Stéphane Colliac : «Les réticences à l'intégration, on peut les comprendre, mais pas les expliquer»

Dans la dernière édition de ses «Perspectives économiques mondiales», Euler Hermès s'attend à une accélération de la croissance Africaine à condition de booster l'intégration. Entretien avec Stéphane Colliac, économiste en chef pour l'Afrique chez Euler Hermes.
(Crédits : DR.)

La Tribune Afrique : Quel bilan peut-on tirer de l'évolution de la croissance africaine en 2018 ?

Stéphane Colliac : La croissance africaine a été décevante cette année. Le paradoxe, c'est qu'en dépit de la hausse des matières premières enregistrée durant la majeure partie de l'année, il y a eu parallèlement un ralentissement de la croissance dans de grandes économies du Continent. C'est le cas par exemple de l'Afrique du Sud, de l'Angola, du Nigéria ou de l'Algérie. Il est vrai qu'il y a des pays ou des régions comme le Sénégal ou la Côte d'Ivoire en Afrique de l'Ouest, ainsi que le Kenya ou le Rwanda en Afrique de l'Est, où la croissance enregistre une bonne dynamique et ces pays continuent de se développer.

De cette situation, quelles sont les perspectives pour 2019 ?

Les perspectives pour 2019, c'est une accélération de croissance, mais avec toujours les mêmes maillons faibles. Certains pays vont continuer à croître alors qu'en Afrique du Sud par exemple, la croissance n'excédera pas 1 %, ce qui n'est pas satisfaisant. Il y a toutefois des pays à la croissance intermédiaire, comme le Maroc, où malgré les 3 % projetés, on observe une économie qui se développe, surtout au niveau des exportations, donc qui se traduit par un changement de contenu en termes de croissance. C'est cette transformation qu'il faut pour les économies africaines parce que l'avenir du Continent, c'est de s'intégrer commercialement et de croître ensemble.

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L'un des facteurs à risque serait la persistance de la guerre commerciale lancée par les Etats-Unis. Jusqu'à quel degré cela pourrait-il affecter la croissance africaine ?

Ces risques sont forts. Le risque principal, c'est celui du tarif automobile américain sur les importations en provenance de l'Europe qui aurait des conséquences sur l'industrie automobile mondiale. Les conséquences en termes de croissance sur les économies avancées impliqueraient une forte baisse de la demande en matières premières. Et c'est là que l'Afrique serait impactée par un phénomène de volume et aussi de prix. Si cette guerre commerciale se renforce, l'impact serait plus prononcé et le Continent pourrait frôler la récession.

En 2019, la ZLECAF devrait entrer en vigueur, suscitant un nouvel espoir pour le développement du commerce intra-africain. Comment cette zone peut véritablement stimuler le commerce continental ?

D'un point de vue théorique, on pourrait dire que les opportunités sont extraordinaires parce que justement, on n'a pas d'intégration commerciale dans la zone. Le chemin, c'est d'avoir moins de tarifs douaniers et promouvoir l'intégration entre les pays africains afin d'atténuer l'exportation de plus de 80 % de la production vers l'Europe, la Chine ou les Etats-Unis. Sauf qu'il ne suffit pas de mettre en place une zone de libre-échange ; il faut aussi que toutes les mesures de facilitation de commerce, de réduction de temps passé en douane ou de simplification des procédures soient adoptées et exécutées pour accompagner le processus.

Malgré ces opportunités, certains pays comme le Nigéria ou l'Algérie restent réticents à ouvrir leurs marchés...

Les réticences sont compréhensibles, mais non justifiées, dans le sens où des pays comme le Nigéria et l'Algérie sont parmi les pays qui ont le moins décidé des réformes ces dernières années et ont donc plus de problématiques de compétitivité et restent dépendants de leurs matières premières. C'est des raisons pour lesquelles ces pays ont besoin de protection aujourd'hui. Cependant, ces pays ne peuvent pas opter pour une stratégie de «dépétrolisation» et de «dégazéification», et avoir d'autres secteurs porteurs. Parce que même sans la zone de libre-échange, ils resteront dans une croissance anémiée à l'avenir, ce qui fait qu'il n y a pas d'autres alternatives que l'intégration pour développer l'Afrique. Les réticences, on peut les comprendre, mais pas les expliquer.

Propos recueillis par Aboubacar Yacouba Barma

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