Ghana : Jerry Rawlings, « l’un des rares présidents africains que le pouvoir a éduqués »

Le Ghana observe un deuil national de sept jours depuis vendredi 13 novembre suite au décès à 73 ans de l’ancien président Jerry Rawlings, considéré comme le père de la démocratie ghanéenne. L’annonce de sa disparition jeudi a ému l’Afrique entière, tant son leadership a résonné au-delà des frontières de cette économie prometteuse, deuxième producteur mondial de cacao. Si des économistes d’Afrique et d’ailleurs saluent un combattant de la corruption, une analyse objective permet, un tant soit peu, de jeter la lumière sur ce qu’a été le leadership économique du premier président élu démocratiquement dans cette nation ouest-africaine.
Ristel Tchounand
(Crédits : Reuters)

« Un grand arbre est tombé et le Ghana s'est appauvri par cette perte », résume le président Nana Akuffo Addo dans sa communication qui annonce le deuil national de sept jours à compter de vendredi 13 novembre, suite au décès de Jerry John Rawlings survenu jeudi 12 novembre à l'hôpital universitaire Korle-Bu d'Accra, après une semaine d'hospitalisation. Sur cette période, les principaux partis politiques ont suspendu leur campagne en vue de l'élection présidentielle du 7 décembre.

Président du Ghana de 1981 à 2001, Jerry Rawlings arrive au pouvoir après trois coups d'Etat dont la première tentative fut un échec. Le militaire très fougueux à ses débuts affinera son leadership avant de devenir en 1992, le premier président démocratiquement élu du Ghana. Depuis lors, son pays est l'un des rares d'Afrique connaissant des transitions politiques pacifiques et régulières.

« Il a posé des bases de la prospérité économique »

Au-delà de cette réputation démocratique, le Ghana est devenu l'une des économies les plus robustes et prometteuses du continent. Deuxième producteur mondial de cacao après la Côte d'Ivoire, le Ghana dispose d'un sous-sol riche de nombreuses ressources tant naturelles qu'agricoles : bauxite, aluminium, or, diamant, manganèse, café, noix de cajou, noix de coco, ananas, ... Depuis le début des années 2000, sa croissance du PIB a généralement affiché une tendance haussière, à quelques exceptions près. Pour certains économistes, si tout ne s'est pas fait pendant la présidence de Rawlings, ce dernier « a [cependant] posé d'une certaine manière des bases de la prospérité ghanéenne », confie dans un entretien avec La Tribune Afrique l'économiste international Papa Demba Thiam qui a côtoyé l'ancien président.

Au cours de sa longue carrière internationale, notamment à l'OCDE et à la Banque mondiale, Thiam a travaillé sur le Ghana entre 1988 et 2009. « Ce qui m'a frappé au Ghana c'est que la plupart des dirigeants ont chacun donné un visage différent au pays, mais leurs actions se sont généralement inscrites dans la continuité de ce qu'a fait Rawlings », remarque-t-il avant de souligner « la particularité » de ce leader. « Comme tout le monde, il fait des erreurs, beaucoup d'erreurs. Mais Jerry Rawlings est l'un des rares présidents africains qui a grandi au pouvoir et que le pouvoir a éduqués. Arrivé à la tête du Ghana à 29 ans, on sentait qu'il apprenait du fait d'être au pouvoir. Autant il avait une voix de stentor et était intimidant, autant il était capable d'écouter. En général quand les gens arrivent au pouvoir très jeunes, leur jeunesse leur est volée. Mais ce n'était pas vraiment son cas ».

Anti-corruption, parcours périlleux et salutaire vers la stabilité de l'économie

Sur le plan des performances économiques, les premières années de Rawlings au pouvoir ne sont pas extraordinaires, d'autant qu'il arrive dans un contexte d'inflation galopante et d'important déficit budgétaire. Le leader est surtout préoccupé par sa croisade contre de la corruption qui est un véritable fléau au Ghana à cette époque. Les sanctions sont sévères et consistent parfois en des exécutions dont il exprimera plus tard des regrets. Durant ces années, la crise économique qui frappe le pays marque également le retour de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) dont les programmes contraignent Rawlings à des ajustements structurels qui divisent l'opinion.

