« Il faut renforcer la résilience de l'Afrique face aux chocs »

Diversification des activités, industrialisation, désaccoutumance aux matières premières, mobilisation efficiente des ressources financières... autant de leviers fondamentaux pour atteindre un objectif vital : assurer la résilience des économies africaines aux face aux chocs internationaux. Entretien avec Yacine Fal, Responsable pays pour l'Afrique du nord à la Banque Africaine de Développement.

LTA : Nous sommes au crépuscule de 2016. Etait-ce selon vous une bonne année pour le continent Africain ?

Yacine Fal : L'on ne peut pas «caricaturer» 2016 facilement. Mais en tout cas, l'Afrique a maintenu une moyenne de croissance assez élevée, puisque c'est le deuxième pôle de croissance au niveau mondial après l'Asie. Et surtout, l'Afrique s'est confirmée comme une zone d'opportunités à l'échelle mondiale, avec des potentiels qui concernent non seulement le Continent, mais également ses partenaires. L'évolution s'est exprimée en valeur et en termes structurels. L'Afrique reste ainsi ancrée dans son processus de transformation structurelle avec une tendance qui reste positive malgré l'impact des aléas extérieurs.

Justement, pensez-vous que ces aléas se limiteront à un caractère conjoncturel ou risquent-ils d'avoir des impacts néfastes qui perdureront sur le moyen et long terme?

Je dirais que le Continent fait son chemin. L'on note une dynamique de croissance positive, mais ce qui est le plus important à surveiller, c'est la structure. La transformation de l'Afrique se fait à travers une diversification de la croissance, avec des éléments structurels importants comme la consommation et les investissements.

Comment donc s'est matérialisée cette tendance de diversification des économies africaines ?

Si l'on prend par exemple la question de la diversification sous le prisme de la consommation, l'on doit garder à l'esprit que l'Afrique suit bien entendu un processus démographique croissant, conjugué à une urbanisation forte et croissante, ce qui constitue à la fois un défi et une opportunité. Dans la même lancée, nous relevons une classe moyenne qui commence à émerger. Par ailleurs, nous avons noté une amélioration du climat des affaires et une amélioration des investissements. En ce sens que ces derniers ne sont plus seulement catalysés par l'Aide au développement, mais par une plus grande attractivité des investissements privés. Dans ce registre, il faut relever le développement des marchés financiers, un secteur bancaire qui se développe et qui s'approfondi et bien sûr des infrastructures qui affichent une forte progression notamment dans les télécoms et l'immobilier.

La progression est donc selon vous au rendez-vous. Qu'en est-il de son rythme ? Est-il suffisant pour combler les retards accumulés ?

La transformation du continent nécessite en effet de maintenir un rythme élevé. Certains analystes estiment que l'Afrique a besoin d'une croissance d'environ 7 % pendant une dizaine d'années pour pouvoir atteindre les objectifs de développement qui sont prévus à l'horizon 2050.

Ces 7 % de croissance sont donc indispensables pour le développement du continent. Est-ce selon vous un objectif réaliste pour les années à venir ?

Je pense que l'Histoire récente nous a rappelé qu'il faut prendre en considération plusieurs éléments à la fois. Les aléas et les chocs externes qui vont forcément intervenir font qu'il n'est pas raisonnable de faire des prévisions de ce type. Mais d'autre part, ce qui est important, c'est de maintenir et de renforcer la résilience à ces chocs externes.

2016 a ainsi démontré que plusieurs économies africaines étaient fortement exposées à ces chocs externes. Quels sont les leviers à actionner pour assurer cette résilience ?

C'est pour atteindre cette résilience que l'on parle aujourd'hui de transformation structurelle, notamment via les priorités que la BAD promeut. Ces dernières sont au nombre de cinq : l'accès à l'énergie à la fois pour les personnes et pour les opérateurs économiques, réussir la transformation agricole à la fois face aux défis de sécurité alimentaires et ceux de production, l'industrialisation, l'intégration des différentes régions du continent et le renforcement des échanges intracontinentaux, et enfin, l'inclusion sociale et l'amélioration des conditions de vie des africains est évidement une priorité importante.

Sur le papier, ces priorités sont claires et cohérentes. Mais concrètement, pensez-vous qu'elles soient suffisamment assimilées par les dirigeant africains et mis en œuvre dans les politiques publiques des différents pays d'Afrique ?

Le fil rouge reste la transformation structurelle. C'est en l'achevant que les économies les plus fragiles pourront sortir de leur vulnérabilité aux chocs externes. En effet, ces économies-là sont basées sur une faible industrialisation, et sont fondées sur des objectifs primaires de survie plutôt que de cibler la génération d'investissements et de ressources. Là, les politiques publiques sont effectivement très importantes et l'un des rôles principaux de la BAD est d'accompagner les pays. Dans ce sens, nous ressentons tout de même une certaine convergence. Cette dernière se matérialise notamment par la multiplication des plans d'émergence industrielle et des stratégies de développement durable qui sont plus ou moins abouties, mais qui sont déjà présentes. L'Afrique est le continent où il y a le plus d'engagement en matière de développement durable. Par ailleurs, plusieurs pays africains ont changé de catégorie en passant de la catégorie à faibles revenus à celle des revenus intermédiaires. Donc oui, il y a une dynamique qui se confirme depuis les années 2000. Cependant, il faut parler d'une autre prise de conscience. Celle relative au fait que le développement ne peut pas dépendre des seules politiques publiques. Nous devons nous rendre encore plus compte qu'il faut mobiliser un investissement privé important en plus de l'investissement public.

Comment alors impliquer encore plus le secteur privé, au-delà de son rôle « naturel » de recherche de la rentabilité financière ?

Il faut dire que nous avons compris que même dans le public, l'on ne peut pas investir dans des projets qui ne sont pas rentables.

Ne risque-t-on pas d'être confrontés en 2017 à l'urgence de gérer la dégradation des finances publiques et le rétablissement des équilibres macroéconomiques ? Le Nigéria, la plus grande économie africaine, est même entrée en récession en 2016...

Il faudra faire face à la fois au rétablissement des équilibres macroéconomiques et aux problématiques de développement. Il faut mobiliser les acteurs et non pas rester exclusivement fiscalisé sur les objectifs de croissance pure. C'est ainsi que l'on pourra poursuivre sur une bonne trajectoire et résister aux chocs.

Ne faut-il donc pas s'inquiéter plus que ça de la récession d'un géant continental comme le Nigeria ?

Oui, mais il y a quand même une évolution positive. Par exemple, l'Afrique n'a pas si mal résisté à la crise financière. Il faut donc mettre encore plus l'accent sur la diversification. Les pays du continent, individuellement et collectivement, doivent de moins en moins être dépendants d'économies monolithiques. Dans ce sens, il s'agit également de la diversification des acteurs aux niveaux national, régional et mondial. Ici, les maîtres mots sont la diversification, le partenariat et le multidimensionnel.

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Commentaire 1
à écrit le 02/01/2017 à 5:39
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100% d accord avec ce discours. A notre niveau nouveau essayons de convaincre les maires de la région du Littoral au Cameroun de signer des partenariats avec nous afin qu' ensemble nous recherchons les financements pour lancer les projets d électrifi...

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