Christophe Viarnaud : «Le futur de l'Afrique va passer par la révolution énergétique, la révolution de l'agriculture et la révolution de l'éducation»

Christophe Viarnaud est le fondateur de Methys, une entreprise spécialisée dans la digitalisation des entreprises et qui emploie plus d’une centaine de personnes dans 5 pays. Après une quinzaine d’année en Afrique, il apprécie la qualité et la flexibilité des entrepreneurs africains dont ses collaborateurs à la tête de startups bénéficiaires des services l’incubateur de son groupe appelé «French South African Tech Lab» (FSATLab). Mais ces entrepreneurs ont un manque significatif de fonds déplore-t-il. Afin de contribuer à faire connaitre les innovations africaines auprès de grands groupes mondiaux et d’attirer les investissements, FSATLab a initié la conférence Africarena 2018, qui se tiendra du 14 au 15 novembre 2018, à Cap Town en Afrique du Sud. Interview.
Christophe Viarnaud est le fondateur de Methys, une entreprise installée au Cap Town en Afriqueb du Sud et spécialisée dans la digitalisation des entreprises et qui emploie plus d’une centaine de personne dans 5 pays
Christophe Viarnaud est le fondateur de Methys, une entreprise installée au Cap Town en Afriqueb du Sud et spécialisée dans la digitalisation des entreprises et qui emploie plus d’une centaine de personne dans 5 pays (Crédits : DR)

La Tribune Afrique : Quelles sont vos différentes activités au sein de Methys ?

Christophe Viarnaud : Methys aide un certain nombre d'entreprises, des grandes, des sociétés de taille modeste ou des startups ainsi que des fonds d'investissements à se digitaliser. Nous travaillons avec trois types de clients. Nous aidons les startups à construire une partie de leurs produits digitaux et nous aidons les grands groupes à faire de l'innovation autour de la digitalisation en s'appuyant notamment sur le travail que nous faisons avec les startups. Aussi pour des raisons historiques, nous avons des activités dans la digitalisation des fonds d'investissements. Ce qui nous a permis de développer un réseau assez vaste de fonds d'investissements en Afrique et en Europe. Nous avons démarré il y a 8 ans avec un incubateur basé à Cape Town en Afrique du Sud. Aujourd'hui, nous avons une quinzaine de startups dans cet incubateur du Cap. Notre incubateur s'est développé progressivement. Il y a deux ans, le gouvernement Sud-Africain a décidé de rentrer dans le capital de l'incubateur en mode Joint-Venture. A ce moment, notre incubateur a été renommé French South African Tech Lab (FSATLab). L'investissement s'est fait via l'agence de développement Sud-africain appelée la SEDA et est constitué d'un fonds de 700 000 euros sur une période de trois ans. Cela nous a permis d'accueillir de nouvelles startups mais aussi de disposer d'un programme d'accélération. Aujourd'hui, l'incubateur permet à des jeunes de développer leur startup sur une période de 6 mois. S'ils dépassent l'étape des prototypes, on leur offre un ticket de 30 000 euros pour accélérer le développement de leur produit. Ensuite, nous avons un programme d'accompagnement de deux ans qui les accompagne jusqu'à la levée de fonds et le lancement de leurs produits sur le marché. Nous avons actuellement une quinzaine de startups dans des secteurs aussi différents que les blockhains, la gestion de l'énergie, les objets connectés, les fintech. Parmi ces startups, il y en une qui s'appelle Africarena.

Sur quels critères est basé le choix des startups ? Le choix est-il fait en fonction du secteur d'activité ou du pays d'origine des startups?

