Pascal de Izaguirre  : «Il n'y a qu'en Afrique où la contrainte d'accords aériens bilatéraux existe encore»

Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair International, détaille dans cet entretien la stratégie africaine de cette compagnie aérienne, filiale du leader mondial du voyage, le Groupe TUI.
(Crédits : LTA)

LTA : Il y a cinq ans, vous avez décidé de miser sur l'Afrique. Pourquoi ?

Pascal de Izaguirre : Notre orientation vers l'Afrique a d'abord répondu à un souhait de diversification du réseau de Corsair qui est historiquement très appuyé sur les Antilles et l'Océan Indien. A un moment donné, il m'est apparu important de diversifier ce réseau. Nous devions alors faire un choix. Il est vrai que nous aurions pu aller en Asie ou aux Etats-Unis ou ailleurs, mais j'ai préféré l'Afrique, et ce, pour plusieurs raisons. Personnellement d'abord, je connais l'Afrique puisque j'y ai vécu pendant trois ans et demi entre 1989 et 1992, à Abidjan, lorsque je travaillais pour la compagnie Air Afrique. C'est donc un continent que je connais, que j'aime et auquel je suis attaché. Ce côté affectif et sentimental est important à mon sens.

Deuxièmement, je suis un afro-optimiste, c'est-à-dire que je crois en l'avenir de l'Afrique, je crois que c'est un continent qui a énormément de potentialités de développement et que ce potentiel pour de nombreuses raisons ne peut s'exprimer complètement. Et l'une de ces raisons concerne le transport aérien et l'offre aérienne. L'Afrique est certainement le continent où l'offre aérienne est la plus pauvre, la plus limitée en nombre de possibilités de dessertes, en nombre de vols et de tarifs. J'ai trouvé que l'ADN de Corsair correspondait très bien et qu'on serait tout à fait légitimes, crédibles et qu'on pourrait rencontrer le succès en desservant l'Afrique.

Dakar a été la porte d'entrée de cette expansion africaine. Qu'est-ce qui a justifié le choix de la capitale sénégalaise ?

Dakar est une destination que Corsair dessert depuis très longtemps. Je rappelle que Corsair était au départ la compagnie Nouvelles Frontières, laquelle a été très présente sur l'aspect développement du tourisme à Dakar avec des hôtels, hôtels-clubs, etc. Je rappelle également que le groupe TUI [désormais maison mère de Corsair, NDLR] y est également toujours très présent actuellement. C'est le premier tour opérateur français en termes de volumes, au Sénégal. Donc, au moment où nous lancions le vol direct Paris-Dakar en juillet 2012, il y avait déjà une partie du trafic touristique qui existait au profit de Corsair sous forme de vols charters. Les vols charters n'étant quasiment plus d'actualité, nous sommes, après mûre réflexion, passés en vols réguliers, sachant que nous pourrions compléter la clientèle touristique par d'autres types de clientèle.

En cinq-six ans, Corsair dessert seulement trois lignes de Paris vers Dakar, Abidjan et Bamako. Pourquoi cette lenteur de développement ? Quelle est votre stratégie sur le continent ? Y a-t-il une sorte de précaution de la part de Corsair ?

De la précaution, je dirais non. Nous tenons à faire les choses de façon professionnelle. Soulignons que l'ouverture d'une nouvelle ligne constitue un investissement à la fois important et risqué. Sur Paris-Dakar, nous sommes aujourd'hui en vol quotidien, 7/7, du 1er janvier au 31 décembre. Nous avons ensuite décidé d'ouvrir Abidjan où nous sommes montés en puissance et sommes actuellement à six vols par semaine et passerons en vol quotidien à partir du premier juillet 2018. Plus récemment, j'ai décidé d'ouvrir Bamako où le premier vol date du 29 janvier. Aujourd'hui, nous sommes à deux vols par semaine sur cette ligne. Notre objectif est de continuer de nous développer, mais nous restons limités par notre flotte. Pour se développer, il faut des avions. Cela est lié à la problématique de renouvellement de la flotte de Corsair et de sa croissance. En attendant d'y parvenir, nous sommes déjà très satisfaits d'avoir ouvert Dakar, Abidjan et maintenant Bamako, et notre souhait bien sûr c'est de continuer non seulement à pérenniser notre présence sur ces trois destinations et à se développer sur l'Afrique par l'ouverture de nouvelles destinations.

Quelles destinations visez-vous à l'avenir ?

Nous pensons dans un premier temps nous déployer sur les destinations francophones. Mais nous sommes encore confrontés à un énorme problème, celui des droits de trafic qu'il faudrait au préalable obtenir pour desservir certains pays africains. Il ne faut pas oublier que le développement économique dans lequel l'Afrique s'est engagée est aussi, en partie, lié au développement du transport aérien. C'est une certitude. Or en passant à la loupe le cadre juridique de la plupart des pays africains, on se rend compte à quel point il est difficile de pénétrer ces marchés en raison des accords bilatéraux très contraignants en vigueur dans ces pays.

Regardons par exemple, la Côte d'Ivoire et le Mali : pourquoi y sommes-nous allés ? Tout simplement parce qu'ils ont une politique de ciel ouvert. Il suffit de dire : «Je veux desservir Abidjan, je veux desservir Bamako» et vous obtenez très rapidement les droits de trafic. Beaucoup de pays africains, et je crois que cela leur nuit beaucoup, sont malheureusement restés sur des schémas de l'époque post-coloniale d'accords aériens bilatéraux qui donnent un monopole à Air France, en contrepartie d'un soi-disant équilibre avec les compagnies africaines. Mais puisqu'il y a très peu de compagnies africaines, cela se traduit souvent par un monopole d'Air France.

