Migrations : adoption du pacte de Marrakech sur fond de polémiques

Le Pacte mondial des migrations a été adopté hier par plus de 150 pays à Marrakech, le jour des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le texte controversé a fait l'objet d'une véritable levée de boucliers, révélant des fractures politiques profondes, qui hypothèquent encore un peu plus l'avenir d'une politique européenne commune et divisent les représentants politiques, de Berlin à Washington et de Rome à Cambera.
Pour la première fois de son histoire, la conférence internationale sur les migrations s'est donc tenue en Afrique et, en dépit de l'absence remarquée d'Emmanuel Macron, aux prises avec la crise des « gilets jaunes ».
Pour la première fois de son histoire, la conférence internationale sur les migrations s'est donc tenue en Afrique et, en dépit de l'absence remarquée d'Emmanuel Macron, aux prises avec la crise des « gilets jaunes ». (Crédits : REUTERS/Abderrahmane Mokhtari)

Devant les montagnes de l'Atlas, d'immenses chapiteaux blancs se dessinent dans un espace créé pour recevoir les quelques 150 délégations étrangères attendues à la Conférence mondiale sur les migrations. « Sachant qu'il n'y avait rien ici quelques semaines plus tôt, c'est miraculeux d'avoir construit ce magnifique centre de conférence à partir de rien » s'est émerveillé le secrétaire général de l'ONU à son arrivée.

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Pour la première fois de son histoire, la conférence internationale sur les migrations s'est donc tenue en Afrique et, en dépit de l'absence remarquée d'Emmanuel Macron, aux prises avec la crise des « gilets jaunes » (NDR : représenté par Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères), de nombreuses personnalités avaient fait le déplacement dans la « cité ocre »: la chancelière allemande Angela Merkel, les présidents du Panama, d'Albanie, des Comores mais aussi le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, le Secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, le DG de l'OIM, Antonio Vitorino ainsi que de nombreux ministres dont le grec Alexis Tsipras et plus de 700 partenaires invités. Néanmoins, la question migratoire mobilise tout autant qu'elle ne divise...

Un sujet difficile à éviter pourtant, au regard des 258 millions migrants internationaux répertoriés par l'ONU à ce jour, soit 3,4% de la population mondiale.  En termes de profils, ils sont à 72% en âge de travailler (20-64 ans) et comptent 48% de femmes ; parmi eux, les réfugiés ne représentent que 10%. Au niveau de la répartition géographique, l'OIM rapporte que l'Amérique du Nord accueillait 54 millions de migrants internationaux soit 22% du chiffre mondial, derrière l'Europe et l'Asie (NDR: 75 millions de migrants chacun). Proportionnellement au nombre d'habitants par région, c'est en Asie que la part de migrants internationaux a le plus progressé, + 50% entre 2000 et 2015.

Enfin, sur les 258 millions de migrants, les Africains ne représentent que 36 millions dont 80% restent sur le continent, et 80% des migrants africains, hors Afrique sont en situation régulière. « La grande partie des migrants n'est pas africaine et la majorité des migrants africains sont légaux » a rappelé Nasser Bourita, le ministre des Affaires étrangères du Maroc et président de la Conférence.

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Un pacte pour des « migrations plus sûres, ordonnées et régulières »

La ratification du « Pacte de Marrakech » qui fait suite à la Déclaration de New York du 19 décembre 2016 signée par plus de 190 pays, repose sur l'idée d'« améliorer la coopération » internationale pour des « migrations plus sûres, ordonnées et régulières ».

Hier, les représentants de 122 pays se sont exprimés à Marrakech sur ce texte qui doit être entériné le 19 décembre prochain aux Nations unies. Près d'un quart des pays membres de l'ONU ont donc refusé ou se sont abstenus de valider le pacte des migrations internationales.

En substance, le texte repose sur 23 objectifs, allant de la lutte « contre les facteurs négatifs -poussant- des personnes à quitter leur pays d'origine » à la recherche des « migrants disparus » en passant par la nécessité « d'investir dans les politiques d'accueil» ou la mise en place d'une « action transnationale face au trafic de migrants ». Selon Counter Trafficking Data Collaborative (CTDC), le phénomène de trafic humain affecterait 91.416 personnes de 169 nationalités différentes, dans 172 pays.

Organiser des « migrations plus sûres » est notamment devenu un impératif européen, au regard des 63.142 migrants qui sont arrivés par voie maritime en méditerranée cette année, dont 1.500 ont péri en mer, selon l'OIM. « On a vu assez de morts dans la méditerranée » a déploré Ellen Johnson Sirleaf, l'ancienne Présidente du Libéria.

Regroupant des principes inscrits dans plusieurs textes internationaux concernant les droits de l'Homme, de l'Enfant, la lutte contre l'esclavage ou le climat, le Pacte de Marrakech a été pensé pour faciliter l'échange d'informations à travers des recommandations sur les flux migratoires, dans un cadre de coopération juridiquement non contraignant pourtant, les polémiques se sont multipliées autour de l'existence même du pacte. Des voix s'élèvent contre le risque d'indifférenciation entre migrants économiques et demandeurs d'asile, que recouvrirait le pacte de Marrakech.