Pour le moment, les activités de FSATLab sont concentrées en Afrique du Sud. Les 15 startups évoquées sont tous des startups Sud-africaines ou franco-sud-africaines. En termes de secteurs, elles sont principalement dans la fintech, l'agritech, la blockchain ou l'énergie qui est une grosse problématique en Afrique du Sud et dans toute l'Afrique. C'est tout ce qui est optimisation et transactions autour de l'énergie. Nous sommes aussi axés sur tout ce qui est pré-paiement en Afrique du Sud avec des startups qui se sont positionnées sur ce créneau de l'optimisation de la gestion de l'énergie ou de l'eau. Il s'agit par exemple de Powertime, qui permet d'acheter rapidement des crédits d'électricité par SMS ou par application mobile.

Avez-vous l'intention d'étendre votre champ d'action à d'autres pays ?

Nous avons le projet d'étendre le périmètre d'opération de FSATLab. Nous travaillons sur un projet d'incubateur en Tunisie où Methys a déjà une implantation avec 25 ingénieurs basés à Tunis. Nous travaillons avec des entités comme Expertise France et d'autres partenaires pour développer un incubateur sur le même modèle en 2019 à Tunis. Nous croyons beaucoup à la Tunisie et à l'Afrique du nord en général. Pour moi, des pays comme la Tunisie, l'Algérie, le Maroc, l'Egypte sont des pays à fort potentiel. Le choix de la Tunisie comme première destination s'explique par le fait que nous y sommes déjà implantés, mais toute la zone offre de belles perspectives.

Qui sont les autres partenaires dans ces projets d'implantation en Afrique ?

Nous aimons bien travailler avec des modes mixtes publics-privés. Pour nous, le modèle que nous avons en Afrique du Sud a très bien fonctionné, parce que le public a un rôle clé à jouer dans l'amorçage et le lien entre la science et l'innovation. Les innovations les plus importantes on les retrouve souvent dans les universités. C'est là où il y a la recherche et les esprits parmi les plus brillants. En Afrique du Sud, FSATLab travaille en collaboration avec la Technologie innovation agency et SEDA pour constituer un seul bureau proposant aux startups un ensemble de services complètement intégrés. C'est-à-dire que dans l'incubateur, nous allons trouver en parallèle le service juridique, la comptabilité, la protection de la propriété intellectuelle, l'accès à des financements publics et privés. C'est un ensemble de gammes de services que nous essayons de proposer dans notre structure d'incubation. C'est ce que nous allons essayer de faire en Tunisie. C'est la raison pour laquelle nous travaillons à la fois avec les ministères tunisiens et des privés comme Expertise France, BPI et d'autres partenaires. Nous essayons aussi au niveau d'autres pays comme le Maroc, de tisser des liens avec des partenaires comme La Factory, un incubateur de haute qualité.

Le fait de travailler avec différents pays africains vous donne une visibilité sur les besoins et les secteurs clés. Pouvez-vous nous citer les secteurs porteurs et prioritaires pour les investissements dans les technologies, le numérique ?

