« Un Coup d'Etat dans le coup d'Etat » replonge le Faso dans la crise politico-militaire

Depuis le 30 septembre, la situation est des plus confuses à Ouagadougou. Vendredi soir, un jeune capitaine burkinabé annonçait à la télévision nationale la destitution de Paul-Henri Damiba, remplacé par le capitaine Ibrahim Traoré. Après 48 heures d'incertitude, le lieutenant-colonel Damiba accepte de démissionner et s'exile à Lomé. Décryptage.
Le nouveau président du MPSR, le capitaine Ibrahim Traoré, âgé de 34 ans, était jusqu'alors chef d'artillerie du dixième régiment de commandement d'appui et de soutien (10e RCAS),
Le nouveau président du MPSR, le capitaine Ibrahim Traoré, âgé de 34 ans, était jusqu'alors chef d'artillerie du dixième régiment de commandement d'appui et de soutien (10e RCAS), (Crédits : DR.)

Alors que la journée de vendredi a été émaillée par des tirs dans la capitale, rares sont les informations qui ont filtré du Faso. Pourtant, les premiers tirs avaient été entendus dans la nuit, aux environs de 4h du matin, du côté du quartier général du MPSR (le mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, l'organe politique de la junte). Des véhicules militaires ont ensuite quadrillé le quartier présidentiel de Kossyam et plusieurs artères de « Ouaga 2000 » et du centre-ville. Vendredi après-midi, des tirs ont de nouveau retenti à Ouagadougou et le signal de la radiotélévision du Burkina (RTB), a été coupé.

A la mi-journée, la présidence fait savoir par voie de communiqué que des pourparlers étaient en cours « pour ramener le calme et la sérénité » dans la capitale, alors que les rumeurs de coup d'Etat se propageaient comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Simultanément, quelques centaines de manifestants burkinabés se réunissaient sur la place de la Nation pour réclamer la libération d'Emmanuel Zoungrana (arrêté et placé en détention le 10 janvier, pour blanchiment d'argent et d'enrichissement illicite). Dans les rues de la capitale, les premiers slogans anti-français et pro-russes commencent à se faire entendre.

Le soir venu, le visage du capitaine Kisswera Farouk Azaria Sorgho apparaît sur la RTB, entouré d'hommes en armes et cagoulés. Il annonce la destitution de Paul-Henri Damiba, la suspension de la constitution, la dissolution du gouvernement et de l'Assemblée législative de transition. Paul-Henri Damiba est remplacé le capitaine Ibrahim Traoré. Les frontières terrestres et aériennes sont fermées le soir même « jusqu'à nouvel ordre » et un couvre-feu est instauré de 21 heures à 5 heures du matin.

Toutes activités politiques ou relevant de la société civile sont suspendues. Il annonce enfin que « les forces vives de la nation seront convoquées incessamment -pour- adopter une nouvelle charte de la transition et désigner un nouveau président du Faso civil ou militaire ».

La chute du lieutenant-colonel Damiba était-elle prévisible ?

Comment en est-on arrivé là ? Depuis 2015, le Burkina Faso est traversé par une crise sécuritaire sans précédent, suite à la multiplication des attaques de mouvements terroristes affiliés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique. Au sortir de la capitale, la sécurité devient aléatoire sur le territoire burkinabé qui compte aujourd'hui près de 2 millions de déplacés selon l'ONU, soit 10 % de sa population.

Paul-Henri Damiba avait pris les armes pour régler la question sécuritaire, mais la situation est loin de s'être améliorée depuis son arrivée au pouvoir par les armes, un 24 janvier 2022. Des centaines de civils et de militaires sont morts suite aux attaques terroristes et plusieurs épisodes meurtriers ont durablement marqué les esprits burkinabés.

