Pourquoi il faut supprimer la zone MENA et créer une Zone Afrique

MENA. Cet acronyme créé de toutes pièces à la fin des années 90 par la Banque Mondiale et l’administration américaine, signifiant « Middle East and North Africa » (Moyen-Orient et Afrique du Nord) est-il encore d’une quelconque utilité ? Décryptage.
Abdelmalek Alaoui

Regroupant 18 pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, et représentant près de 60% des réserves mondiales de pétrole ainsi que 45% de réserves de gaz, cet ensemble hétéroclite correspond en effet à une vision du monde caduque et à une conception de l'économie de la région qui détruit de la valeur au lieu d'en créer.

La question de l'inclusion de l'Afrique du Nord dans cette région virtuelle est bien entendu centrale. En effet, quel avantage y a t-il a séparer l'Afrique du nord du reste de l'Afrique dans la plupart des publications internationales issues des organisations multilatérales et des organismes de production de contenu ?

Une césure symbolique lourde de sens

En termes symboliques tout d'abord, faut-il souligner que cette « frontière » immatérielle correspond à la césure entre Afrique « Blanche » et Afrique « Noire », source de nombreux conflits au fil des siècles et l'une des raisons fondamentale de l'instabilité du Sahel ? De même, cette césure répond à une logique où l'on voudrait mettre ensemble des pays qui ont l'arabe en partage, en occultant de fait les dimensions multiples des peuples des pays d'Afrique du nord, également berbères, africains, et méditerranéens.

Au delà d'une maladresse manifestement dictée par une vision occidentale utilitariste, la création de la zone MENA a contribué à brouiller encore plus les cartes d'une région du monde éminemment complexe, où s'enchevêtrent conflits enracinées, enjeux géostratégiques des grandes puissances, accès de l'est vers l'ouest, et ambitions globales autour des ressources en hydrocarbures.

Au niveau stratégique, ce découpage du monde correspond enfin à une volonté de mettre ensemble plusieurs pays afin de permettre aux multinationales -notamment américaines-  de créer des sièges régionaux qui adressent un marché de près de 350 millions d'habitants, au pouvoir d'achat en croissance mais inégalement réparti dans la zone.

Des sièges régionaux de multinationales arbitrairement situés

En termes pratiques, cela signifie que plusieurs grands groupes internationaux  ont arbitrairement situé leur siège régional MENA au Moyen-Orient, créant une distorsion dans leur traitement des marchés d'Afrique du Nord, et entravant de ce fait leur implication au Maroc, en Egypte, en Algérie ou en Tunisie, alors même que ces pays sont ceux qui avaient le plus besoin d'Investissements Directs Étrangers (IDE). Cela signifie également que les sièges régionaux des multinationales adressant l'Afrique sub-saharienne ont généralement été placés en Afrique du Sud, négligeant ainsi l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest Francophone avec ses 400 millions de consommateurs.

Dans ce contexte, il est curieux que peu de chantres de l'intégration du continent ne se soient pas penchés sur ce chantier prioritaire de la suppression de la Zone Mena de la littérature internationale. Seule cette suppression permettrait de promouvoir la recréation d'une Zone Afrique qui réponde à l'évolution économique du continent et lui redonne une identité institutionnelle économique cohérente.

Perte de vitesse des énergies fossiles et transition écologique

Le moment est en effet propice : à l'heure où les énergies fossiles perdent de leur importance stratégique, le Moyen-Orient a amorcé une politique de diversification de son économie par le commerce. En Afrique, un certain nombre de pays font preuve de volontarisme en matière de transition environnementale, ce qui fait que tout le monde aurait à gagner à agir en faveur d'une clarification des périmètres régionaux qui permettraient au continent d'affirmer son ambition économique mondiale sans être amputé de sa façade méditerranéenne.

En matière d'allocation des investissements mondiaux et de circulation du capital, cela permettrait à la fois une meilleure  répartition des efforts des multinationales, ainsi que l'impulsion d'une dynamique qui respecte la géographie, le poids de l'histoire, et l'orientation des marchés.

Le Maghreb, point d'entrée du Golfe vers l'Afrique : une place à prendre

La suppression de la région MENA ne signifie pas pour autant que la coopération économique qui existe entre l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient ne doit pas continuer à être approfondie, car elle repose sur une « communauté de valeurs et de destins » incontestable. Au contraire, le Maghreb pourrait se positionner comme une véritable passerelle des investissements du Golfe vers l'Afrique, du fait de sa double maîtrise culturelle des codes de l'Orient et de l'Afrique. En combinant leurs atouts, ces deux régions peuvent ainsi constituer un moteur de croissance additionnel pour l'Afrique, et se substituer aux grands pays émergents dont le ralentissement de la croissance a freiné les ambitions africaines. Dans ce cadre, il y a une place à prendre et une dynamique tridimensionnelle à mettre en place sans attendre, au nom de la volonté commune de miser sur le continent de l'avenir. Reste à dépasser la formidable capacité de résistance des institutions multilatérales, telles la Banque Mondiale ou le FMI, lesquelles, on le sait, voient toute initiative visant à changer leur manière de faire comme une atteinte à leur souveraineté. A ce titre, la construction d'un champ sémantique de justification du maintien de la zone MENA par ces institutions, empreint de logorrhée « globalisante » et de terminologie économique complexe constitue un danger qu'il ne faut sous-estimer, et qu'il faut combattre pied à pied à travers un outil très simple : une carte du monde.

Abdelmalek Alaoui

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Commentaires 3
à écrit le 07/12/2016 à 12:43
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oui et mille fois oui !! OUI !!!! on a rien à y faire ! nous sommes africains et non moyen-orientaux !!

à écrit le 06/12/2016 à 14:07
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Tout d'abord l'afrique n'est ni noire, ni blanche.. L'AFRIQUE EST DIVERSE.. Personne jusqu'ici ne défend la diversité africaine.. qui est une réalité humaine et historique.. Quand vous dîtes l'afrique noire, vous tombez dans ce que vous dénoncez.. E...

à écrit le 05/12/2016 à 23:03
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Très intéressant mais dommage de devoir à chaque fois nous coller à des pays avec lesquels nous avons peu de points communs. Le grand maghrebi était une idée séduisante mais petit marche pour les bailleurs de fonds.

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