs économiques néerlandais. Il faut y réfléchir dès maintenant et pas dans 10 ans, si nous voulons prendre le train en marche.

Comment sont perçues les discussions autour d'une monnaie unique d'une part, et l'abandon du F CFA d'autre part, depuis les Pays-Bas ?

Dans l'immédiat, ce n'est pas considéré comme une priorité pour nous. Nous avons placé le capital humain au centre de la transformation économique de l'Afrique. Il existe un réel déséquilibre dans le développement des savoir-faire en fonction des pays. Par exemple, si l'on trouve d'excellents techniciens ou des mécaniciens chevronnés au Cameroun, ils font cruellement défaut au Gabon qui n'a pas développé ce type de métiers. Pourtant, il reste encore difficile pour un Camerounais, de s'installer au Gabon en raison de la complexité d'obtenir un permis de travail. La libre circulation nous semble donc plus urgente que la création d'une nouvelle monnaie. D'ailleurs, lorsque l'on pose un regard rétrospectif sur la construction de l'Union européenne, Schengen a précédé l'Euro.

Quelle est la perception du continent africain par le quidam néerlandais ?

L'Afrique reste le continent de la pauvreté et des pandémies dans l'inconscient collectif néerlandais. NABC cherche à raconter l'Histoire des pays africains et à présenter leurs potentiels [...] « Africa Works » est une conférence internationale annuelle qui participe à faire évoluer cette perception de l'Afrique. La prochaine édition se tiendra les 8 et 9 juin 2020 sur le thème de l'innovation [...] Le gouvernement a développé une vision sur l'Afrique et le grand patronat des Pays-Bas [VNO-NCW] a piloté cette stratégie, avec les contributions de NABC, de la banque néerlandaise de développement [FMO], de la fédération des employeurs des Pays-Bas, du PUM [« Programme de déploiement des directeurs » qui conseille experts et entrepreneurs, ndlr] et de NL Business (secteur privé néerlandais dédié à l'international). La société civile a également contribué à l'élaboration de cette nouvelle vision [...] En dehors du business, il est question de migration circulaire. Nous partons du principe que les sociétés néerlandaises auront besoin d'une main-d'œuvre qualifiée pour soutenir leurs investissements sur le continent, c'est pourquoi nous voulons faciliter la possibilité pour les jeunes professionnels africains de venir travailler et se former aux Pays-Bas. Pour s'implanter sur un marché, il faut en comprendre les sensibilités.

Qu'est-ce qui justifie ce regain d'intérêt pour l'Afrique aux Pays-Bas ?

Il s'agit d'un phénomène observé un peu partout dans le monde et pas seulement aux Pays-Bas. Il y a eu récemment le Sommet de Sotchi en Russie, le Ticad au Japon, le Sommet Chine-Afrique et la France a également son sommet sur l'Afrique. NABC a d'ailleurs proposé, de faire d'Africa Words qui existe depuis 2011, le sommet néerlando-africain de référence.

Pourquoi avoir décidé de créer spécifiquement un forum des affaires pour l'Afrique francophone ?

Ce sont des réalités différentes de celles que l'on trouve en Afrique anglophone et à ce titre, elles nécessitent une approche particulière. Le FAB Forum (Francophone Africa Business- forum) est né en 2014, suite à une initiative du secteur privé dans les pays du Sahel. La prochaine édition se tiendra au second semestre 2020 [...] Les Pays-Bas étaient très peu connus dans les pays du Sahel quand l'initiative a été lancée, que ce soit au Niger, au Mali ou au Burkina Faso. Notre opération a porté ses fruits, car en 5 ans, plus de 100 entreprises néerlandaises ont déjà investi dans cette région.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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