COP26 : un Accord de Glasgow a minima qui ne répond pas aux attentes de l'Afrique

Du 31 octobre au 12 novembre, l'Ecosse accueillait la 26e Conférence des Parties. Au terme d'âpres négociations et en dépit d'un certain nombre d'avancées sur le terrain des énergies fossiles, les grandes ambitions affichées au début de la COP26 ont laissé un goût amer aux pays émergents.
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En août 2021, le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) prévenait que l'Objectif de l'Accord de Paris pour limiter le réchauffement climatique global par rapport à l'ère préindustrielle était mal parti. « Le constat est alarmant : la hausse de la température globale s'est encore accentuée à un rythme qui fera très probablement dépasser le seuil de 1,5 °C de réchauffement depuis l'ère préindustrielle entre 2021 et 2040 », prévenaient les experts du climat. Annoncée comme la « COP de la dernière chance », ce grand raout de l'environnement cristallisait donc tous les espoirs, en particulier ceux des pays du Sud. Rehaussement de l'ambition climatique, finalisation des règles d'application de l'Accord de Paris, mobilisation de la finance climat et renforcement de l'Agenda de l'action, telles étaient les priorités affichées par la COP26.

In fine, les analystes retiendront que pour la première fois, il a été fait mention de la responsabilité des énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) en matière de réchauffement climatique. Elles sont en effet responsables d'environ 90 % des émissions mondiales de CO₂ et de 70 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES). Un texte inédit appelle les pays à « accélérer la sortie du charbon » et à en finir avec les « subventions aux énergies fossiles », lequel sera finalement affaibli sous la pression de l'Inde, de la Chine et de l'Arabie saoudite en particulier. Par ailleurs, l'accord relatif aux règles des marchés carbone destinées à réduire les émissions de CO2 a vite été remis en question par les environnementalistes qui craignent un détournement du système, estimant que la compensation carbone pourrait fragiliser les objectifs de réduction de GES.

Protéger les poumons verts de la planète bleue

Sur la dernière ligne droite de la COP26, Chine et Etats-Unis se sont engagés à « des actions climatiques renforcées » dans une déclaration conjointe, concernant en particulier les émissions de méthane qui représente le deuxième GES lié à l'activité humaine (-30% d'ici 2030). Parallèlement, une centaine d'Etats parties (représentant 85% de la couverture forestière mondiale) se sont accordés pour en finir avec la déforestation qualifiée de « massacre à la tronçonneuse » par le Premier ministre britannique, à l'horizon 2030. Cet engagement est soutenu par un financement public-privé à hauteur de plus de 16 milliards d'euros. La forêt d'Afrique centrale, deuxième plus vaste forêt du monde, perd 2 millions d'hectares par an, mais absorbe encore à ce jour plus de CO2 qu'elle n'en rejette. Selon le Joint Research Center, la République démocratique du Congo aurait perdu 20 % de sa couverture forestière en trois décennies, des suites d'une population exponentielle, toujours largement dépendantes de la culture sur brûlis.

Pour Jean Missinhoun, président de la Fondation Earth Love United, la COP a néanmoins permis plusieurs avancées significatives. Il souligne par ailleurs que le continent africain regorge de solutions vertes. « L'Afrique bénéficie de ressources qui sont au cœur de la transition énergétique. Il existe plusieurs solutions à la décarbonisation, certaines sont technologiques et d'autres sont naturelles. Dans le cadre de notre fondation, nous menons des recherches sur le site Ramsar 1017 au sud du Bénin où les mangroves permettent justement cette décarbonisation ». Quant au coût de la transition, conservant son optimisme, l'ancien trader dans le pétrole assure que « l'argent existe. Il n'y a pas de problème de capital, mais de projets bancables ».

