Hakim Marrakchi : «L’implantation d’entreprises ouest-africaines au Maroc est nécessaire»

La cinquantaine révolue, Hakim Marrakchi est administrateur directeur général de Maghreb Industries, une entreprise spécialisée dans la fabrication de confiseries. Après la vice-présidence de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) entre 2009 et 2012 et la présidence de la Commission internationale de l’institution, cet industriel est candidat à la présidence de la CGEM. Une compétition dans laquelle il est opposé à l’ancien ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar. Dans cet entretien avec «La Tribune Afrique», Marrakchi évoque ses projets pour le monde de l’entreprise au Maroc ou encore le rôle que la CGEM pourrait jouer dans un contexte d’intégration régionale en général et sous-régional, au niveau de la CEDEAO, en particulier.
Ristel Tchounand
Hakim Marrakchi, candidat à la présidence de la Confédération générale des entreprises du Maroc.
Hakim Marrakchi, candidat à la présidence de la Confédération générale des entreprises du Maroc. (Crédits : DR)

LTA : En présentant votre candidature à la présidence de la CGEM, que souhaitez-vous apporter au monde de l'entreprise au Maroc?

Hakim Marrakchi : La CGEM est la maison des entrepreneurs et de l'entreprise marocaine. Nous avons 88 000 membres directs et indirects. Il y a beaucoup plus de membres indirects parce nous sommes une confédération qui regroupe plusieurs fédérations. Ce que je voudrais, c'est replacer l'entreprise au centre du dispositif de création de richesse au Maroc. A mon avis, l'entreprise et l'entrepreneur au Maroc sont relativement dévalorisés aujourd'hui. Ils ne sont plus appréciés comme ils l'étaient il y a vingt-cinq ou trente ans. Et ce faisant, le développement des richesses est devenu chose difficile au Maroc. Sur le terrain, on investit beaucoup, mais on crée relativement peu d'emplois. La croissance est relativement atone, alors que l'effort public -que ce soit en termes d'investissement ou de commande- est très important.

Notre objectif à la tête de la CGEM est de refaire du Maroc une terre d'entrepreneurs où toutes les femmes et tous les jeunes ont leur place dans tous les secteurs et dans toutes les régions du pays. Et cela tombe bien, parce que nous avons également besoin d'adapter notre tissu économique aux nouvelles formes d'économie, que ce soit l'économie digitale ou l'économie verte. Il y a en effet une accélération d'innovations économiquement disruptives, il est admis aujourd'hui que nous sommes désormais incapables de connaître les métiers qui permettront d'employer des gens dans dix ans. Ce qui est sûr, par contre, est que la durée de vie de ces métiers sera souvent de quelques années seulement, en raison du rythme des innovations. En réalité une seule issue s'impose : développer l'entrepreneuriat. On ne pourra pas garantir des emplois à vie comme on l'a fait après la Seconde Guerre mondiale.

L'idéologie ambiante était un peu comme ce qui se passait au Japon, on pouvait employer des gens pendant toute leur vie, pour employer ensuite leurs enfants... La règle d'hier risque bien d'être l'exception demain ! Aujourd'hui, les métiers n'ont pas forcément une durée de vie très longue et on ne peut pas se permettre d'imaginer que tous les emplois que nous avons eus seront des emplois à vie. C'est donc l'entreprise et l'entrepreneuriat qui permettront de créer de la valeur et de générer des emplois. C'est la raison pour laquelle il faut libérer l'entreprise et refaire du Maroc une terre d'entrepreneurs.

Vous avez été -aux côtés de la présidente sortante Meriem Bensalah-Chaqroun en qualité de président de la commission internationale de la CGEM- partie prenante du rôle qu'a joué la CGEM ces dernières années dans la diplomatie économique du Maroc, particulièrement en Afrique. Comptez-vous poursuivre cette dynamique?