Multilatéralisme contre nationalisme ?

Le pacte mondial indique dès son préambule, que le « droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales » sera respecté et que les propositions sont des « objectifs » sans valeur légale, ce qui n'a pas empêché les polémiques...

« Je suis attristée que mon pays ne soit pas officiellement représenté » a déclaré Madeleine Albright venue pour le compte de Albright Stonebridge Group, qui a rappelé que sa famille originaire de Tchécoslovaquie, avait elle-même été réfugiée. «L'approche globale de la Déclaration de New York n'est simplement pas compatible avec la souveraineté américaine» expliquait en effet l'administration Trump, en décembre 2017. Cette défection fut la première d'une longue série : Hongrie, Bulgarie, Italie, Autriche, Pologne, République dominicaine, Estonie, Slovaquie, République tchèque, Lettonie et Israël (...) ont décidé de ne pas signer l'accord. En Hongrie, le ministre des affaires étrangères déclarait en juillet, que ce pacte allait «entièrement à l'encontre de la sécurité» du pays. Fin octobre, c'est la coalition dirigée par le chancelier Sebastian Kurz avec le FPÖ qui indiquait que «l'Autriche refuse la possibilité que le pacte sur les migrations établisse un nouveau droit international contraignant ou puisse être interprète comme tel».

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Si le texte présenté comme «vital en matière de droits de l'homme» selon Michelle Bachelet, Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme à l'ONU, n'a aucune portée juridique contraignante, son adoption lie néanmoins les Etats qui le ratifient et pose les principes généraux qui serviront de références pour l'avenir, faisant craindre, une perte de souveraineté à ses détracteurs. Ainsi, le 3 décembre, Marine Le Pen en France, parlait de «pacte avec le Diable »... Dernier rebondissement à la veille de l'ouverture de la Conférence: le Premier ministre belge, Charles Michel se retrouve sans majorité après la démission des indépendantistes flamands qui refusent de signer le Pacte. C'est avec force conviction qu'il est venu assumer sa décision devant un amphithéâtre comble. « Des nationalistes tentent d'empoisonner les débats » a prévenu Madeleine Albright tandis qu'Angela Merkel a déclaré que les débats autour de ce texte, rappelaient les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale, et de conclure: « Cela vaut la peine de se battre pour ce pacte » sous un tonnerre d'applaudissements...

L'Europe se fracture sur la question migratoire

Louise Arbour, la Représentante spéciale de l'ONU pour les migrations internationales a énuméré les défis auxquels le monde était confronté, nécessitant « des efforts conjoints -en matière de migration- face au défi démographique, au vieillissement de la population, aux changements climatiques (...) la mise en œuvre du pacte mondial pour les migrations changera à jamais la façon dont la communauté internationale gère la mobilité humaine ». C'est justement là où le bât blesse... Dans quelle mesure un texte « qui change tout » pourrait-il s'imposer comme une référence mondiale, sans l'adhésion de certains des principaux pays d'accueil?

Le texte laisse apparaître une fracture entre les uns, non-signataires, volontiers taxés de nationalistes voire de racistes et, les autres « ouverts à la diversité et au multilatéralisme »...

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Par ailleurs, l'argument économique a été opposé aux non-signataires. « Les sommes que les migrants envoient chez eux représentent le triple de l'aide publique au développement, même si c'est dans leurs nouvelles communautés qu'ils dépensent 85% de ce qu'ils gagnent » a rappelé Antonio Guterres. « Dans des endroits où la fertilité décline et où l'espérance de vie augmente, l'économie stagnerait et les populations souffriraient sans migration » a-t-il poursuivi.

C'est donc sur fond de controverse que le pacte a été adopté. Il aura mis en évidence l'impossible consensus européen sur la question migratoire, en dépit des efforts marqués de la France et de l'Allemagne (NDR : la chancelière allemande payant encore le prix de la crise syrienne). « Le Maroc interpelle l'Union européenne : où est l'Europe ? La présidence européenne n'est pas là ! » a constaté Nasser Bourita. « La solution de facilité européenne est de rejeter la responsabilité vers les pays de transit, ce qui n'est pas la solution (...) Le Maroc a déjà affirmé qu'il n'accepterait pas de hotspots  ou ce genre d'initiatives... » a-t-il poursuivi.

In fine, le pacte a également rappelé la fragilisation de la légitimité onusienne. « Les institutions ne fonctionnent plus comme autrefois » a déploré Madeleine Albright. « La réussite de cette conférence dépendra de la suite donnée » a-t-elle averti. Précisément, pour s'assurer d'une suite favorable, le Maroc, en tête de proue dans le dossier migratoire africain, a signé hier, un accord pour la création d'un Observatoire africain des migrations, en marge de la conférence avec Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l'Union africaine...

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