Donc le premier critère de choix d'une destination pour nous, c'est de savoir où l'on va nous accueillir, où l'on va nous laisser déployer notre offre pour répondre à un réel besoin en transport aérien.

Au-delà du transport aérien, Corsair se propose, de par son appartenance au groupe TUI, de contribuer au développement du tourisme dans les pays desservis. Comment pensez-vous appliquer dans les pays africains où vous exercez ?

Tout dépend du pays, parce qu'il y a un critère capital dans le développement du tourisme : celui de la stabilité géopolitique. Il est certain que quand on ouvre Bamako, ce n'est pas pour développer le tourisme. Ici le développement du transport aérien est notre principal objectif, car il n'y a pas de tourisme au Mali. En tout cas, pas dans l'état actuel des choses. En revanche, un pays comme le Sénégal est une destination touristique d'une certaine maturité et qui, à mon avis, dispose encore d'un énorme potentiel et a une belle carte à jouer. La Côte d'Ivoire veut développer le tourisme, mais il faut aussi des infrastructures. Il faut donc que les pays présentant un bon potentiel touristique développent des politiques claires et fortes, des infrastructures, des vols intérieurs, etc.

Il faut dire aussi que nous ne nous contentons pas de vouloir contribuer au développement touristique des pays desservis. Bien plus, ce qui nous intéresse, c'est contribuer au développement économique des pays. C'est pour cela que nous nous intéressons aussi au fait de favoriser le trafic d'affaires. Il n'y a pas que les grandes entreprises qui peuvent aller en Afrique. Les PME et les professions libérales aussi coopèrent avec le Continent. C'est la raison pour laquelle nous faisons beaucoup d'efforts pour le développement du fret et l'exportation des produits agricoles, la pêche, ... au départ des pays d'Afrique.

Nous travaillons aussi à répondre aux besoins en transport aérien des communautés affinitaires. Avec notre desserte quotidienne sur Dakar à titre d'exemple, les Sénégalais de France peuvent rentrer plus souvent au pays, les Sénégalais qui vivent au Sénégal ou les expatriés français au Sénégal peuvent régulièrement retrouver leurs proches, tout cela parce que les tarifs sont plus intéressants.

Pour nous, l'aspect démocratisation du transport aérien est très important. Et on n'y arrive que parce qu'on baisse les tarifs, qu'on multiplie l'offre, qu'on augmente le nombre de vols. Au final, le client en profite, mais le pays desservi aussi en profite. Plus il y a de la concurrence, plus il y a d'offres aériennes, plus les gens ont la possibilité de voyager. Un gros problème dans la plupart des pays africains, c'est que les dessertes intra-africaines sont très insuffisantes. Souvent, les voyageurs doivent passer par Paris pour aller dans un autre pays africain, c'est très paradoxal.

A l'époque Air Afrique assurait les liaisons intra-africaines... mais tout cela n'existe plus. A mon sens donc, il y a un énorme potentiel de développement à l'intérieur de l'Afrique et il faut libérer les droits de trafic et que ceux qui veulent venir, viennent. Une chose est certaine, les pays africains en seront les bénéficiaires.

Le marché aérien africain idéal serait donc un marché libéralisé et intégré ?

Absolument ! La politique de ciel ouvert appliquée à l'ensemble du continent me parait indispensable. Il n'y a qu'en Afrique qu'existe encore ce système d'accords aériens bilatéraux. Aujourd'hui, que ce soit en Asie ou en Amérique, il n'y a plus aucun problème de droits de trafic. Un pays comme la Chine qui avait encore un accord aérien avec la France, a fait exploser le portefeuille des droits de trafic en 2017, ceux-ci sont depuis ''distribués'' aux compagnies qui manifestent de l'intérêt. Comment en sont-ils arrivés là ? Ils ont tout simplement compris que c'était une condition sine qua none au développement du trafic aérien. Si on ne peut pas donner de droits de trafic, il n'y a pas de trafic du tout.

Ensuite, je comprends que les pays africains veulent se doter de compagnies long-courrier, mais je pense que la priorité, c'est le développement des liens à l'intérieur de l'Afrique. Il y a un besoin gigantesque pour que les Africains voyagent et se connectent pour du business, pour des raisons familiales et autres. Mais aujourd'hui, tout ce potentiel de développement est encore inexploitable, c'est la raison pour laquelle notre intérêt, chez Corsair, serait par exemple que Dakar devienne un hub régional -ce qu'il n'est pas actuellement. Et si Air Sénégal rencontre le succès sur les liaisons intra-africaines, on pourrait passer par Dakar pour desservir les autres capitales africaines qu'on ne voudrait pas desservir en vol direct. En effet, tous les pays n'ont pas un potentiel suffisant pour une grande offre aérienne. Il y a des Etats en Afrique qui sont petits, peu peuplés, ce qui signifie une faible clientèle aérienne. Au lieu de les desservir directement, on pourrait faire un Paris-Dakar, se connecter avec tous ces pays africains via un vol d'Air Sénégal au départ de Dakar, ce serait très bénéfique à Dakar qui pourrait jouer un rôle de hub en l'Afrique de l'Ouest.

Et il faut d'autant plus développer le transport intra-africain car si on veut faire progresser l'intégration africaine, si on veut faire progresser les échanges, ce n'est pas uniquement avec les contrées européennes, américaines ou asiatiques, c'est aussi et surtout à l'intérieur de l'Afrique, où il y a un énorme potentiel de développement économique.

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