Sommet UA-UE : le plaidoyer engagé de Mohammed VI pour un agenda africain sur la migration

La migration s’est imposée au centre des discussions du 5e sommet UA-UE qui se tient hier et aujourd'hui à Abidjan. Dans le discours qu’il a prononcé à l’ouverture du sommet au nom de ses pairs du continent, le roi du Maroc a plaidé pour un agenda africain sur l’immigration afin de parvenir à en tirer tous les aspects positifs. Pour Mohammed VI, la politique européenne en la matière doit évoluer et les pays africains passer à l’action. Un discours empreint de franchise et surtout engagé qui n’est pas passé inaperçu à Abidjan où il a été aussi question de donner un nouvel élan au partenariat euro-africain.
Le roi Mohammed VI du Maroc aux cotés du président français Emmanuel Macron lors du sommet UE-UA d'Abidjan.

« Si nous mesurons les défis que pose l'immigration, nous n'ignorons pas pour autant ses aspects positifs » dixit Mohammed VI lors de son allocution à l'ouverture du 5e Sommet UA-UE. C'est en sa qualité de « Leader de l'Union Africaine sur la Migration » que le roi du Maroc s'est exprimé devant la cinquantaine de chef d'Etats et de gouvernements des deux continents qui assistaient t à la rencontre d'Abidjan dont le thème principal était consacré à l'investissement dans la jeunesse pour un développement durable.

En s'appuyant sur l'exemple de son pays, Mohammed VI a souligné qu'il n'y a désormais plus de distinction entre pays d'émigration, de transit et d'installation rappelant au passage l'apport des migrants africains dans la reconstruction de l'Europe d'après-guerre. Depuis une dizaine d'années, a fait remarquer le roi, des migrants européens s'installent de plus en plus au Maroc, « amenant leur savoir-faire, créant localement des PME et des emplois ». C'est donc évident, « les relations entre l'Afrique et l'Europe ont, de tout temps, été marquées par les déplacements humains et les flux migratoires ». Des dizaines de milliers de migrants africains essayent chaque jour de rejoindre l'Europe, souvent au péril de leur vie, a déploré le roi du Maroc qui a particulièrement souligné sur la situation en Libye, laquelle aurait pu par exemple être contenue dans une approche régionale si l'Union pour le Maghreb Arabe (UMA) existait. Qu'à cela ne tienne, « le 21ème siècle sera celui des grands brassages » a fait remarquer Mohammed VI pour qui ce constat doit interdire « de donner toute tournure idéologique, passionnelle, voire xénophobe aux discours sur la migration ».

« Aujourd'hui, une nouvelle vision s'impose : il s'agit de faire de l'immigration un sujet de débat apaisé et d'échange constructif. Au Nord comme au Sud, nous en tirerons tous avantage. Et si cette conception est, pour l'instant, encore bien fragile, soyons assurés qu'un jour, ensemble, nous y parviendrons ! En tant que Leader de l'Union Africaine sur la Question de la Migration, J'ai à cœur de soumettre, lors du prochain Sommet de l'UA, des propositions à mes frères et sœurs les Chefs d'Etat, pour développer un véritable Agenda africain sur la Migration ».

Selon Mohammed VI, dans le cadre de cet agenda et conformément à leurs engagements internationaux, « loin des pratiques honteuses et inhumaines, héritées d'une époque révolue, les pays africains assumeraient leurs responsabilités dans la garantie des droits et de la dignité des migrants africains sur leur sol ».

Migrations, mythes et stéréotypes

D'après Mohammed VI, certains pays du fait de leur position géographique, sont amenés à être une terre d'immigration. Et d'ajouter que s'il fut un temps où l'immigration était liée aux déplacements commerciaux, aux pèlerinages religieux ou était imposée par les conflits et les pandémies, « dans notre histoire contemporaine, elle a pris une connotation négative, puisqu'elle est associée à la drogue et autres trafics, voire aux méfaits des changements climatiques ».