Les limites de la COP de Glasgow

« Profondément désolé », Alok Sharma, le président de la COP26 est arrivé à la tribune les larmes aux yeux, pour annoncer des conclusions qui reflètent des accords a minima, au terme de deux semaines de négociations. Il n'est pas le seul a manifesté sa déception... Alors que cette COP était attendue comme le rendez-vous ou jamais pour échapper à « un aller simple vers le désastre », António Guterres estime que les avancées ne sont pas suffisantes. « La catastrophe climatique frappe toujours à la porte » faute de « volonté politique (...) les intérêts, les conditions, les contradictions et l'état de la volonté politique du monde d'aujourd'hui », regrette le Secrétaire général des Nation unies.

« C'est mou, c'est faible, et l'objectif de 1,5°C est à peine en vie », déclarait pour sa part, Jennifer Morgan, à la tête de Greenpeace International, reconnaissant néanmoins le « signal » pour mettre « fin à l'ère du charbon ».

Après plusieurs jours de manifestations, Greta Thunberg s'est fendue d'une déclaration lapidaire sur son compte Twitter, qualifiant de « bla bla bla » les échanges de la COP et affirmant que « le vrai travail continue en dehors de ces salles ».

Pour Jean Missinhoun, « il y a eu des avancées au niveau de l'Article 6 qui définit les règles pour la codification du marché mondial du carbone et les pays se sont engagés à verser les 100 milliards de dollars d'ici 2023 avec la possibilité de doubler ce montant. Enfin, l'élimination graduelle de l'utilisation du charbon, ouvre la porte à un nouveau monde », nuance-t-il.

Un accord signé du bout des doigts par les pays du Sud

En première ligne des effets du réchauffement climatique, les pays du Sud ont manifesté leur déception. « Nous ne pouvons pas nous contenter de discours alors que la mer monte en permanence autour de nous », déclarait Simon Kofe, ministre des Affaires étrangères des Îles Tuvalu, le corps à moitié immergé. Entre sécheresse, famine climatique et inondations, la situation n'est guère plus enviable en Afrique.

Précédemment échaudés par les engagements non tenus des pays riches, principaux émetteurs de GES, à l'issue de la COP21, de porter leur aide climat à 100 milliards de dollars par an pour soutenir les pays émergents, ces derniers étaient arrivés à Glasgow avec l'objectif de la mise en place d'un financement spécifique des « pertes et préjudices » liés aux dégâts irréversibles générés par des catastrophes climatiques soudaines ou aux phénomènes à occurrence lente. L'Union européenne et les Etats-Unis en particulier, inquiets de créer une jurisprudence qui les auraient entraînés dans un procès à plusieurs milliards de dollars, ont tué la proposition dans l'œuf.

« Les volumes de financements promis ne seront pas atteints à l'horizon 2020. On peut le regretter, mais l'Europe est au rendez-vous, contribuant à hauteur de 25 milliards d'euros (...) Collectivement, nous avons tous eu des difficultés à mobiliser l'investissement privé et je suis confiante sur le fait que ces 100 milliards de dollars seront atteints a minima en 2023. Ce ne sont pas de fausses promesses », déclare Mathilde Bord Laurans, responsable de la Division Climat de l'Agence française de développement (AFD).

Au final, les pays du Sud se contenteront de valider à contre-cœur un texte sur l'accélération de la mise en œuvre de dispositifs déjà prévus, sans aspect contraignant. « Je suis extrêmement déçu que les pays développés ne soient pas en mesure de tenir les engagements qu'ils ont pris il y a douze ans à Copenhague », déplorait Jean Jouzel. « Nous ne sommes pas au rendez-vous et c'est extrêmement regrettable », ajoute le paléoclimatologue français, connu pour avoir publié la première étude établissant formellement le lien entre concentration de CO2 et réchauffement climatique. Pour Teresa Anderson de l'ONG ActionAid International, le résultat de la COP est tout simplement « une insulte aux millions de personnes dont les vies sont ravagées par la crise climatique ».

« L'Afrique a besoin d'une action collective décisive plutôt que de mots plus encourageants. Le non-respect de cet engagement tardif maintenant, avec la moitié des 100 milliards de dollars réservés aux coûts d'adaptation, sapera le principe même de l'action multilatérale », prévenaient Akinwumi A. Adesina (BAD), Ngozi Okonjo-Iweala (OMC), Vera Songwe (CEA), and Ibrahim Assane Mayaki (NEPAD) dans un texte commun publié dans Project Syndicate.