En juin, 86 civils au moins avaient été exécutés lors du massacre de Seytenga. Quatre jours avant le putsch, une nouvelle attaque avait défrayé la chronique. Un convoi chargé de ravitailler la population de Djibo (une ville sous blocus depuis février) a été pris dans une embuscade, 11 militaires ont perdu la vie et une cinquantaine de civils sont portés disparus. Etait-ce l'épisode de trop qui aurait précipité la chute de Damiba, entraînant le Faso dans un deuxième coup d'Etat en 8 mois ? C'est en tous cas au motif d'« incapacité à faire face à l'insurrection » que les putschistes ont justifié la destitution du lieutenant-colonel Damiba.

Pour Emmanuel Dupuy, le président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), « le destin de Damiba s'est sans doute joué lorsqu'il s'est rendu en Côte d'Ivoire et au Niger, pour rencontrer les présidents Alassane Ouattara et Mohamed Bazoum qui sont perçus de façon certainement excessive, comme étant inféodés à Paris, sur fond de francophobie chauffée à blanc. Ensuite, le colonel Damiba n'a pas montré une détermination à toute épreuve dans sa lutte contre le terrorisme ». Enfin, le « jeu de dominos » qui traverse la région avec l'arrivée au pouvoir de jeunes militaires au Mali ou en Guinée, « pourrait avoir suscité des vocations parmi les militaires burkinabés qui se disent : pourquoi pas moi ? ».

La France au cœur de l'imbroglio burkinabé

Peu après l'annonce du coup d'Etat, la communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui avait suspendu le Burkina Faso de ses instances en janvier, condamna « avec la plus grande fermeté, la prise de pouvoir par la force » jugeant « inopportun ce nouveau coup de force au moment où des progrès ont été réalisés, grâce à la diplomatie et aux efforts de la CEDEAO pour un retour méthodique à l'ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024 ».

CP cedeao burkina

Le 1er octobre, l'Union africaine et l'ONU condamnaient à leur tour, le coup d'Etat survenu la veille. L'Union européenne manifesta ses « inquiétudes », tout comme les Etats-Unis qui se sont dits « profondément préoccupés » par la situation. De son côté, le ministère français des Affaires étrangères instaurait une cellule de crise et appelait ses milliers de ressortissants basés au Burkina Faso, à rester chez eux.

La France est présente au Burkina Faso à travers la force Sabre (chargée de former les militaires), dans le camp de Kamboinsin situé à une trentaine de kilomètres de la capitale. Prise à partie, l'ambassade de France démentait vendredi soir « avec fermeté toute implication de l'armée française dans les événements des dernières heures », en réponse aux informations qui enflammaient les réseaux sociaux depuis la veille et qui prétendaient que le colonel Damiba était sous protection des militaires français.

« Soyons clairs, la France n'a aucune implication dans ce qui est survenu au Burkina Faso depuis hier soir (...) Paul-Henri Damiba n'a jamais été accueilli sur cette base et n'a jamais été accueilli sur notre ambassade », déclarait Anne Claire Legendre, la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères sur France 24, dans la soirée du 1er octobre, affirmant par ailleurs qu'elle ignorait où se trouvait le lieutenant-colonel, suite aux dernières déclarations des putschistes, selon lesquelles, il se « serait réfugié au sein de la base française à Kamboinsin -pour- planifier une contre-offensive afin de créer le trouble au sein -des- forces de défense et de sécurité. Cela fait suite à notre ferme volonté d'aller vers d'autres partenaires prêts à nous aider dans notre lutte contre le terrorisme ».

CP france burkina

Cette déclaration est rapidement tempérée par le capitaine Traoré sur France 24, qui parle de « contre-offensive, oui. Organisée. Mais soutenue par la France, je ne pense pas » et qui s'est dit ouvert à tous types de partenariats dans la lutte contre le terrorisme, qu'ils soient « français », « russes » ou « américains ».

Le sentiment anti-français est exacerbé. Samedi soir, plusieurs dizaines de jeunes ont cherché à s'introduire dans les bâtiments du Consulat de France. Le site de l'ambassade de France a été vandalisé, tout comme l'Institut français. Dimanche matin, la tension n'était pas retombée et l'Ambassade était de nouveau la cible de manifestants. Cette situation a poussé les putschistes à s'exprimer à la télévision nationale pour appeler les Burkinabè à se départir de tout acte « de violence et de vandalisme », en particulier contre l'Ambassade de France et le camp militaire où se trouvent les éléments français.

