Politique étrangère : la Chine change de posture en Afrique (Interview)

Avant de rejoindre l'ECFR en novembre 2015, Mathieu Duchâtel a été chercheur principal et représentant à Pékin de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, chercheur associé au Centre Asie à Paris et chercheur associé basé à Taipei avec Asia Center. Il livre à La Tribune Afrique son analyse sur l'évolution de la stratégie chinoises en Afrique, qui se dirige inexorablement vers plus d'interventionnisme, dans un souci de protection de ses intérêts grandissants sur le continent noir.

La Tribune Afrique : Vous avez mené des travaux sur le changement de paradigme dans la politique étrangère chinoise. Comment ces changements s'expriment-ils dans la politique africaine de la Chine?

Mathieu Duchâtel : Nous avons mené une étude sur le changement de posture de la politique étrangère chinoise en Afrique. Cette étude nous permet d'abord de constater qu'il y a eu un changement complet de perception à Pékin de sa présence en Afrique. Elle a été très longtemps guidée par les intérêts commerciaux et économiques, notamment avec le soutien des activités chinoises dans de nombreux pays d'Afrique, avec une volonté de ne pas s'impliquer dans les questions de sécurité. Évidemment, il y a eu des exceptions dans le passé, pendant la guerre froide pour des raisons géopolitiques. Mais dans l'ensemble, il y avait des résistances très forte à cette implication de la Chine dans les affaires de sécurité africaine et qui a changé depuis Xi Jinping.

Derrière cette évolution, l'on retrouve la perception que les intérêts chinois dans certains pays africains sont devenus trop importants pour qu'ils ne s'accompagnent pas de considérations sur l'environnement sécuritaire. Cette donne est surtout en relation avec l'apparition de différentes crises qui ont poussé la Chine à surmonter les résistances traditionnelles. On le voit notamment à travers différentes décisions qui ont été prises par la Chine, en particulier dans le domaine du maintien de la paix, mais pas seulement. En termes de partenariat avec certains pays, Djibouti occupe une place très importante dans l'avenir du maintien de la paix dans les pays où la question d'évacuation des ressortissants chinois se pose. L'on peut citer notamment les cas la République centrafricaine, la Libye ou la Sierra Leone qui montrent bien que la Chine est prête à évacuer ses ressortissants en cas de crise et surtout qu'elle cherche à avoir plus de poids. Je dirais que cette posture n'est pas purement géopolitique, dans le sens où il n'y a pas une projection de puissance en vue de marquer son empreinte géopolitique. Elle cherche plutôt à accompagner ses investissements et ses ressortissants. C'est pour moi la ligne de force de la présence chinoise en Afrique.

Pensez-vous que cette tendance de plus en plus interventionniste va s'accentuer au fil du temps ?

Oui. Cette tendance a été confortée par des crises qui sont intervenues en Afrique alors que la Chine n'avait pas une réelle volonté de s'insérer dans les questions de sécurité. On le voit bien en ce qui concerne le Sud Soudan, où elle a négocié au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, pour la résolution relative au déploiement d'une opération de maintien de la paix, d'inclure très spécifiquement la question de la protection des employés dans le secteur de l'énergie, et donc en particulier les Chinois.

C'est-à-dire qu'à partir du moment où la Chine a perçu des menaces réelles contre ses intérêts, elle a changé d'approche. Dans ce sens, je pense que les crises sont et seront décisives. Le golfe d'Aden est un autre exemple. Au départ, la Chine a eu de très grandes résistances à envoyer sa marine, alors même que beaucoup de pays l'ont fait. Mais il y avait des résistances idéologiques fortes, alors qu'aujourd'hui, l'on constate un déploiement à partir de sa base de Djibouti qui résulte d'une perception de la menace. La Chine perçoit désormais tout l'intérêt d'avoir une position sur place, notamment pour l'évacuation des ressortissants là où il y a besoin d'un point d'appui pratique. Ce n'est pas d'une manière proactive, mais chaque crise amène une réponse et chaque réponse va dans le même sens de la tendance.