Bien évidemment, le rôle de Meriem Bensalah-Chaqroun à la tête de la CGEM a été remarquable pour l'ensemble de l'économie marocaine. La CGEM est devenue un acteur incontournable, écouté, consulté, estimé et valorisé. Cela nous devons le maintenir. La diplomatie économique est conduite et menée par Sa Majesté le roi Mohammed VI et Sa Majesté a accordé à la CGEM une place dans ce dispositif. Nous continuerons à jouer le rôle que Sa Majesté voudra nous accorder.

Par ailleurs, et suite à ce déploiement des entreprises en Afrique, plusieurs grands groupes marocains ont investi en Afrique et il est souhaitable que des entreprises de toutes tailles investissent notre Continent. Certaines opportunités se créent grâce à notre présence renforcée en Afrique, et nous chercherons à amplifier le phénomène pour qu'il rejaillisse sur l'ensemble des angles de notre communauté économique. Et ce, aussi bien au Maroc que chez nos partenaires du Continent afin que nous continuions à nous inscrire dans une dynamique de co-développement.

Au regard de ce qui a été fait jusqu'à présent, y a-t-il un domaine en particulier sur lequel vous aimeriez vous appesantir ?

Il y a au Maroc des unités industrielles autonomes sur le plan énergétique. Et c'est une innovation que j'estime susceptible de changer beaucoup de comportements industriels en Afrique. Je crois qu'un homme d'affaires sait parler à des hommes d'affaires. Et il faut parler aux hommes d'affaires de choses concrètes, c'est ainsi qu'on peut avancer. Nous avons des choses à apporter à nos amis africains qui ont également des choses à nous apporter.

Selon vous, qu'impliquerait l'adhésion du Maroc à la CEDEAO pour les entreprises marocaines d'une part, et les entreprises ouest-africaines d'autre part ?

Il s'agit là d'un chapitre extrêmement important et extrêmement intéressant. L'intégration du Maroc à la CEDEAO replacerait le Maroc dans la situation qui prévalait avant la période coloniale. «Le Maroc est un arbre dont les racines sont profondément ancrées en Afrique ...», disait déjà feu Sa Majesté Hassan II ; et je trouve cela tout à fait pertinent vu notre Histoire et nos origines économiques.

Pour nous Marocains, pour nous Africains, la réintégration du Maroc dans le dispositif communautaire ouest-africain va nous permettre tous ensembles, Ouest-africains y compris Marocains, de reprendre des échanges qui ont été mis entre parenthèses. Et la partie doit être gagnée, car la CEDEAO est un espace économique où les échanges de biens sont relativement faibles. Nous avons besoin de les booster.

Il faut dire que l'espace communautaire est porté par le poids du Nigeria qui est à l'extrême sud. L'adhésion du Maroc qui à l'extrême nord de la CEDEAO fera passer le poids du Nigeria d'environ 85% à 65% et ce seront alors les deux principales économies, même si le Nigeria a une économie significativement plus importante que celle du Maroc. Les échanges que ces deux pays pourront entamer dans le cadre communautaire arroseront toute la région. Du coup, l'adhésion du Maroc à la CEDEAO sera extrêmement bénéfique pour l'ensemble des économies de tout l'espace communautaire.

La tâche qui nous incombe désormais est de monter un dispositif qui démontre que nous ne sommes en opposition ni aux Européens, ni aux autres intérêts locaux ou étrangers. C'est quelque chose qui devrait être dépassé de façon à ce que le nouveau dispositif soit gagnant-gagnant, je dirai quatre fois gagnant. C'est d'autant plus important que l'une des dispositifs les plus efficients aujourd'hui au sein de la

CEDEAO est celui de la libre circulation des personnes. On sait que les flux migratoires deviennent extrêmement puissants et le Maroc est aux portes de l'Europe. Je pense que c'est tout l'intérêt de l'Europe et des pays concernés que le Maroc intègre la CEDEAO et contribue au développement intégré de toute la région.

Quel rôle la CGEM peut-elle jouer dans l'espace communautaire ?