« Beaucoup de gens, même dans son entourage, étaient étonnés de le voir recourir aux institutions de Bretton Woods, parce que Jerry Rawlings était un anti-institution capitaliste. Mais il s'était retrouvé face au besoin crucial de payer ses troupes et d'alimenter les caisses de l'Etat. Après il faut dire que pendant les premières années de Jerry, personne ne pouvait broncher. Et c'était aussi la preuve que les programmes de la Banque mondiale et du FMI ne pouvaient être vraiment appliqués que dans des régimes autoritaires. », analyse l'auteur de « Stratégie d'interface : intégration économique et développement » paru en 1991. « Naturellement, ajoute-t-il, la Banque mondiale et le FMI étaient très contents de pouvoir dire que même des révolutionnaires comme Jerry Rawlings appréciaient leurs programmes. Ce qui a incité d'autres pays africains à lui emboiter le pas ».

Même si un programme de la Banque mondiale, lancé sous Rawlings en 1999 et poursuivi sous John Kufuor et sous John Atta Mills, a permis de créer 305 000 emplois et emmené 12,6 milliards d'investissements étrangers selon des sources concordantes, les dirigeants ghanéens ont parfois  montré une certaine réticence aux programmes des institutions de Bretton Woods, comme l'a fait Nana Akuffo Addo en 2018. En cause : « l'engrenage d'endettement et donc de perte de souveraineté dans laquelle ces programmes entrainent les pays, argue l'économiste. C'est d'ailleurs ce qui a emmené John Kuofor à être le premier président d'Afrique de l'ouest à refuser l'assistance du FMI ».

Au fond, la croisade anti-corruption de Rawlings visait à assainir l'économie. Il révèlera d'ailleurs sa vision à ce sujet : « Je ne demande rien de moins qu'une révolution, quelque chose qui transformerait le pouvoir social et économique du pays », rapporte un document datant de 1999. Mais c'est seulement à partir des années 1990 que les réformes entreprises par Rawlings commencent à porter du fruit. L'économie reprend et il devient de plus en plus populaire au point d'être aisément élu en 1992, puis en 1996. « A son arrivée au pouvoir au début des années 1980, la priorité ne pouvait pas tellement être le développement économique, mais plutôt l'édification d'un Etat de raison au Ghana pour le développement du sens civique et moral », estime Thiam. « Ensuite, poursuit-il, Rawlings a travaillé à instaurer la sécurité au Ghana, parce que le travail qu'il a abattu sur ce plan était tel qu'en son temps, vous pouviez laisser votre sac muni de choses précieuses sur un banc et personne n'osait y toucher. A mon avis, ses successeurs ont trouvé une situation propice au développement économique. Aujourd'hui, le Ghana est un modèle pour l'Afrique ».

« Initialement chaotique, puis autoritaire et enfin démocratique »

Jeffrey Haynes, professeur émérite de politique et coordinateur de la gouvernance et des relations internationales à la London Metropolitan University a mené des travaux de recherche sur le leadership de Rawlings de la fin des années 1980. Dans une publication sur Quartz à l'occasion de la disparition de l'ancien président ghanéen, il résume ainsi son analyse : « le gouvernement de Rawlings, initialement chaotique, puis autoritaire et enfin démocratique [...] a réussi à amener le Ghana à travers les incertitudes des années 1970 à l'équilibre politique et à l'équilibre économique comparatif des années 1990 et au 21e siècle. »

Sur Twitter, l'économiste français et fondateur de Bank of Africa Paul Derreumaux, qui a longtemps travaillé sur l'Afrique, décrit un « Capitaine-Président » qui a combattu la corruption « avec force ».

Pour l'économiste camerounais Célestin Monga, Jerry Rawlings, militaire putschiste de son état, « a montré qu'il existe une éthique militaire ».

« Même le diable serait obligé d'exécuter la volonté du peuple »

Une des  sorties médiatiques de Jerry Rawlings que le monde retiendra certainement et qui correspond inéluctablement au témoignage de ceux qui ont connu de près son leadership a été délivrée dans les années 1980:

« Ce dont nous avons besoin dans ce pays, c'est de faire en sorte que si le diable lui-même venait à gouverner le Ghana, certaines procédures, certaines pratiques l'empêcheraient de faire ce qu'il veut. Il serait obligé de faire ce que le peuple attend de lui ».

Ristel Tchounand

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Commentaires 2
à écrit le 17/11/2020 à 19:25
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Vraiment notre continent Afrique à perdue un pilier qui luttait pour l'Afrique que Dieu le garde paix à son âme

à écrit le 16/11/2020 à 16:38
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grand respect pour cet homme dont l'Afrique et même le monde ont besoin

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