Nous pouvons citer sur ce point trois secteurs clés à savoir, l'agriculture, l'énergie et l'éducation. Pour moi, par exemple, l'intelligence artificielle ou les IOT ne sont pas des secteurs mais des vecteurs. Je peux faire de l'innovation dans l'agriculture avec de l'intelligence artificielle. Je peux aussi faire de l'innovation dans l'électricité avec la blockchain ou la fintech. Ce sont les 3 secteurs où l'Afrique a de très forts besoins. Historiquement, l'Afrique a su innover. Si vous regardez le paiement par mobile, cela donne une idée de la créativité africaine. C'est la même chose dans le domaine de l'énergie où l'Afrique est moins avancée que beaucoup de pays en ce qui concerne les infrastructures électriques. Du coup, elle peut être en pointe sur tout ce qui est off grid, génération solaire, couplée avec des technologies comme la blockchain, on l'a vu avec des innovations d'entreprises comme M-Kopa au Kenya où l'on vend des kit solaires qui permettent à des familles d'être indépendantes pour leur génération énergétique et en payant pour leur installation solaire avec des modèles de traitement en utilisant toute une gamme de technologie. Ce sont là des innovations africaines qui peuvent inspirer en Asie et en Europe, aux USA. On retrouve également cette capacité d'innover dans le domaine de l'agriculture où les besoins sont énormes et stratégiques pour le futur, à la fois pour des raisons politiques, démographiques, géopolitiques, climatiques. Et dans ce contexte, il va y avoir un tas d'innovations dans l'agriculture au sens large du terme. L'Afrique est le Continent à la plus forte croissance démographique, avec 2 milliards de personnes en 2050 et 4 milliards d'habitant projetés à la fin du siècle. Elle a la population la plus jeune avec des enjeux de formation en primaire, secondaire et études supérieures, colossaux dans les années à venir. En ayant des infrastructures moins développées qu'ailleurs, nous avons la possibilité à travers des offres digitales et des nouvelles plateformes d'éducation, de nouvelles manières d'apprendre, de changer les choses. Des méthodes susceptibles d'être universalisées. Le futur de l'Afrique va passer par la révolution énergétique, la révolution de l'agriculture et la révolution de l'éducation. Si j'avais des secteurs à choisir, je choisirai ces trois-là, parce ce que ce sont trois domaines dans lesquels l'Afrique est en pointe dans l'innovation. Le Continent est idéalement placé parce que ses entrepreneurs sont les plus avancés dans ces domaines. Si vous êtes dans un pays développé, il est plus difficile d'innover dans ces secteurs parce que des infrastructures performantes sont déjà en place. Si une entreprise considère que l'Afrique va constituer la grande opportunité économique dans les prochaines années, c'est dès à présent qu'elle doit se positionner. C'est l'une des régions où la classe moyenne croit le plus rapidement possible au monde. Cette tendance va s'accélérer. C'est un Continent qui aura 50 villes de plus d'un million d'habitants, qui va connaitre une forte urbanisation. En termes d'opportunités économique, l'Afrique c'est l'Asie d'il y a 3 décennies. Les entreprises africaines et internationales doivent investir sur le Continent maintenant pour en saisir les opportunités. Je crois beaucoup à des entreprises africaines pour développer un marché en Afrique y compris avec le soutien et le partenariat de grands groupes internationaux. Il faut juste que les entrepreneurs africains pensent en termes globaux et se déploient dans solutions pour l'ensemble des pays du Continent.

Qui sont les investisseurs potentiels et quel est le volume des investissements dans les TIC?

L'Afrique attire aujourd'hui, en 2018, 500 millions de dollars d'investissement annuel dans le domaine des startups. Le Continent compte plus d'un milliards de personnes. Ce qui signifie que l'investissement dans l'innovation en Afrique est estimé à moins d'un dollar par personne.

En comparaison avec d'autres régions, que valent ces chiffres ?

En France, l'investissement dans l'innovation est de 60 dollars annuels par habitant. Le pays draine chaque année 2 milliards de dollars d'investissement dans les domaines de l'innovation. Le montant est encore plus élevé dans un pays comme les Etats-Unis. Ce qui signifie que l'Afrique dans son ensemble capte moins de 1% des investissements mondiaux dans le domaine des Tech, estimé à plus de 60 milliards de dollars annuels. La bonne nouvelle est que les choses progressent vite, à 50 voire 60% par an. On va atteindre environ 1 milliards l'année prochaine, même si l'on est très loin de la moyenne mondiale. Il faut accélérer le mouvement en créant des ponts, des passerelles pour attirer notamment des grandes entreprises internationales ; C'est important parce que qu'ils amènent non seulement des investissements mais aussi des accès à des marchés mondiaux. Quand un groupe comme Amazone ou Vinci Energies par exemple investissent en Afrique - ils l'ont d'ailleurs fait, Vinci Energies a investi au Maroc et Amazon en Afrique du sud- ce sont des investissements qui drainent de l'emploi et créent de la valeur. En plus, cela permet de développer des compétences, de les exporter et de créer un vrai dynamisme sur le marché. Ces investisseurs peuvent être des privés, des individuels, des fonds d'investissements ou des investisseurs en Joint-capital pour prendre le risque auprès d'entrepreneurs locaux et développer des startups de demain.

