Didier Zoungrana : «Il serait plus judicieux d’opter pour un financement hiérarchisé avec comme dernier recours le FMI »

Après l’austérité imposée aux pays africains par les institutions de Bretton Woods dans les années 1990, la période 2000 a été celle de l'annulation des dettes de nombreux Etats qui, aujourd’hui, se sont réendettés auprès du Fonds monétaire international (FMI) pour financer leurs trésoreries. Ce dernier impose en contrepartie des restrictions budgétaires. Dans cet entretien avec «La Tribune Afrique», Didier Zoungrana, enseignant-chercheur à l’Université Ouagadougou 2 du Burkina Faso et spécialiste des questions Sud-Sud, nous livre son analyse des implications de ce «retour» du FMI.
Didier Zoungrana est économiste, enseignant-chercheur à l’Université Ouagadougou 2  du Burkina Faso et spécialiste des questions Sud-Sud.
Didier Zoungrana est économiste, enseignant-chercheur à l’Université Ouagadougou 2 du Burkina Faso et spécialiste des questions Sud-Sud. (Crédits : DR)

LTA : Comment évaluez-vous la dette des pays d'Afrique subsaharienne parmi les plus endettés, comme le Nigeria et la Gambie ? Le niveau d'endettement est-il soutenable, selon vous ?

Dr Didier Zoungrana : Il faut dire que le niveau de l'endettement des pays d'Afrique subsaharienne sans l'Afrique du Sud et le Nigeria est moins de 50% du PIB et lorsqu'on compte avec ces deux puissances économiques, on se retrouve à pratiquement la moitié du PIB, ce qui a priori est un endettement acceptable comparé à certains pays (autour de 100% pour les Etats-Unis et l'UE, NDLR) d'autant plus que les perspectives de croissance sont intéressantes pour la zone.

Par ailleurs, pour analyser la dette des pays il faut prendre en compte d'autres indicateurs. Il s'agit principalement des indicateurs de solvabilité: la valeur actuelle sur le PIB (VA/PIB) et la valeur actuelle sur les recettes budgétaires (VA/REV) et la valeur actuelle sur les exportations (VA/XBS), et les indicateurs de liquidité c'est-à-dire le service de la dette sur les exportations (SD/XBS) et le service de la dette sur les recettes budgétaires (SD/REV).

Les ratios caractéristiques de ces indicateurs sont définis à partir de critères économiques et budgétaires indexés à des seuils arrêtés à partir l'évaluation de la performance des politiques et institutions nationales (EPIN ou CPIA en anglais NDLR). Du reste, le faible niveau d'endettement global en Afrique cache des disparités puisque la dette n'a pas le même poids entre les différents pays.

En effet, pendant que des pays comme la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso ou le Mali ont un taux d'endettement de l'ordre de 30 % de leur PIB, des pays tels que l'Erythrée, le Cap-Vert et la Gambie se retrouvent avec des niveaux d'endettement de l'ordre de 100% du PIB.

Cette situation pose à terme un problème de soutenabilité de la dette pour ces pays. Donc de façon globale en Afrique subsaharienne, la dette reste soutenable. Cependant, les déséquilibres de certains «mauvais élèves» pourraient être un problème si des mesures adéquates ne sont pas trouvées pour résorber leur niveau d'endettement élevé par rapport à la richesse nationale qui est créée.

Le FMI impose aux Etats (Angola, Mozambique, Tchad, Congo, Sénégal...) des coupes budgétaires ou une directive à suivre pour bénéficier de son aide. Y a-t-il un risque pour les pays africains de se retrouver dans la situation des années 90, avec un «diktat» des institutions financières internationales ?

Tout d'abord, même dans le système classique de financement, le préteur veut s'assurer que le demandeur de crédit est solvable à terme. Et ce raisonnement est aussi valable pour les pays qui souhaiteraient bénéficier du concours du FMI. Lorsque vous avez une dette élevée et que vous ne pouvez plus faire face à cette dette, ou que vous avez des difficultés à améliorer vos agrégats macroéconomiques parce que la richesse créée vise à rembourser la dette et non pas à assurer le bien-être des populations, cela n'est pas la faute du FMI, mais plutôt la résultante de politiques économiques inadéquates que vous avez adoptés. On comprend donc que dans ces conditions, l'intervention du FMI va bien sûr se conjuguer avec des restrictions et des coupes budgétaires.