Une guerre de clans dans l'armée burkinabée

Samedi soir, c'est sur Facebook que le lieutenant-colonel Damiba a remis les pendules à l'heure, concernant l'implication supposée de la France dans les événements survenus la veille à Ouagadougou.

« Peuple du Burkina Faso, les évènements tragiques que traverse notre pays en ce moment sont à l'origine de diffusion d'informations mensongères, savamment orchestrées et distillées dans le but de manipuler les populations en les instrumentalisant pour des causes étrangères et au détriment de l'intérêt supérieur de la Nation. Je démens formellement m'être réfugié dans la base française de Kamboincé. Ce n'est qu'une intoxication pour manipuler l'opinion. J'appelle le Capitaine Traoré et compagnie à revenir à la raison pour éviter une guerre fratricide dont le Burkina Faso n'a pas besoin dans ce contexte », pouvait-on lire sur le compte officiel de la présidence burkinabée. Si Paul-Henri Damiba confirmait alors les divisions internes dans l'armée et écartait toute implication de la France dans cette crise survenue vendredi, il n'était toujours pas question de démission.

Un peu plus tôt dans la journée, l'État-major général des armées reconnaissait par voie de communiqué, traverser une « crise interne ». « Quelques unités ont pris le contrôle de certaines artères de la ville de Ouagadougou, demandant une déclaration de départ du lieutenant-colonel Damiba (...) Cette tension qui n'honore pas nos forces armées nationales ne représente pas la position de notre institution », indiquait le document qui en appelait au calme.

Damiba exilé au Togo, une nouvelle transition s'ouvre au Faso

Le nouveau président du MPSR, le capitaine Ibrahim Traoré âgé de 34 ans, était jusqu'alors chef d'artillerie du dixième régiment de commandement d'appui et de soutien (10e RCAS), à Kaya. Tout comme Paul-Henri Damiba avant lui, il se présente en chef de file de la lutte contre le terrorisme. Selon quelle stratégie et avec quels moyens le capitaine pourra-t-il relever le défi du terrorisme au Faso ? Cette arrivée sera-t-elle suivie de nouvelles alliances géostratégiques ? Pour Emmanuel Dupuy, « ce coup d'Etat est une preuve de délitement supplémentaire qui pourrait bien profiter d'une part aux jihadistes qui se rapprochent dangereusement de la capitale et d'autre part, à la Russie qui pourrait tourner la situation à son avantage en s'appuyant sur les limites du dispositif de défense de la France dans le Sahel, pour mieux s'y implanter ». L'analyste considère que cette situation pourrait aussi représenter « une excellente opportunité pour le clan Compaoré -car- cette instabilité leur permet d'évincer ceux qui les avaient chassés en 2014, de remettre en selle ceux qui avaient été emprisonnés sous prétexte de collaboration avec le régime de Compaoré, tout en étant débarrassé de Roch Marc Kaboré ».

Dans l'après-midi du dimanche 2 octobre, les chefs religieux qui assuraient la médiation entre les parties, ont confirmé la démission de Damiba : « Le Président Paul-Henri Sandaogo Damiba a proposé lui-même sa démission afin d'éviter des affrontements aux conséquences humaines et matérielles graves ». Si l'option d'une exfiltration en Côte d'Ivoire a été avancée (arrivé samedi à Paris, Alassane Ouattara s'est engagé dans les négociations pour un retour au calme dès le début des événements), Paul-Henri Damiba a finalement été exfiltré dimanche, à Lomé au Togo. L'ancien chef de la junte a accepté de quitter le pouvoir sous conditions. Il aurait notamment demandé qu'aucune poursuite judiciaire ne soit engagée ni contre lui, ni contre les forces de sécurité (FDS) qui l'ont soutenu.

Alors que le Burkina Faso fait face à une crise sécuritaire sans précédent, ce « coup d'Etat dans le coup d'Etat » remet les compteurs de la transition à zéro.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.