Nessan Akemakou  : « La transhumance entre politique et économie est de plus en plus observable sur le continent africain »

Nessan Akemakou, enseignant-chercheur contractuel en Science politique à l'Université Toulouse. Il est également coordinateur des études du think tank L'Afrique des idées. Pour «La Tribune Afrique», il analyse les va-et-vient entre le monde politique et le business.
(Crédits : DR.)

La Tribune Afrique : Avec le mouvement des hommes d'affaires qui deviennent des hommes politiques, peut-on espérer un changement dans la façon de faire la politique en Afrique ?

Nessan Akemakou : Les hommes d'affaires performants ont des compétences et des ressources entrepreneuriales. Leurs capacités managériales sont des atouts qui peuvent servir en politique. Forts de leur réussite industrielle ou financière, ils peuvent se prévaloir de leur sens pratique et se poser en promoteur d'une façon de faire de la politique autrement. Or, dans la pratique, leur manière de faire de la politique et d'exercer le pouvoir ne diffère pas foncièrement de celle de leurs pairs non entrepreneurs, alors même qu'ils ambitionnaient de gérer le pays à la manière d'une entreprise. On peut illustrer ce point avec la présidence de Marc Ravalomanana et de son successeur Andry Rajoelina à Madagascar ou encore celle d'Uhuru Kenyatta au Kenya.

Le fait que les hommes d'affaires soient déjà fortunés peut laisser penser qu'ils seront moins enclins à verser dans le détournement de fonds publics qui est monnaie courante sur le continent. Rien n'est moins sûr. Quoi qu'il en soit, si des ressorts issus du monde de l'entreprise sont utiles dans la gestion des affaires publiques, un pays ne saurait être géré de manière pérenne comme une entreprise. Un conseil des ministres n'est pas un conseil d'administration et le peuple n'est ni un actionnaire, ni un client.

Pourtant, l'on n'observe pas le même mouvement chez les femmes d'affaires. Pourquoi ?

Alors que ce mouvement est d'ampleur chez les hommes, il est plus rare chez les femmes pour une raison sans équivoque. Le nombre de femmes dans le monde des affaires est encore trop modeste et en politique demeure trop infime. Des exceptions sont notoires : Isabel Dos Santos, fille de l'ex-président angolais, première fortune féminine africaine. Si elle n'a pas véritablement embrassé une carrière politique, elle ne doit sa nomination à la tête de la Sonangol qu'à l'influence de son père, d'où elle a été démise dans un climat de dénonciation du népotisme et de suspicion de détournements de fonds publics.

Pour les femmes africaines, le chemin qui mène au pouvoir est semé d'embûches, notamment en raison de la prégnance du patriarcat. La campagne de la femme d'affaires Esther Passaris pour le poste de gouverneur de Nairobi à l'orée de 2017 avait défrayé la chronique. En effet, lors d'un débat télévisé, son concurrent Miguna-Miguna a multiplié les injures et les remarques sexistes. Le comble de l'indécence est atteint lorsque, hors antenne, il affirme que tout le monde aimerait violer la femme entrepreneure en raison de sa beauté. Ce n'est, hélas, qu'un exemple parmi d'autres de femmes harcelées, intimidées et injuriées en raison de leur engagement politique et de leur genre.

Moins cité, le cas d'hommes du pouvoir politique qui rejoignent aussitôt après la fin de leurs fonctions, le monde du business...

Ce phénomène de transhumance entre politique et économie est de plus en plus observable sur le Continent. À la fin de leur carrière politique, les anciens responsables politiques lorsqu'ils ne rejoignent pas des institutions internationales ont tendance à intégrer des cabinets privés auxquels ils font profiter leurs relations. Ils capitalisent sur leurs carnets d'adresses.

L'ancien Premier ministre et candidat malheureux à l'élection présidentielle béninoise, Lionel Zinsou, est ainsi retourné dans le monde des affaires dont il est issu. TidjaneThiam illustre aussi ces trajectoires circulaires entre secteur privé et secteur public. Après une carrière au sein de McKinsey, il intègre le secteur public en étant notamment ministre du Plan et du développement en Côte d'Ivoire en 1998. Après la crise politique ivoirienne, il revient dans le privé et aujourd'hui, il est à la tête du Crédit suisse. Son compatriote Bernard Dossongui Koné se présente comme un cas similaire.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.