« La notion de frontières, en Afrique, est née après les indépendances. Au cours de la période post coloniale, la gestion de la question migratoire n'a été couronnée que d'un timide succès et a constamment été envisagée, non comme une source de solutions et d'opportunités, mais comme porteuse de menaces et de désespoir. En somme, à notre époque, dans l'imaginaire collectif, l'immigration est associée aux fléaux de la pauvreté, de la précarité, de l'instabilité et même de la mort ».

En ce sens il a mis en exergue le fait que peu capables ou peu désireux de saisir les causes profondes du phénomène migratoire, « on le fige et on le généralise dans des représentations stéréotypées  à travers des images de déferlements de personnes sans travail et sans ressources, parfois aux profils douteux ». « On serait tenté d'en vouloir aux populations européennes qui appréhendent un tel afflux massif et le ressentent comme une menace » a poursuivi le roi du Maroc qui a toutefois tenu à souligner que « cette crainte n'est malheureusement pas toujours infondée ».

A ce propos, d'ailleurs, Mohammed VI a tenu à « corriger quatre mythes infondés ». D'abord que la migration africaine n'est pas, de manière prédominante, intercontinentale puisqu'elle est d'abord intra-africaine avec 4 sur 5 Africains qui se déplacent restent en Afrique. De même que la migration irrégulière n'est pas majoritaire puisqu'elle ne correspond qu'à 20% de la migration internationale. Ensuite, la migration n'appauvrit pas les pays d'accueil puisque 85% des gains des migrants restent dans les pays d'accueil et enfin parce qu'il n'y a plus de distinction entre pays d'émigration, de transit et d'installation, devrait-il rappeler.

 Nouveau Partenariat euro-africain

Evoquant les relations entre les deux continents, le souverain marocain a souligné que dix-sept ans après son émergence, le partenariat entre l'Afrique et l'Europe n'a rien perdu de sa pertinence. « Désormais, le temps n'est plus au diagnostic, ni aux polémiques d'arrière-garde, le temps est à l'action » a plaidé Mohammed VI pour qui il est indispensable que le dialogue entre les anciens pays colonisateurs et les anciens pays colonisés, demeure franc et direct.

« L'Union Européenne et l'Union Africaine sont deux groupements régionaux incontournables. Ils sont aussi importants l'un à l'autre, donc aussi importants l'un que l'autre. Egaux devant les défis, ils le sont autant devant les opportunités et les responsabilités. La solidarité entre l'Europe et l'Afrique n'est ni un concept vide, ni un lien fondé sur une philanthropie univoque ; elle relève d'une responsabilité et d'une dépendance réciproques. La logique d'assistanat verticale peut à présent céder le pas à un véritable partenariat transversal ».

Dans cet esprit, a plaidé Mohammed VI, le partenariat UE-Afrique doit évoluer vers un « pacte bi-continental nouveau ». Il s'agit, pour les deux continents et d'après le roi du Maroc,  de faire face aux défis incontournables, « par une compétitivité partagée, une co-localisation des entreprises productives, une mobilité humaine régulée et des échanges culturels féconds ».

Comme c'est le cas depuis un certains temps, le roi du Maroc n'a pas manqué de plaider la cause des pays africains face à certains desiderata des pays occidentaux. Cette fois c'est la conditionnalité de l'aide qui a servi de cadre de référence alors qu'une session du sommet sera consacrée justement ce jeudi à la question de la bonne gouvernance.

« La conditionnalité de la dette doit être revue : les pays occidentaux attendent, en effet, que certains pays d'Afrique indépendants depuis moins d'un demi-siècle, aient des performances politiques et économiques aussi positives et aussi importantes que les leurs, et leur imposent donc des conditions impossibles à respecter ».

Pour le roi du Maroc, « cette aberration est d'autant plus vive, que ces mêmes pays européens ont parfois, eux-mêmes, de grandes difficultés sur les plans financier et politique ».

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