En réalité, ces diktats imposés ne sont pas mauvais en soi, car si l'on se rappelle encore les programmes d'ajustement structurel imposés aux pays africains en 1980-2000 visaient fondamentalement à combattre un triple déséquilibre structurel à savoir celui des finances publiques, de la balance commerciale et de l'endettement extérieur insupportable en son temps.

Ces programmes sont certes restés dans les mémoires comme ayant été très douloureux, mais aujourd'hui, il faut reconnaître que cette trajectoire de croissance retrouvée depuis les années 2000, et une santé acceptable des finances publiques ont été l'émanation de ces coupes budgétaires imposées à ces pays. Donc est ce qu'il y a un risque pour les pays africains de se retrouver dans la situation des années 90 ? Tout naturellement oui si rien n'est fait pour prévenir. Il serait impensable que le FMI accorde son soutien à ces pays sans s'assurer que les fonds seront utilisés dans le sens de l'amélioration des indicateurs macroéconomiques. Cependant, l'amplitude du diktat sera différente parce qu'évidemment, les problèmes du déséquilibre économique ainsi que les perspectives de croissance ne sont pas ce qu'ils étaient il y a pratiquement 30 ans.

Le FMI a découvert ces dernières années des dettes cachées au niveau de quelques pays africains. Qu'est-ce qui a favorisé cette fraude ?

Effectivement, il a été révélé en 2017 que des pays comme le Congo et le Mozambique avaient des dettes qui ont été cachées aux partenaires techniques et financiers. Cela a d'ailleurs créé une tension entre ces pays et le partenaire financier qui avait déjà interrompu sans appui budgétaire au Mozambique en avril 2016. Dans le cas du Congo en effet, le gouvernement affirmait que sa dette représentait 77% de son PIB, alors que celle-ci se chiffrait à environ 120% du PIB. En réalité, la République du Congo était en partenariat avec la Chine et celui-ci portait sur la réalisation de grands travaux avec comme sous-jacent une partie des revenus générés par le pétrole.

Aussi, la société nationale qui est en charge du pétrole s'était engagée à livrer du pétrole moyennant d'importants prêts à l'Etat du Congo. C'est cela l'essence de la dette cachée du Congo. En ce qui concerne le Mozambique, le scénario est quasi identique puisqu'en août 2013, les services de sécurité d'Etat créèrent la société Ematum qui un mois plus tard passa une commande avec la filiale de Privinvest portant sur 30 bateaux, dont 24 pour la pêche au thon et 6 patrouilleurs, pour un contrat évalué à 200 millions d'euros.

Par la suite, c'est au total 850 millions d'euros qui ont été empruntés sous forme d'obligations (500 millions avec le crédit suisse et 350 millions avec la banque russe VTB, NDRL). Cette somme était garantie par le gouvernement Mmozambicain. Toujours dans la même année et par le même service de sécurité de l'Etat, ce sont 535 millions et 622 millions qui sont contractés respectivement par la société Mozambique Asset Management et l'entreprise Pro indicus pour des achats de radars et drones alors qu'elles n'avaient pas d'expérience dans de tels domaines. L'Etat ayant garanti ces emprunts fut donc obligé d'intégrer les 850 millions dans son budget créant ainsi un gonflement de la dette publique qui a été découverte par le FMI.

Y a-t-il un risque que le fléau s'étende à d'autres pays ? Que préconisez-vous pour lutter efficacement contre ?

L'on peut même penser qu'il existe surement des pays qui a l'état actuel ont des dettes cachées. Comme nous l'avons mentionné avec le cas du Mozambique et du Congo, la signature de contrat avec des partenaires peut être faite à l'initiative de tous les pays. Dès lors qu'il n'y a pas de problème dans le dénouement de ces contrats et un transfert de ces dettes dans les comptes de l'Etat, personne ne le saura. Malheureusement, nul ne peut garantir que ce sera le cas parce que les gouvernements ne veulent pas présenter une mauvaise situation de leur dette publique d'où la possibilité d'observer les mêmes phénomènes pour d'autres pays.

