Ousmane Gaoual Diallo : « Nous invitons la CEDEAO à éviter les traitements paracétamol »

Par Marie-France Réveillard  |   |  1805  mots
Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement et ministre des Postes, des télécommunications et de l'économie numérique de Guinée. (Crédits : DR.)
Un an après l'arrivée du colonel Doumbouya au pouvoir, quel bilan pour la transition guinéenne ? Ousmane Gaoual Diallo, ancien porte-parole de l'UFDG, devenu porte-parole du gouvernement et ministre des Postes, des télécommunications et de l'économie numérique de Guinée, fait le point sur la situation.

La Tribune Afrique : Quel bilan tirez-vous de la transition, un an après l'arrivée au pouvoir du Colonel Mamadi Doumbouya ?

Ousmane Gaoual Diallo : Il est très difficile de faire le bilan d'un gouvernement après seulement douze mois d'exercice. Cependant, des actes majeurs ont été posés, notamment l'ouverture d'une grande consultation qui a abouti à la charte de la transition. De cette charte est né le Conseil national de transition (CNT) qui représente notre assemblée nationale. Nous avons fixé le cap du retour à l'ordre constitutionnel et le principe selon lequel les membres du CNRD, du gouvernement et le président de la République, ne seraient pas candidats aux prochaines élections. Par ailleurs, les assises nationales ont permis d'entendre toutes les victimes des précédents régimes et cela a donné lieu à un rapport (...) Enfin, la classe politique a été profondément rajeunie, les Guinéens de la diaspora reviennent et nous enregistrons une embellie économique.

Concrètement, quel est le contenu de la transition engagée en Guinée ?

Nous avons établi dix points répartis en trois parties que sont : l'élaboration des listes électorales à partir d'un recensement à caractère d'état civil, le toilettage institutionnel et juridique et enfin, les élections. Nous voulons éviter les erreurs du passé, en brûlant les étapes, car cela pourrait donner lieu à une transition fragile. Notre fichier électoral est sujet à caution. Personnellement, j'ai été emprisonné parce que je contestais ces questions. Le fichier électoral doit être adossé à un état civil, car à ce jour, moins de 15 % des Guinéens disposent d'une carte nationale d'identité (...) Chaque fois qu'un régime a procédé au recensement de la population, il a été soupçonné de favoriser tel acteur politique ou tel groupe ethnique. Depuis trente ans, cette question divise les Guinéens et crée des tensions politiques.

Quel est le chronogramme de la transition ?

Nous devons permettre le retour à un fonctionnement normalisé de l'Etat et organiser les élections présidentielles. Pour ce faire, nous nous sommes fixé un délai de trente-six mois. Les vingt-quatre premiers mois vont servir à toute la phase préparatoire de la transition, à l'élaboration du cadre juridique et institutionnel et à l'élaboration du fichier électoral. Les douze derniers mois seront consacrés au déroulement des élections.

Entre état civil, lutte contre la corruption et grands procès, mais aussi urbanisation et réformes du code minier : ces dossiers relèvent-ils du mandat de la transition ?

Un gouvernement de transition doit s'occuper de la  vie des populations. Ce n'est pas parce que nous sommes un gouvernement de transition que nous devons nous désintéresser du panier de la ménagère. Nous assumons les charges d'un gouvernement même si notre mission principale est de sortir de la transition.

Quels sont les noms des membres du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) ?

Il s'agit de toutes les forces de sécurité guinéennes. Prenez les listes de l'armée et de la police et vous y trouverez les noms. Ils font tous partie du CNRD, c'est ce qui est important.

Le 28 septembre dernier, le procès des massacres du stade du 28 septembre 2009 s'est ouvert. La Guinée étant signataire du Traité de Rome, pourquoi ne pas avoir transmis ce lourd dossier au tribunal La Haye ?

Ce procès marque une grande rupture pour l'Afrique. C'est un acte fondateur, à l'image du procès « justice et réconciliation » en Afrique du Sud. Il est très important pour les Africains qui subissent des tragédies, que leur justice porte des accusations contre leurs propres dirigeants et qu'ils répondent dans leurs propres tribunaux, sans que la communauté internationale ne soit là pour leur tenir la main.

L'ouverture du procès s'est pourtant tenue en présence du procureur de la CPI (un protocole a été signé le 28.09.22 entre l'Etat guinéen et la CPI). Que faisait-il à Conakry ?

Il est venu témoigner de la qualité du procès. Ce n'est pas un procès à huis clos. Pour la 1è fois, les Guinéens voient défiler devant le juge, des anciens présidents, ministres et hauts gradés de l'armée. C'est un signal important, y compris pour nous qui sommes aux affaires aujourd'hui. Cela nous rappelle notre redevabilité vis-à-vis des populations. Demain, nous pourrions avoir à rendre des comptes. C'est pourquoi le président Doumbouya a précisé que la justice serait sa boussole. C'est la fin de l'impunité.

Par ailleurs, plus de 3.000 personnes vont témoigner : fallait-il les envoyer tous à La Haye ? Quelle image donnerions-nous ? Tous ces crimes qui ont endeuillé des milliers de Guinéens depuis l'indépendance, ont été des crimes commis au nom de l'Etat guinéen. Il est important que l'Etat dise aujourd'hui, qu'il n'est pas associé à ces forfaits et à ces crimes (...) C'est vrai que cela est coûteux et c'est là que nous espérons que la communauté internationale mettra la main à la poche pour accompagner la Guinée, et non pas en lui dictant sa conduite.

Ce procès qui devrait durer plusieurs mois sera-t-il suivi d'autres procès ?

Absolument ! Mais que les choses soient claires : cela ne veut pas dire que nous resterons au pouvoir jusqu'à la fin de tous les procès.