Au niveau interne est-ce qu'il y a un consensus au sein du parti unique autour de cette poussée interventionniste ?

Je pense qu'il ne faut pas surestimer le phénomène. La présence chinoise n'est pas dans des schémas d'intervention et surtout, la Chine n'est pas dans un schéma d'ingérence. D'ailleurs, les pays africains craignent justement une évolution de la Chine vers un schéma d'ingérence, mais pour l'instant on en est pas là. Il y a encore une forte résistance à toute ingérence, tout en jouant avec les lignes sur ce qu'est en réalité l'ingérence.

D'un point de vue purement économique, l'intérêt pour l'Afrique ne faiblit pas. Quelle est la particularité de la stratégie chinoise comparée à celles des autres puissances ?

Ce que je vois particulièrement, c'est la diversification et l'approfondissement des activités. La Chine a non seulement un très grand intérêt pour l'Afrique, mais également une vision stratégique globale de l'Afrique, ce que tous les pays concurrents n'ont pas forcément. Lorsqu'on écoute les Chinois sur les questions africaines, l'on a l'impression qu'ils voient en l'Afrique le réservoir de croissance pour les prochaines années. Il y a donc une volonté politique et une vision stratégique de long terme.

Selon vous quel impact induit cette stratégie sur les relations de la Chine avec le reste du monde notamment avec l'Europe ? l'Afrique est-elle un enjeu dans cette relation ?

J'ai l'impression qu'il y a une intention du côté européen d'essayer de voir la Chine comme un partenaire en Afrique. Il y a plusieurs initiatives dans ce sens du côté de l'Union européenne et de certains pays, notamment la France et le Royaume-Uni. La réflexion évolue dans le sens où la Chine émerge comme un acteur de sécurité, un peu comme partenaire extérieur incontournable. Du côté européen, l'on pense que le format trilatéral est une bonne idée, notamment sur les questions de développement ou de sécurité. Mais ni les Chinois, ni les Africains, ne sont intéressés par ce format. Les chinois sont dans un schéma très bilatéral. Du côté africain, selon les échos que j'ai, il n'y aurait pas un grand intérêt pour les formats trilatéraux, personne n'y voyant d'utilité. Alors que du côté européen, il y a presque volonté idéologiques de pousser vers ce type de formats.

Cette orientation n'exprime-t-elle pas les difficultés européennes à se positionner en Afrique ?

Je pense que du côté européen, notamment français, allemand et britannique, il y a une vision de la géopolitique froide. La chine est vue comme un compétiteur en la matière, ce qui explique la volonté de privilégier des formats qui neutralisent la puissance chinoise. Pourtant, il n'y a pas forcément du côté chinois une volonté affichée d'avoir une influence purement politique. Mais encore une fois, ce qui se passe en pratique au bout d'un moment, c'est que les intérêts économiques deviennent critiques et la Chine devient un acteur politique à part entière.

Pensez-vous que la Chine se dirige vers le rehaussement de la valeur ajoutée de ces activités en Afrique, au-delà de la simple fourniture de matières premières et de stocks d'énergie ?

La Chine a un intérêt de créer des marchés d'exportation pour ses biens manufacturés. Elle émerge aussi depuis longtemps comme un acteur majeur dans la construction d'infrastructures. Cette période qui va se prolonger au moins 5 ans, où la Chine continuera d'exporter les capitaux et la production de ses grandes entreprises d'État qui chercheront des débouchés pour de grands projets. C'est réellement une opportunité pour tous les pays qui sauront la saisir pour la tourner à leurs profits.

Peut-on imaginer à terme l'Afrique comme une base avancée de la Chine, pour la production puis l'exportation vers le reste du monde, particulièrement vers l'Europe ?