Le rôle de la CGEM est clé. Deux éléments décisifs pour le développement que sont la réglementation des marchés et l'organisation des métiers. Et c'est aux corporations comme la CGEM de mener l'action à ce niveau. Nous devons donc développer la CGEM dans ce sens au Maroc et nous développer, nous Africains, pour mieux organiser nos métiers et nos marchés afin qu'ils aillent dans le sens des intérêts des investisseurs locaux et des consommateurs, et qu'ils améliorent notre visibilité en vue d'un accroissement de l'investissement et de l'emploi...

Une telle démarche va permettre à l'Afrique en général -et à la CEDEAO en particulier- qui est à la veille d'une poussée de son industrialisation, de lever un frein à son développement qui est la faible distribution de l'énergie, en particulier l'énergie électrique. J'ai évoqué à titre d'exemple le cas d'usines au Maroc qui ont démontré que cela est aujourd'hui à la portée et rentable.

Donc, au moment où l'Afrique s'apprête à vivre une nouvelle ère de son industrialisation. Nous avons certes déjà un certain nombre de normes au Maroc et au niveau de la CEDEAO, mais nous avons besoin en tant que CGEM, et avec les patronats des différents pays de la région, d'en développer davantage pour développer un marché unique ouest-africain, et améliorer pour cela la réglementation et faciliter le développement de nos marchés en faveur de nos entreprises et de nos investisseurs.

La CGEM a un rôle éminent à jouer dans ce cadre avec ses pairs africains et nous devrions développer un «patronat ouest-africain» pour développer des règles communes.

Les entreprises marocaines étendent de plus en plus leurs cordages dans les marchés de la sous-région. Prévoyez-vous, en cas d'élection, des actions visant à faciliter l'implantation d'entreprises ouest-africaines au Maroc ?

L'implantation d'entreprises ouest-africaines au Maroc est nécessaire. Le Maroc ne doit pas être regardé comme un pays extérieur à la région, mais parfaitement intégré à l'espace ouest-africain. C'est exactement ce que j'ai expliqué plus haut. Les échanges doivent aller dans les deux sens. Nos amis africains doivent investir au Maroc et exporter vers le Maroc et nous devons développer nos investissements vers l'Afrique de l'Ouest et permettre à nos entreprises d'exporter également vers la sous-région. Ce serait vraiment gagnant-gagnant.

Les entreprises marocaines qui ont investi dans ces pays ont développé un niveau d'intelligence économique qui est aujourd'hui à disposition des entreprises marocaines, qu'elles soient petites, moyennes ou grandes. Il y a donc à travers cela des dispositifs de veille concurrentielle, de surveillance des marchés qui sont aujourd'hui accessibles de part et d'autre. Les entreprises comme les banques marocaines installées au Nigeria, au Sénégal ou en Côte d'Ivoire peuvent fournir à leurs clients locaux des informations sur le marché marocain de façon à leur permettre d'y accéder avec un minimum de risques. Je pense qu'il faut raisonner ouest-africain et non plus purement marocain.

Le Maroc vient de signer l'accord établissant la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC). Un accord auquel la CGEM est parfaitement favorable. Alors que le sujet suscite encore le débat à travers le Continent, quels sont selon vous les plus grands défis des entreprises africaines face à l'intégration économique du Continent ?

La ZLEC est un concept à même de favoriser le développement égal de toute l'Afrique. Il est certain que cette zone de libre-échange au niveau africain ne peut voir le jour qu'après avoir vaincu les réticences nationalistes et celles de certains lobbies extérieurs. Toute zone de libre-échange va dans le sens du marché et l'expression libre du marché va à contre-courant des intérêts protégés.

Mais d'un autre côté, la promotion des zones de libre-échange exige au préalable la mise en place de réglementations et de dispositifs de surveillance de marché, cohérents et efficients. De ce point de vue, les dispositifs réglementaires et normatifs ne sont pas encore suffisamment développés pour permettre une expression du marché à même de garantir l'équité nécessaire au développement des entreprises sur la base du mérite, de la compétitivité, de la performance et de la concurrence loyale.

