Charles Andrianjara : «Le Covid-Organics n’est pas un médicament au sens scientifique du terme»

Venue du Levant pendant la guerre du Vietnam, l'artemisia ou l'«absinthe chinoise» de Madagascar connaît un regain d'intérêt de Tananarive à Dakar. Si la plante fait l'objet de nouvelles observations cliniques pour un usage prophylactique, le Covid-Organics n'est pas un médicament assure Charles Andrianjara, directeur de l'Institut malgache des recherches appliquées (IMRA) à La Tribune Afrique.
Charles Andrianjara, directeur de l'Institut malgache des recherches appliquées (IMRA).
Charles Andrianjara, directeur de l'Institut malgache des recherches appliquées (IMRA). (Crédits : DR.)

Que recouvrent les activités de l'Institut malgache des recherches appliquées ?

Charles Andrianjara : L'Institut existe depuis 1957. A l'origine, c'était une ONG fondée par Albert Rakoto Ratsimamanga. Le professeur a inventé plusieurs médicaments à partir de plantes endémiques à Madagascar comme le Madécassol à base de centella asiatica pour guérir les plaies, le Madéglucyl ou encore le Madétoxyl.

En 2012, l'IMRA est devenue une fondation reconnue d'utilité publique. Il a ensuite obtenu le statut de centre régional de recherche par l'Union africaine. L'institut compte actuellement près de 120 salariés, dont la moitié exerce dans la recherche. L'IMRA dispose de plusieurs laboratoires dédiés à la recherche médicale, à la pharmaceutique orientée sur l'ethno-botanique, à la pharmacopée traditionnelle, mais aussi à la chimie et à la fabrication de médicaments. Notre approche représente le mariage entre la médecine traditionnelle et les techniques scientifiques modernes. Nous travaillons dans différents domaines de recherche et notamment sur les allergies et les inflammations, le diabète ou encore l'hypertension artérielle.

Madagascar est connue pour ses espèces animales et végétales endémiques. Que représente la médecine traditionnelle sur la grande île ?

Dans la forêt malgache, plus de 50% des plantes sont endémiques. A ce jour, 3 000 plantes seulement sont répertoriées dans la pharmacopée traditionnelle. Ces espèces de plantes sont utilisées par les tradipraticiens pour des maladies diverses telles que la diarrhée ou l'asthme. Selon une publication de l'OMS, plus de 70% des Africains auraient encore recours à la médecine traditionnelle. A Madagascar, le recours aux plantes locales relève de traditions très lointaines. Globalement, les populations malagasy utilisent avant tout des traitements naturels et si cela ne suffit pas, elles se tournent alors vers un médecin conventionnel.

Que savons-nous précisément de l'artemisia ?

C'est justement le professeur Albert Rakoto Ratsimamanga, le fondateur de l'IMRA, qui a rapporté l'artemisia du Vietnam en 1975. C'est une plante envahissante qui s'est très bien adaptée à Madagascar, au point d'y avoir développé certaines propriétés. En effet, son taux d'artémisinine, c'est-à-dire son principe actif, est particulièrement élevé, comparé à l'artemisia que l'on peut trouver dans d'autres régions du monde et notamment en Asie [...] Cette plante a d'abord fait l'objet d'un traitement antipaludéen, largement répandu sur l'île jusqu'à l'introduction d'un programme national de lutte contre le paludisme qui intégrait de la nivaquine ou de la chloroquine. A partir de ce moment-là, l'IMRA a arrêté la production du médicament à base d'artemisia. Toutefois, l'usage de cette plante est resté très répandu dans les campagnes. Elle sert encore comme antipaludéen, mais plusieurs études ont démontré que c'était aussi un antiviral puissant, un anti-inflammatoire et un antibactérien utile dans les cas de bilharziose [maladie qui représente la deuxième endémie parasitaire après le paludisme, ndlr] par exemple.

Que représente le Covid-Organics, ce traitement présenté par le président Andry Rajoelina comme un remède au Coronavirus ?

Le Covid-Organics est donc un remède traditionnel amélioré à base d'artemisia et d'autres plantes endémiques à Madagascar, qui existe sous forme de décoction, de tisane, de boisson de 33 cl, d'un litre ou de 5 litres. Nous avons observé chez plusieurs patients positifs au Covid-19, des améliorations suite à la prise de cette plante, ce qui nous a poussés à réaliser de nouvelles observations cliniques, mais nous n'avons pas réalisé de test en laboratoire à ce jour. Cette plante possède des propriétés intéressantes et pousse à profusion ici. Par ailleurs, son coût est accessible pour les populations locales. Toutefois, il est important de rappeler que ce n'est pas un médicament, au sens scientifique du terme.

Menez-vous actuellement des recherches concentrées sur d'autres plantes endémiques à Madagascar dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 ?

Effectivement, car il existe plusieurs plantes immunostimulantes qui nous semblent intéressantes. Cela étant, la plupart du temps ces plantes poussent de façon anarchique dans la nature, ce qui rend leur collecte et leur approvisionnement difficile [...] S'agissant de nos recherches sur l'artemisia, elles avancent, mais elles devraient prendre un certain temps, car on ne peut pas réaliser de test clinique maintenant, sans avoir validé les premières tendances [...] Pour l'heure, on cherche à créer un traitement prophylactique grâce à cette plante qui n'a, à ma connaissance, jamais montré d'effets secondaires sévères.

Propos recueillis par Marie-France Réveillard

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Commentaire 1
à écrit le 30/04/2020 à 17:17
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"Pas un médicament au sens scientifique du terme" … tout est dit ! De quoi donner envie au gourou marseillais.

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