Mays Mouissi : « Produire de l'énergie revient à développer le potentiel économique africain »

Les grandes puissances ne peuvent aujourd'hui dessiner les scénarios du futur de leurs économies sans que les énergies n'y prennent la place d'un fil rouge. Pourtant, l'Afrique, elle-même continent du futur, semble à la traîne, alors que certains de ses Etats viennent juste de découvrir leurs premiers puits de pétrole. Mays Mouissi, économiste, banquier et bloggeur influent revient, pour La Tribune Afrique, sur les challenges qui attendent le continent en matière de production et de diversification des ressources énergétiques.
Ristel Tchounand

La Tribune AFRIQUE - quel est votre regard sur l'ambiance qui règne sur le marché mondial du pétrole depuis la réunion de Viennes ?

Mays Mouissi - Le niveau des prix du pétrole sur le marché international est fonction de plusieurs facteurs, dont en premier l'offre et la demande. En ce moment, l'offre est structurellement plus importante que la demande sur le marché, ce qui fait que les prix baissent. Ensuite, il y a les éléments liés au contexte géopolitique. Généralement, lorsqu'il y a des crises importantes dans les grands pays producteurs de pétrole, les prix ont tendance à augmenter puisque les crises affectent la production. On l'a vu lors de la guerre en Irak, lors des tensions en Iran et de façon générale au Moyen-Orient. Le baril avait alors franchi la barre des 100 dollars.

Il y a également les politiques internes des pays producteurs de pétrole. À titre d'exemple, l'Arabie Saoudite était très gênée qu'à 100 dollars le baril, les pétroles de schistes exploités au nord du Canada ou dans certains Etats américains lui faisaient concurrence. Les États-Unis étaient d'ailleurs brièvement devenus le premier pays producteur de pétrole dans le monde. Or on sait que l'exploitation des pétroles de schistes demande une technologie très coûteuse et n'est pas rentable en dessous d'un certain niveau de prix. Plusieurs pays au Moyen-Orient ont dont intérêt à ce que le prix du baril se situe autour des 50 dollars afin que les pétroles de schistes ne soient pas économiquement exploitables.

Quant à la perspective d'augmentation des prix du pétrole souvent évoquée, je pense que la cible d'un baril à 55 dollars est parfaitement atteignable. Cependant, je ne crois pas à un retour du baril à 100 dollars dans les prochains mois.

Comment entrevoyez-vous l'avenir à moyen terme pour les pays africains producteurs, déjà assénés ces dernières années par la faiblesse des cours ?

L'avenir des pays africains producteurs de pétrole ne sera clairement pas le même, selon qu'ils sont très fortement dépendants à leurs ressources pétrolières ou qu'ils aient une économie suffisamment diversifiée, donc résiliente. En réalité, deux catégories se distinguent : ceux qui résistent mieux aux chocs et à la baisse des cours et ceux qui résistent moins. Ce que l'on peut d'ores et déjà penser, c'est qu'avec le nouveau contexte international des pays producteurs de pétrole lié au retour de l'Iran sur la scène internationale et à l'adjonction d'un million de barils/jour supplémentaires à production mondiale, les cours du pétrole ne retourneront pas au-delà de 100 dollars dans un avenir proche.

Il faut donc trouver pour ces différents pays des stratégies qui leur permettraient de combler le manque à gagner, né de la baisse des cours. Il n'y a pas 10 000 solutions ! La principale stratégie que peuvent développer ces pays, c'est la diversification économique. Une diversification qui serait spécifique à l'économie de chacun de ces pays, à leur environnement, à leurs avantages structurels ou géostratégiques, à leurs forces intellectuelles, ainsi qu'à leurs forces dans le domaine des services et celui des technologies.

La diversification économique s'impose donc comme moteur de croissance... ?

La diversification de l'économie est devenue indispensable à tous les pays africains producteurs de pétrole, de gaz ou d'une autre matière première minérale. Elle est devenue indispensable parce qu'il est difficile, dans le contexte actuel de mondialisation, d'amorcer une véritable politique de développement uniquement sur la base des revenus des matières premières.

La stratégie pour les pays du continent doit consister en la création de la valeur ajoutée en leur sein, de sorte qu'il n'y ait plus uniquement la vente de minerais bruts, mais qu'ils développent localement une industrie de transformation afin de faire reposer leur économie sur plusieurs piliers. Évidemment, le secteur primaire, constitue un socle. À côté de ça, il faut véritablement développer les secteurs secondaire et tertiaire. Il ne faut pas juste s'arrêter aux discours. Il faut véritablement lancer des stratégies quinquennale ou décennale pour mettre en œuvre la diversification économique qui permettrait de faire sortir les pays africains producteurs de pétrole du sous-développement.

En effet, sans diversification, il devient extrêmement difficile d'accroître les revenus des États qui sont fortement dépendants de leurs ressources pétrolières, et de tirer leur croissance vers le haut. En faisant en diversifiant les économies, on créera également plus d'emplois. Ce qui serait bénéfique pour ces pays au regard de leur forte croissance démographique qui fait que de plus en plus de jeunes arrivent sur le marché du travail.

Comment les pays africains pourraient-ils orienter leurs stratégies de diversification pour être plus efficaces et obtenir plus de résultats ?