Finance verte et crise de solidarité climatique mondiale

Dans une étude du 19 octobre, les Nations unies estimaient qu'à l'horizon 2030 « jusqu'à 118 millions de personnes extrêmement pauvres seront exposées à la sécheresse, aux inondations et aux chaleurs extrêmes en Afrique si des mesures adéquates ne sont pas prises » et qu'il en coûterait 3 % de PIB à l'Afrique subsaharienne d'ici 2050, sans  mesures appropriées.

Responsable de 4 % des émissions de GES, l'Afrique paye déjà le prix fort du changement climatique et ne concentre que 26 % des financements climatiques au niveau mondial (18,5 milliards de dollars par an). La croissance démographique, associée au développement de son tissu économique, pourraient encore aggraver la situation, car la demande d'énergique augmente en moyenne, deux fois plus vite que dans le reste du monde.

L'Organisation météorologique mondiale (OMM) estime que la sécheresse aurait déjà coûté la vie à plus de 700 000 personnes sur le continent depuis 1970.

« Malgré les limites liées aux données disponibles, les coûts estimés de l'adaptation et les probables besoins de financement pour l'adaptation dans les pays en développement sont cinq à dix fois plus élevés que les flux de finance publique internationale destinée à l'adaptation », alertait un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) publié le 4 novembre dernier et intitulé La tempête qui s'annonce.

« Le sommet des Nations Unies sur le climat de l'année prochaine, la COP27, aura lieu en Afrique [en Egypte, ndlr], et nous sommes impatients d'accueillir le monde. Mais les pays développés doivent tenir leurs promesses climatiques de longue date envers la région bien avant cela - en commençant à Glasgow » avertissent la directrice générale de l'OMC, le président de la BAD, la secrétaire générale adjointe de l'ONU, secrétaire exécutive de la CEA et le directeur général du NEPAD dans une tribune commune publiée en marge de la COP26.

L'urgence climatique et la représentation africaine à Glasgow

« Traditionnellement, le nombre des négociateurs climat venus d'Afrique est peu élevé et c'est aussi une des questions sur lesquelles nous travaillons, en particulier avec notre filiale Expertise France », explique Mathilde Bord Laurans de l'AFD. L'Agence française de développement consacre 2 milliards d'euros par an à l'adaptation climatique et vient de renouveler Adapt'Action, une assistance technique associée à des activités de renforcement des capacités pour consolider la gouvernance climat dans plus d'une quinzaine de pays africains.

Face à l'urgence climatique, les négociations de la COP26 apportent des réponses sur le long terme et pendant ce temps, les inondations au Niger et la famine liée à la sécheresse à Madagascar se poursuivent. « Une COP n'est pas le lieu où se décident des financements ponctuels sur la matérialisation d'une crise dans un endroit spécifique du globe, car c'est une enceinte multilatérale. Néanmoins, ce processus décisionnel a son utilité, car il fixe le cadre sur le long terme », rappelle la directrice climat de l'AFD.

Enfin, si la Gambie s'est illustrée comme le « bon élève » de la COP26, affichant le respect des engagements de l'Accords de Paris en termes de « décarbonisation », selon l'ONG Climate Action Tracker (CAT), le petit pays d'Afrique de l'Ouest est loin de refléter la situation du continent dans son ensemble. « Très peu de pays africains ont fourni des trajectoires de long terme. C'est un vrai sujet », souligne Mathilde Bord Laurans.

« Sur les 54 pays du continent, peu de pays africains était réellement présents à Glasgow. Certains pays n'ont envoyé qu'un ou deux négociateurs. Là est tout le problème ! En dehors des pays qui sont en première ligne du réchauffement climatique comme Madagascar ou l'île Maurice, pour les autres, ce n'est toujours pas une priorité », a regretté Jean Missinhoun.

La prochaine COP se tiendra en Egypte et drainera, sans doute, de plus importantes délégations africaines qui ne seront pas soumises aux mêmes contraintes logistiques ni sanitaires au pays des Pharaons.

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