Pour l'instant, l'Afrique ne figure pas vraiment dans le projet de la nouvelle route de la soie chinoise qui se concentre sur la voie traditionnelle. C'est dans ces zones là qu'il y a un appui fort du gouvernement central aux entreprises pour qu'elles investissent. Pour l'instant je ne vois pas encore cette volonté de transformer localement ou de s'appuyer sur certains pays africains.

La Chine est déjà très active dans le secteur des infrastructures en Afrique. Pensez-vous que cette tendance va se poursuivre ou même s'accentuer ?

Je pense que nous nous dirigeons vers une période que l'on pourrait qualifier de la «prolongation de l'âge d'or». C'est difficile d'estimer si elle va se prolonger plus de 5 ou 10 ans. Cela dépend notamment des questions d'épuisement des investissements. Il faut également se demander s'il y a des retours sur investissement pour les chinois dans ces projets d'infrastructures.

Les investissements chinois ont parfois été critiqué de manière virulente en Afrique. Comment la Chine gère-t-elle cet aspect ?

J'ai interviewé des patrons chinois, en particulier à propos du Sud Soudan. Ils disaient avoir résolu le problème d'image dont ils souffraient. Ils se rendent bien compte du problème, qui selon eux, était d'abord lié à l'éducation de leurs travailleurs qui n'ont aucun contact avec la population locale. C'est en quelque sorte la recette pour que ça se passe mal. Il fallait que ces derniers appréhendent mieux les cultures locales. Il y a aussi un changement d'approche en règle générale. Il y a effectivement eu des problèmes qui ont fait la Une de la presse internationale, mais en même temps, il y a beaucoup de succès. Au final sans une analyse très fine, il est difficile d'avoir une position tranchée. C'est une question à considérer au cas par cas.

Pensez-vous que l'inclusivité des projets est susceptible de devenir de plus en plus un critère déterminant dans la coopération entre la Chine et l'Afrique ?

J'ai observé que les chinois se sont rendu compte de l'importance de l'inclusivité. Elle est même désormais utilisée dans les procédures d'approbation des investissements. Les décideurs chinois se rendent compte que certains risques qui pèsent sur les investissements sont liés au manque d'inclusivité. Il est vrai qu'aussi bien les entreprises que la diplomatie chinoises s'adressent surtout aux élites, mais je pense que la prise de conscience est vraiment là. Toutefois, son déroulement en pratique est encore au cas par cas et bien sûr, le problème n'est pas entièrement réglé. Globalement, par rapport à la discussion sur le même sujet il y a 5 ans, au début de cette prise de conscience, je trouve que les Chinois ont fait du chemin sur cette question de projets inclusifs.

Quels sont les principaux leviers de l'influence culturelle chinoise en Afrique ?

Il y a une décision assez claire du côté chinois d'asseoir son influence via sa couverture médiatique de l'Afrique, notamment en déployant des programmes de formation de journalistes. Il y a une volonté de faire connaître la Chine et de développer son influence à travers ce canal.

Comment imaginez-vous l'avenir à long terme de la Chine sur le Continent ?

J'ai une analyse relativement conservatrice. Les tendances actuelles devraient se poursuivre, notamment quant à l'implication sécuritaire. Mais je pense aussi qu'une crise pourrait faire basculer la situation et particulièrement une crise qui mettrait en danger des ressortissants chinois. Une telle éventualité pourrait intensifier la présence chinoise en Afrique. Un deuxième aspect fondamental concerne l'émergence de partenaires clés au sein du continent. Des pays avec lesquels la Chine va réellement approfondir sa coopération, et sa relation économique, qui vont se complexifier pour devenir à la foi politiques et sécuritaires. Nous nous dirigeons vers ce scénario dans certains pays africains. C'est un aspect à suivre, et je pense particulièrement au Nigeria comme exemple.

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Commentaire 1
à écrit le 24/07/2017 à 12:09
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Pour moi ayant résidé en Chine, le meilleur article récent sur la Chine c’est celui de @bernard Jomard à lire sur : http://bernard-jomard.com/2017/06/08/chine-pieges-a-eviter-abordant-marche-chinois/

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