Pourquoi avoir arrêté Dadis Camara la veille du procès alors qu'il avait été reçu en décembre 2021 par le président Doumbouya à Conakry ?

Tout simplement parce qu'il avait pris l'engagement qu'il reviendrait s'il était convoqué devant la justice. C'est précisément ce qu'il a fait.

Pourquoi ne pas l'avoir placé en résidence surveillée ?

Le principe du droit prévaut. Lorsque vous êtes inculpé de crimes, vous comparaissez comme prisonnier. Ensuite, les avocats peuvent plaider la liberté du prévenu pendant la durée du procès et c'est au juge d'apprécier. Hier, un appel a été fait (ITW réalisée le 5 octobre). Le premier jour, ils ont décidé de se constituer prisonniers. Ils semblent aujourd'hui le regretter et demandent que Moussa Dadis Camara soit mis en résidence surveillée. C'est une autre démarche judiciaire.

Sa sécurité est-elle menacée dans la prison, sachant qu'il est dans le même établissement qu'Aboubacar Diakité dit « Toumba », qui lui a tiré dessus le 3 décembre 2009 ?

Ils ne sont pas dans la même cellule et vous savez, la prison est très grande...

Ne craignez-vous pas que les verdicts soient contestés après les élections, jugeant illégitime le gouvernement de transition ?

Ce n'est pas le gouvernement qui fait le procès mais la justice et elle est pérenne. D'ailleurs, ce n'est pas parce qu'il y a une transition que la justice ne doit plus fonctionner. La justice doit pouvoir agir en tout temps et en toutes circonstances, peu importe le régime qui est en place.

Après les dernières sanctions annoncées par Umaro Sissoco Embalo, le président en exercice de la CEDEAO. Où en sont les relations entre le gouvernement de transition et l'organisation régionale ?

Il y a un peu de mésententes, mais ce qu'il faut retenir, c'est la volonté du gouvernement guinéen de maintenir le dialogue. Nos explications n'ont probablement pas été suffisamment claires. Nous invitons la CEDEAO à éviter les traitements paracétamol, c'est-à-dire, à proposer une solution « standard » pour toutes les crises. Cela ne fonctionne pas. Nous attendons écoute et compréhension de la CEDEAO. C'est ainsi qu'on peut aider les Africains à élever leur niveau de démocratie. La Guinée n'est pas le Burkina qui n'est pas le Mali. Pourquoi limiter la durée de la transition à vingt-quatre mois et pas à quinze ou trente-six mois ?

A ce jour les autorités guinéennes n'ont pas condamné le coup d'Etat du 30 septembre dernier au Burkina Faso...

On ne condamne pas les coups d'Etat, on les entend. Pourquoi voulez-vous que nous condamnions les coups d'Etat ? J'ai moi-même été prisonnier politique, avec plus de 400 autres (...) Quand le coup d'Etat a éclaté en Guinée, c'était salutaire pour nous.
Les coups d'Etat sont des moments historiques de l'évolution des nations et viennent répondre à des crises. Il nous faut des mécanismes et des institutions nationales et régionales qui soient puissantes, pour éviter les dérives qui aboutissent à des coups d'Etat.

La popularité du colonel Doumbouya semble s'effriter. Les dernières manifestations ont été réprimées, faisant une dizaine de 10 morts au moins depuis le début de l'été. Plusieurs acteurs politiques de premier plan sont emprisonnés ou en exil. De plus, un impressionnant dispositif sécuritaire entoure le colonel Doumbouya depuis plusieurs semaines. Mamadi Doumbouya craint-il pour sa sécurité ?

Le dispositif de sécurité autour du président n'a pas changé. Peut-être que les gens le voyaient moins avant. La garde est toujours la même. Cela ne reflète aucunement une forme de crainte (...) Lorsque le colonel Doumbouya est arrivé au pouvoir, il n'y avait pas que des Guinéens satisfaits, car certains craignaient pour leur avenir. En revanche, les populations qui souffraient se sont réjouies. Ensuite, nous avons attaqué les sujets qui fâchent. Quand vous luttez contre la corruption et que vous arrêtez les principaux responsables de ce système, cela crée des mécontentements. Ce sont des chantiers qui s'arrêtent, des marchés qu'on ne peut plus payer...

Actuellement, Kassory Fofana, l'ancien Premier ministre est en prison, avant même la tenue d'un procès...

Je prends l'exemple des Etats-Unis. Dominique Strauss-Kahn a directement été arrêté face à la gravité du crime qui lui était imputé. Les procédures judiciaires sont ce qu'elles sont. C'est au juge d'apprécier cela. Cette incarcération est-elle illégale ? Non (...) Par ailleurs, personne n'est en exil. Il n'y a pas de procédures à l'encontre de Sidya Touré qui dit être en exil. Cellou Dalein n'est pas en exil, il refuse de rentrer, car il est sous le coup d'une procédure judiciaire. Il dit ne pas avoir confiance en la justice. Pourtant c'est bien cette justice qui est susceptible demain, de le déclarer président de la République.

Une question d'actualité sportive pour finir : la Guinée vient d'être écartée de l'organisation de la prochaine Coupe d'Afrique des Nations (CAN). Comment avez-vous reçu cette décision ?

C'est une immense déception pour la Guinée, car nous avions l'espoir que l'Afrique du football ferait confiance à notre pays, pour son histoire footballistique. Cela n'a pas été le cas. Néanmoins, les projets inscrits dans le cadre de cette CAN, verront le jour. Nous en ferons un défi pour dire aux dirigeants de la CAN qu'ils se sont trompés. Nous livrerons le chantier dans les vingt-quatre mois.