Le rôle des associations professionnelles, au niveau national et continental, est essentiel pour donner à la ZLEC la légitimité économique. C'est la grande différence avec l'UE qui s'est bâtie par les affaires et qui a été reprise par le politique.

Vous avez choisi une femme comme colistière, Assia Benhida. Qu'est-ce qui vous y a motivé ?

J'ai été motivé par deux éléments principalement. Tout d'abord la complémentarité, notamment celle du genre. Les femmes ont une conception, une vision, une expression qui est tout à fait complémentaire à celle des hommes. Et je le vois très bien dans cette campagne. Assia Benhida est une personne remarquable que je connaissais déjà parce que j'avais travaillé avec elle en tant que président de la Commission internationale -anciennement appelé conseil d'affaires de la CGEM- où elle était vice-présidente de cette Commission. Mais actuellement, je découvre une femme qui a des talents d'organisation qui nous permettent de nous compléter pour relever de futurs défis.

Nous avons d'autres complémentarités : je suis un industriel, fils d'industriel, issu d'une famille d'entrepreneurs depuis plusieurs générations et elle est issue du monde des services aux entreprises. Elle dirige un cabinet marocain expert dans le conseil en Transformation et Change Management et c'est un domaine qui me semble particulièrement important par rapport aux enjeux de nos économies. Le troisième point sur lequel nous sommes complémentaires est celui de notre familiarité aux marchés structurés.

Basée au Maroc, mon entreprise évolue à l'international, détenant de petites entreprises aux Etats-Unis et en Europe, tandis que Benhida développe également son cabinet en France pour des groupes internationaux ayant des enjeux au Maghreb et en Afrique. Cela nous permet d'observer les différences de comportements et les conditions de nos développements sur des marchés européens notamment, par rapport aux marchés marocains. Mon entreprise va également vers l'Afrique de façon un peu plus directe maintenant, mais ma colistière le fait de façon directe depuis longtemps puisqu'elle accompagne les Européens et les Marocains qui vont en Afrique.

Par-dessus toutes ces complémentarités, nous avons en commun notre ADN d'entrepreneurs, de personnes qui sont confrontés aux marchés de tout type, aussi bien au Maroc, que dans des marchés structurés ou ceux où la concurrence est essentiellement issue de l'informel.

Comment voyez-vous la CGEM dans trois ans ?

Au bout de cette période, si nous sommes élus, nous aurons opéré certains changements dans notre gouvernance. Nous pensons que la CGEM doit être davantage ouverte aux PME par la professionnalisation de certains services en lien notamment avec la promotion du droit des entreprises ou des relations avec l'administration dans la définition des métiers de surveillance des marchés.

Nous devons également professionnaliser la CGEM par rapport à sa dimension internationale -africaine en particulier- et par rapport aux nouveaux métiers, aux nouvelles économies. Les aspects sociaux et l'employabilité sont aussi importants, ils touchent tout ce qui est formation, relation avec les universités, promotion de nos ressources humaines, formation alternée. Notre objectif ici est d'anticiper les besoins de nos entreprises et de nos environnements, afin d'être plus performants dans la défense de nos intérêts. Au niveau de la gouvernance, nous nous rapprocherons des métiers et des régions.

Des retouches seront donc faites pour permettre à la fois aux métiers et aux régions de trouver l'expression plus constante, ce qui permettra encore une fois d'avoir une CGEM plus efficace dans la défense des droits des entreprises.

Parmi les mesures concrètes, nous comptons professionnaliser nos services vers l'Afrique en créant un service dédié «CAP Business Africa», qui sera destiné aux opérateurs qui souhaitent investir et se développer en Afrique.

Nous voulons faire de la CGEM, un point d'ancrage et un relais puissant pour ses adhérents et partenaires en devenant, un espace de service de qualité, d'efficacité et de veille économique.

Ristel Tchounand

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Commentaire 1
à écrit le 07/06/2020 à 23:13
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Selim Belmaachi

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