Et quels sont les secteurs qui intéressent le plus ce type d'investisseurs ?

Justement cela colle avec ce que je disais. Je vois beaucoup de groupes dans les domaines de l'énergie et tout ce qui est gestion de l'eau et de l'électricité. Les grands groupes s'intéressent beaucoup à tout ce qui se fait en Afrique en termes d'innovations. Nous faisons d'ailleurs un travail dans ce sens avec certains partenaires du secteur de l'énergie, dans le cadre d'Africarena. Vous avez dans le secteur financier de la fintech, de la transaction, de plus en plus d'activités. Mais à mon sens, il n'y en pas assez dans les deux autres secteurs, à savoir l'éducation et l'agriculture. Ce sont des secteurs largement sous investis. Il faudrait créer un fonds pour soutenir l'agriculture ou l'éducation en Afrique. En plus de l'électricité, l'agriculture et l'éducation, le quatrième secteur clé en Afrique est celui de la santé, il y a de plus en plus de grands groupes comme Merck, Sanofi qui sont de plus à l'offensive sur l'investissement et à soutenir l'innovation en Afrique, en investissant dans l'innovation avec des startups africaines.

Vous allez organiser la conférence Africarena 2018 du 14 au 16 novembre prochain à Cap Town en Afrique du Sud. Quel sera le rôle de l'événement dans le dynamisme pour le développement de l'innovation technologique en Afrique ?

Africarena part du constat que l'Afrique attire moins d'un ½ dollars par habitants et moins 1% des investissements mondiaux dans le domaine de l'innovation. Quand on analyse les raisons de cet état de fait, on se dit qu'on un besoin d'évangélisation. Il faut partir à la conquête des investisseurs et des grands groupes internationaux pour les faire venir en Afrique et créer une scène pour montrer la qualité extraordinaire des entrepreneurs africains, parce que ce sont les meilleurs entrepreneurs au monde. Ils sont capables de créer des solutions à partir de besoins profondément humains. Ce sont des entrepreneurs de l'humain. Ils sont habitués à innover avec peu de moyens. Ils sont très performants dans ce qu'ils font, car habitués à innover avec des moyens limités. C'est pour cela que nous avons senti qu'il y a besoin de créer l'événement ou une série d'événements accélérateurs d'écosystèmes et qui permettent de mettre en lumière les entrepreneurs africains devant de grands groupes internationaux. Le concept d'Africarena, c'est de créer et de trouver une série d'événements qui va permettre de trouver et de mettre en avant les meilleurs entrepreneurs africains et de les aider à trouver un accès au financement, aux marchés et aux partenariats pour le succès.

Qui seront les pays participants ? L'événement est-il ouvert aux startups de tous les pays ?

Nous avons lancé en avril l'Africarena Tour, qui est allée dans 9 pays d'Afrique. Nous avons fait des événements dans des lieux d'innovation comme Casablanca, Nairobi, Tunis, Lagos... Nous avons organisé des événements auxquels des entrepreneurs locaux ont pris part pour présenter leurs innovations sur les challenges d'open innovation que nous avons lancé en partenariat avec une douzaine de groupes internationaux dans les domaines du tourisme, de l'énergie, de l'éducation etc. Pour l'Africarena nous allons faire participer 80 startups de plus de 30 pays africains que nous allons faire venir à nos frais à Cap Town en novembre prochain, pour les faire "picther" devant les investisseurs. Le modèle d'Africarena est un modèle social dont le but est d'assurer un maximum d'opportunités pour les entrepreneurs. En deux voire trois jours, ils ont l'occasion de rencontrer 600 personnes, des contacts clés au niveau international dans l'innovation sur l'Afrique. C'est un événement d'envergure, sans équivalent aujourd'hui en Afrique, qui permet de maximiser les opportunités pour les entrepreneurs en Afrique.

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