Kenya : le suisse SICPA pris entre deux feux

La très discrète entreprise suisse SICPA est au cœur d’une bataille judiciaire au Kenya. Un litige qui est passé d’une affaire d’extension des timbres fiscaux à l’eau en bouteille, soft drinks, jus et cosmétique à un débat sur la pratique des marchés publics au Kenya et sur l’utilité des appels d’offres.
(Crédits : Shutterstock)

La Haute Cour de justice kényane a produit récemment une décision susceptible d'avoir de profondes implications pour la politique et pratique des marchés publics, menaçant au passage une partie des activités de l'entreprise suisse SICPA, spécialisée notamment dans les dispositifs de marquage fiscale.

Mativo vs KRA

En effet, le verdict prononcé par le juge John Mativo a torpillé les plans de la Kenya Revenue Authority (KRA), qui visait à élargir le champs d'application du système de gestion des bien en y incluant l'eau en bouteille, les soft drinks, les jus ou encore les cosmétiques. Une extension qui devait profiter à SICPA, qui était déjà chargée de l'apposition de timbres fiscaux sur des produits comme le tabac, les vins, les spiritueux ou encore la bière.

Pour la KRA, élargir le champ d'activité de la plateforme EGMS devait lui permettre d'assurer une meilleure traçabilité des produits circulant sur son marché local et faciliterait la détection de produits illicites tant pour les consommateurs comme pour ses agents. Un mouvement stoppé par la décision du juge Mativo, qui y voyait plus qu'une simple extension du champs d'application de la plate-forme EGMS, en vue de stimuler le recouvrement des recettes de cette catégorie fiscale comme le soutient l'argumentation de la KRA.

Plus que l'extension du marquage fiscale à un plus large éventail de produits manufacturés, l'autorité fiscale devra démontrer devant la Cour d'appel que les modalités d'octroi de marchés publics ont été respectées. En clair, cette procédure d'appel devrait permettre d'établir les circonstances où une structure publique serait autorisée à adopter la méthode de l'approvisionnement direct, notamment en cas de l'élargissement de la portée et de l'utilisation d'une solution existante comme c'est le cas pour l'EGMS.

Verdict «curieux» pour SICPA

Les avocats de la KRA avait essayé sans succès de convaincre le juge Mativo en invoquant «les risques liés à l'introduction d'un système parallèle pour reproduire "existant et réussi"». Un refus que le magistrat de la Haute Cour avait justifié en invoquant «les profondes implications sur la politique fiscale et la gestion des finances publiques, notamment au niveau des marchés publics». Du côté du principal intéressé SICPA, c'est le calme qui semble prévaloir : «Nous avons pris note du jugement. La logique qui y a mené nous semble par certains aspects curieux, ce qui nous amène, de manière confiante, avec d'autres répondants à en faire appel», précise le management du groupe suisse.

«Le système EGMS déployé par la KRA apporte de nombreux bénéfices au gouvernement kenyan, mais surtout aux citoyens de ce pays. La KRA a ainsi déclaré que le système a permis une croissance significative des recettes fiscales et dispose d'une forte approbation des producteurs. Ces bénéfices économiques et sanitaires sont par ailleurs reconnus par le Fonds Monétaire International et l'Organisation Mondiale de la Santé», argue-t-on du coté de SICPA.

Le groupe s'est par ailleurs montré «surpris» que les bienfaits de sa solution de marquage fiscale ne soient que «très rarement cités dans les articles polémiques». Des publications qui n'auraient selon l'entreprise «pour objet que de décrédibiliser et retarder la mise en place de contrôles anti-fraudes. SICPA reste donc concentrée sur la fourniture de services de la plus grande qualité pour répondre aux attentes du gouvernement kényan en matière de lutte contre les fraudes».

L'appel décidera du futur des appels d'offres

La bataille judiciaire qui s'annonce en Cour d'appel devrait également voire deux conceptions de gouvernance s'affronter, celle défendue par le tandem KRA/SICPA et celle promue par le juge Mativo qui souhaite introduire une sorte de participation du contribuable à l'élaboration des politiques publiques, notamment fiscales. La première thèse est également défendue par l'exécutif et le monde des affaires, alors que la seconde a les faveurs des constitutionnalistes qui prônent la sacralité de l'obligation de participation du public dans l'établissement des politiques étatiques.

Une position cristallisée par le jugement du juge Mativo et qui fait s'interroger le média économique kényan Business Dialy, sur la pertinence des normes de participation du public, «sont-elles les mêmes pour toutes les entités publiques, quel que soit leur mandat ?». Pour les détracteurs du verdict de la Haute Cour, le juge n'aurait pas tenu compte de discussions qui se seraient tenus entre mars et août 2016 entre la KRA et la Kenya Association of Manufacturers concernant l'extension de la solution de SICPA.

D'ailleurs, pour les pro-extension automatique de l'EGMS, même si l'interprétation du juge Mativo s'avérait «correcte», cela signifierait que le Kenya doit repenser la législation encadrant les marchés publics. Le système d'appels d'offres comme prévu par la législation kényane actuelle permettrait ainsi «la prise d'otage» de projets par des entreprises en ayant recours à la Commission de contrôle des marchés publics, puis à la Haute Cour puis à la Cour d'appel.

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