Maroc/Gouvernement : « Seul Benkirane peut déclarer une impasse politique ! »

Plus de six semaines après les élections législatives, le Maroc attend toujours son gouvernement. Les négociations menées par le Chef du gouvernement sortant Abdelilah Benkirane pour former une majorité n’ont toujours pas abouti. Bien que l’annonce d’un nouveau gouvernement connaisse traditionnellement un certain retard, certains dénoncent un blocage et appellent à un nouveau scrutin.
Amine Ater
Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement marocain n'a toujours pas remis sa liste gouvernementale après de 2 mois après sa victoire aux législatives d'octobre dernier

Près de 2 mois après les élections législatives du 7 octobre dernier, le Maroc attend toujours la constitution du gouvernement. Le Chef du gouvernement sortant, Abdelilah Benkirane a été mandaté par le Souverain, le roi Mohammed VI, pour constituer une nouvelle majorité, suite à l'annonce des résultats qui ont donné gagnant son parti le PJD (Parti de la Justice et du Développement). Depuis, le chef du parti de la lampe n'a toujours pas rendu sa copie. Parallèlement, une partie du spectre politique et de la presse dénonce un blocage, certains appellent même à de nouvelles élections.

Apprentissage démocratique

Il n'empêche que la tradition politique au Maroc et la balkanisation du champ parlementaire, ont toujours fait que la formation d'un gouvernement nécessite un délai minimum de 45 jours. « Il n'y pas réellement de blocage. Nous sommes dans un exercice démocratique vu que la constitution de 2011 a conjugué entre le résultat des élections au suffrage universel et la constitution d'un gouvernement à la proportionnelle, vu le nombre de partis représentés au Parlement. Cette lenteur s'explique également par le fait que les partis n'ont pas opté pour des regroupements pré-électoraux. Ce qui aurait facilité la constitution d'une coalition gouvernementale », explique Hassan Tariq, politologue et ancien député socialiste. Pour cet observateur, seul Benkirane en sa qualité de Chef du gouvernement désigné par le Souverain reste habilité à annoncer un échec du processus en cas d'impasse des négociations partisanes.

Un avis partagé par la député PJD, Nezha El Ouafi qui soutient que : « Nous ne sommes pas en crise. Tout simplement parce que les ingrédients permettant d'évoquer un blocage institutionnel ne sont pas réunis et que toutes les formations ayant participé aux élections n'ont pas contesté les résultats et la victoire du PJD ». Pour cette parlementaire, ce délai de six semaines s'explique en partie par la restructuration entamée au sein du Rassemblement National des Indépendants (RNI) après l'élection. En effet, le patron du PJD avait promis lors de la campagne électorale de privilégier les partis ayant participé à la majorité pour former un nouveau gouvernement.

« A la situation interne de nos partenaires du RNI, s'ajoute la visite royale au Sud du continent qui a mobilisé un certain nombre de responsables politiques, qui continuent à occuper leurs fonctions ministérielles par intérim », précise El Ouafi.

Dissension politique

Il n'est également pas question de blocage du côté de l'opposition. Certains au sein du Parti Authenticité et Modernité (PAM), dénoncent plutôt l'absence de projet de société pour les 5 années à venir, capable de rassembler les différents partis politiques. « En tant qu'observateurs, ce que nous constatons, c'est qu'Abdelilah Benkirane n'arrive pas à convaincre, persuadé que son parti est réellement majoritaire et oubliant la composante multi-partisane propre à la politique marocaine », dénonce Mehdi Bensaïd, ex-député PAM et ancien président de la commission des Affaires étrangère à la 1ère chambre du parlement. Pour ce dernier, le PJD ne devrait pas se reposer sur ces lauriers et rappelle que l'ensembles des partis ayant participé aux législatives se sont partagés les votes d'une minorité. « Nous ne devons surtout pas oublier que le plus grand parti du Maroc reste celui des abstentionnistes et que seuls 5 à 6 millions de personnes ont voté sur une population de 35 millions », rappelle Bensaïd. Ce dernier attribue également la lenteur des négociations aux différences idéologiques existantes entre les partenaires gouvernementaux (l'ancien gouvernement était constitué d'un patchwork mêlant une formation de droite ultra-libérale, l'ex-parti communiste, une formation de centre droit et un parti islamo-libéral).

L'exécutif en mode pilote automatique

Malgré la divergence d'opinions des intervenants, tous s'accordent à dire que l'exécutif reste à l'abri de tout blocage.

« Pour ce qui est de la gestion des affaires courantes tout est organisé par la loi. Il y'a des mécanismes prévus à cet effet qui ont été voté et mis en place par les gouvernements précédents. Bien que l'on vient juste de dépasser le seuil de 2011, il n'y a pas d'échec institutionnel mais un blocage politique et psychique », soutient Tariq.

Un avis partagé par Mehdi Bensaïd mais qui tient quand même à nuancer sa position. « Il y'a bien des mécanismes prévus pour l'intérim, la preuve, le pays est loin d'être bloqué, mais je ne pense pas que le mode pilote automatique puisse durer plus de 200 voire 300 jours. Tout système à ses limites ». De son côté, la députée PJD se veut rassurante et prévoit un dénouement rapide au négociations en cours. « C'est une question de semaines pour que la situation se débloque ».

Il n'empêche que pour les acteurs politiques, cette situation témoigne avant tout de l'apprentissage du jeu démocratique en cours au Maroc. Un pays où pendant longtemps, le gouvernement était nommé directement par le palais et dont les partis politiques doivent aujourd'hui s'accorder sur une majorité. « Il faut arriver à une cohérence politique, de manière à déterminer la marche à suivre », rappelle Mehdi Bensaïd. Bien qu'opposé à la politique du PJD qu'il juge ultra-libérale et inspiré directement du FMI. l'ex-président de la commission des Affaires étrangères de la 1ère chambre écarte la possibilité d'une nouveau scrutin en cas d'échec de Benkirane. « Plusieurs scénarios peuvent être appliqués si jamais Benkirane jette l'éponge, dont la constitution d'un gouvernement d'union nationale qui reste plus probable qu'un nouveau scrutin ».

Amine Ater

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