On ne peut pas proposer pour tous les pays africains une stratégie de diversification identique. Chaque pays est face à un contexte différent. Les populations, les économies et les réalités locales le sont aussi. C'est pourquoi chaque pays africain, en fonction de ses spécificités, doit pouvoir développer sa propre politique de diversification. Parce qu'en réalité, pour amorcer la diversification, on est obligé de faire des choix. Il faut agir sur certains secteurs et parfois délaisser d'autres. On ne peut donc pas, dans des pays qui ont des situations sociales et des niveaux de développement, totalement différentes avoir une politique de diversification uniforme. Il faut regarder pour chaque pays quelles sont ses forces et agir dessus pour les amplifier. En fonctionnant de cette manière, on parviendrait à avoir des politiques cohérentes.

Quelle place pourrait occuper le mix énergétique dans ces stratégies ?

La production énergétique est l'une des faiblesses structurelles de plusieurs pays africains. Il est très difficile d'envisager l'industrialisation avec un déficit énergétique chronique. Le mix énergétique reviendrait à faire reposer la production électrique des pays africains sur plusieurs sources différentes. Les sources d'énergie renouvelables bien sûr, mais aussi les combustibles fossiles, même s'il nous apprendre à faire sans.

Nous avons deux grandes réalités en Afrique. Nous avons la réalité propre aux pays situés au nord de l'Afrique qui bénéficient d'un niveau d'ensoleillement qui permet d'envisager l'énergie solaire comme un élément important du mix énergétique. Nous avons ensuite, les pays situés au centre et à l'est du continent qui ont l'avantage d'avoir de grands réseaux hydrauliques. Dans ces régions, l'hydroélectricité devrait constituer l'essentiel de la production électrique. Dans un cas comme dans l'autre, les énergies renouvelables doivent être au centre des productions électriques nationales.

Ces dernières années, des découvertes de gisement de gaz se succèdent notamment en Afrique de l'Ouest et australe. Quel rôle le gaz, et notamment le GNL, pourrait-il jouer dans le mix énergétique africain ?

La découverte de gaz dans certaines régions de l'Afrique, à l'ouest et au nord, est plutôt une bonne chose parce que dans ces pays, on peut désormais envisager au-delà des aspects liés à l'exportation des matières premières ou encore la transformation en gaz naturel liquéfié (GNL), la production de l'électricité à partir de ce combustible. Il est utile de rappeler que les centrales à gaz sont réputées être moins polluantes que les centrales à charbon ou à fioul.

L'exploitation du gaz va donc avoir une importance stratégique du point de vue financier, parce que pour ces pays, cela permettra de faire rentrer des devises supplémentaires. Elle va également permettre de créer un véritable mix énergétique en utilisant le gaz dans la production d'électricité, mais aussi peut-être amorcer les politiques de développement, puisque le gaz sert aussi à la production de produits industriels, tels les engrais qui sont nécessaires à l'agriculture.

Au-delà de l'effet de mode, y a-t-il un vrai potentiel économique pour les énergies renouvelables en Afrique ?

L'énergie renouvelable a évidemment sa place sur le continent et même une place naturelle, puisque l'Afrique possède un réseau hydraulique très dense, un ensoleillement exceptionnel et constitue un espace où propice pour développer des champs d'éoliennes pour ce citer que cela.

On ne peut plus parler du développement des énergies renouvelables en les comparant à un effet de mode. Plus personne n'ignore l'impact des énergies fossiles et du carbone sur la couche d'ozone et les équilibres environnementaux de la planète.

Aujourd'hui je n'ai pas de doute qu'à long terme, parce qu'ils y seront contraints, les pays africains auront l'essentiel de leur production énergétique issue de sources renouvelables.

On voit très bien que les pays africains sont aujourd'hui sous une sorte de pression. Mais les gouvernements réagissent-ils à temps par rapport à l'urgence ?

Sur la question énergétique, il faut dire qu'au-delà de la volonté des gouvernements, il y a des bailleurs internationaux qui ont compris que financer le secteur énergétique en Afrique est rentable et profitable, d'autant plus que produire de l'énergie, c'est en réalité, développer le potentiel économique des pays. C'est la raison pour laquelle la Banque africaine de développement (BAD), au cours de ces dernières années et dans plusieurs pays, a appuyé les gouvernements et a financé un certain nombre de projets, notamment de constructions de barrages hydroélectriques, de construction de centrales, etc.

En plus, des réflexions à l'échelle continentale examinent la question de savoir s'il est possible de créer des interconnexions régionales de façon à ce que les pays qui produisent le plus d'énergie puissent avoir des réseaux de transport et de distribution qui permettent de mettre de proposer le surplus d'énergie aux pays voisins. Ce processus est en marche.

Cela dit, la mise en place des énergies renouvelables est beaucoup plus longue et parfois beaucoup plus cher que les énergies utilisées ponctuellement et qui sont produites à partir des énergies fossiles. Donc, il faut laisser le temps au temps. Je pense que les gouvernements ont conscience qu'il faut aller vers une production d'énergies propres, pas trop onéreuses pour les populations et qui permettent sur le long terme d'assurer l'indépendance énergétique des pays.

Propos recueillis par Ristel Tchounand

Ristel Tchounand

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Commentaire 1
à écrit le 24/06/2017 à 10:44
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J'admire cette génération de jeunes entrepreneurs africains qui cherchent à développer l'économie de leurs pays respectifs et sortir de la colonisation :-)

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