Je pense que ce qui est faisable, c'est de donner un droit de regard plus élevé au FMI en ce qui concerne la nature des dettes contractées par les Etats et cela pourrait empêcher leur dissimulation et éviter ainsi de créer dans la zone une situation semblable à celle de la zone euro où certains pays (Grèce) avaient maquillé leurs comptes publics.

L'on pourrait de plus imposer des sanctions à ces pays, car ce qui est ambigu, ce n'est pas le maquillage de ces comptes publics, mais la certitude de mettre en danger les créanciers et autres pays par effets de contamination parce qu'on n'a pas su gérer sa propre dette.

Quelles sont les marges de manœuvre dont disposent les pays africains en quête de liquidité ?

Les pays d'Afrique subsaharienne ont un niveau d'épargne nationale non seulement faible, mais aussi canaliser vers la consommation au lieu de l'investissement. Je pense qu'il faut d'abord commencer par là. De plus, ces pays disposent de ressources naturelles considérables et les contrats avec les exploitants doivent être bien ficelés pour protéger les finances publiques globales et l'environnement. En effet, quand vous prenez un pays comme le Burkina Faso dont le sous-sol est riche en or, cela devrait avoir une incidence positive sur le portefeuille du gouvernement. L'attraction des investissements directs étrangers surtout ceux en quête de ressources naturelles ou en quête de marché pourrait également contribuer à soulager les problèmes de liquidité de ces pays.

Existe-t-il des alternatives, d'autres leviers de financements que les pays africains devraient privilégier par rapport au financement du FMI ?

Tout d'abord, le financement du FMI est généralement assorti de conditionnalités dans la majeure partie des cas. Ce qui restreint les marges de manœuvre des pays, mais garantie dans le même temps un usage plus optimal des fonds. Nous sommes dans le contexte africain, il faut le souligner ou la mauvaise gouvernance et la corruption sont des tares très prononcées. Toutefois, les Etats de l'Afrique subsaharienne ne sont pas obligés de recourir aux services financiers du FMI. Il serait même plus judicieux d'opter pour un financement hiérarchisé avec comme dernier recours le FMI.

L'espace UEMOA a cette chance d'avoir un marché financier sous régional qui peut être un levier important à la mobilisation de fonds pour les gouvernements aussi bien au niveau national, sous régional qu'à l'international. La levée des fonds sur ce marché par les pays de l'UEMOA est croissante même si les montants restent inférieurs à ceux constatés dans les pays développés.

En outre, au-delà même du financement extérieur, il y a toute une génération à rééduquer sur le civisme fiscal. En réalité, si l'impôt qui représente la première source de financement d'un Etat était régulièrement payé par les contribuables, cela permettrait aux Etats de recourir moins à l'endettement. Et pour terminer, que ce soit le financement par les marchés financiers ou par l'impôt, l'efficacité de ces deux mécanismes est étroitement liée à la bonne gouvernance. En effet, la possibilité réduite de lever des fonds par les emprunts obligataires ou la faible pression fiscale pour les pays d'Afrique subsaharienne réside dans le fait que généralement les perspectives économiques sont soumises à des aléas et les paiements du contribuable ne sont pas utilisés à bon escient. Voilà pourquoi je pense que la première alternative au financement de ces pays est d'abord la promotion de la bonne gouvernance, car elle serait le tremplin à l'accès aux autres sources de financement possible.

On peut aussi explorer les mécanismes innovants de financement en recourant au partenariat public-privé (PPP). Pour une utilisation optimale des PPP dans nos pays, il serait indiqué de nous orienter vers les formes anglo-saxonnes qui offrent de meilleurs rendements et seront plus bénéfiques pour les finances publiques.

Il s'agit notamment des formes BOT (Build, Operate and Transfer ; construire, exploiter et transférer, NDLR) et DBFO -T (Design, Build, Finance and Operate - or Transfer; concevoir, construire, financer et exploiter - ou transférer). Il y a aussi le financement participatif, les transferts de fonds de migrants et les loteries de développement.

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