Une Bible dans une main et le Coran dans l'autre, le retour théâtral de Dadis en Guinée

Le 22 décembre, le capitaine Moussa Dadis Camara est rentré en Guinée, après plus d'une décennie d'exil forcé au pays des hommes intègres. L'enfant de Koulé marqué par le poids des années n'a pas perdu le sens de la mise en scène. Cette visite placée sous le double signe de la réconciliation et de la justice ne devrait pourtant pas s'éterniser. Que recouvre le retour au pays de Dadis ? Décryptage.
(Crédits : DR.)

Genoux à terre, Coran dans une main et Bible dans l'autre, c'est ainsi que Moussa Dadis Camara est réapparu à Conakry après une dizaine d'années d'absence. Pourtant, le « Dadis » des années 2010 semble bien loin. Fini l'uniforme et le béret rouge. Dans son tailleur bleu cintré, avec ses petites lunettes et ses souliers vernis, Moussa Dadis Camara a plutôt l'allure d'un homme d'affaires. Son discours mâtiné de religiosité a évolué lui-aussi. Il faut dire que son retour relève presque du miracle, l'ancien président (2008-2009) ayant échappé à un tir par balle dans la tête en 2009.

Moussa, devenu Moïse après sa conversion au christianisme en août 2010, « rend grâce à Dieu », mais aussi au colonel Doumbouya qui a autorisé son retour au pays en mobilisant les grands moyens pour assurer sa sécurité. Ni Mamadi Doumbouya, ni les membres du gouvernement n'étaient venus l'accueillir à l'aéroport et aucune information ne fut relayée sur ce retour tant attendu à la télévision nationale (RTG) ce soir-là. Symboliquement, c'est le jour de Noël que le colonel Doumbouya a choisi pour réunir le capitaine Moussa Dadis Camara et le général Konaté, enterrant pour un temps la hache de guerre entre les deux hommes et se posant ainsi en grand « réconciliateur » national.

Le 22 décembre, date du retour de Dadis en Guinée, Conakry était littéralement quadrillée par les forces de sécurité afin d'éviter tout débordement. Néanmoins, en dehors du rond-point de l'aéroport et de quelques motos chevauchés par de jeunes supporters traversant la ville, la venue de l'homme fort de Nzérékoré n'a pas provoqué de liesse populaire généralisée à Conakry.

Dans la soirée, les célébrations se sont achevées dans la cour du domicile de l'ancien président qui abritait plusieurs centaines d'invités triés sur le volet. Arrivé à 18 heures, il ne fera aucune déclaration. Visiblement fatigué, il quitte le domicile de Lambanyi une heure plus tard, pour rejoindre l'hôtel hyper-sécurisé de Kaloum, situé non loin de la présidence. Les festivités devraient se poursuivre à Nzérékoré où il compte se rendre auprès de ses proches et de sa communauté.

Dadis n'a pas manqué de remercier le colonel Doumbouya, de façon appuyée, lui souhaitant un « plein succès » pour unir et réconcilier les Guinéens. Il a appelé « à la paix, à la cohésion, à la réconciliation nationale et à l'accompagnement du CNRD et de son président (...) main dans la main, pour une transition réussie pour le bonheur du peuple guinéen » dès son arrivée à l'aéroport international de Conakry, fraîchement rebaptisé Ahmed Sékou Touré, sur fond de controverse. Un symbole en cachant un autre, c'est aussi le jour de l'anniversaire de l'ancien président Lansana Conté un 22 décembre 2008, que Moussa Dadis est rentré au pays.

Une ambiance festive et une mobilisation relative

« Je suis arrivé à 7 heures du matin », confie Jacques, 25 ans aux côtés de ses quatre amis arborant fièrement un tee-shirt blanc « bon retour » flanqué de l'image de Moussa Dadis Camara. Il est 10h du matin. Le jeune homme attend patiemment sous un soleil de plomb. Il fallait arriver tôt pour entrer dans l'enceinte de l'aéroport, car dès 10h30, les accès sont bloqués. Au niveau du carrefour qui ouvre l'accès, la mobilisation est encore faible, mais les pick-up encerclent déjà le rond-point. Les autorités guinéennes avaient exhorté les partisans de Dadis à ne pas venir troubler l'ordre public et l'appel a manifestement été entendu.

« C'est une fierté pour nous de le voir revenir en Guinée après plus de 10 ans d'exil. Nous aussi, on est de la forêt », explique le jeune homme qui vit désormais dans la commune de Ratoma à Conakry. En Guinée, on vote par clan et la région de l'enfant de Koulé réunit une mosaïque de communautés.

Dadis reste populaire parmi les Guinéens, en particulier dans la région forestière du sud guinéen. Aux environs de midi, supporters et curieux, mais aussi musiciens échassiers aux masques inquiétants et danseurs traditionnels se retrouvent en nombre. L'ambiance est festive et bon enfant. Plusieurs centaines de personnes sont venues accueillir l'ancien président. « Il y a quelques jours, j'ai appelé le capitaine pour lui dire la bonne arrivée. Nous avons grandi ensemble », explique Joséphine Lama, 62 ans, un peu émue en l'attendant non loin des journalistes venus assister au retour du capitaine. « Je suis de Nzérékoré et là-bas, nous l'attendons avec des tee-shirts et des affiches », précise t-elle. « Je l'ai attendu pendant des années », déclare à quelques mètres l'élégante Hassana Touba, toute de blanc vêtue et membre du mouvement « FACT 520 » (Femmes actrices pour le changement). « Il avait dédié son mandat aux femmes et aux jeunes et aujourd'hui, nous le remercions », ajoute t-elle pour expliquer sa présence.

Un peu à l'écart de la foule, Oumar Soumaoro dit « Alexandre », le « frère de lait » (de même mère et de pères différents) en costume brun et tiré à quatre épingles, ne cache pas son émotion. « C'est une journée de joie. Tout le monde est content ! On ne s'y attendait pas. C'est arrivé si subitement ». En effet, le 30 novembre, le CNRD annonçait à la surprise générale, un accord concernant le retour de Sekouba Konaté et de Moussa Dadis Camara, par voie de communiqué. « Dans le cadre de son programme de renforcement de l'unité nationale et d'apaisement, le CNRD et son président, Colonel Mamadi Doumbouya ont accueilli favorablement les demandes de visite au pays, formulées par les anciens chefs d'état vivant à l'étranger », déclarait la porte-parole du CNRD, Aminata Diallo, précisant qu'il s'agissait d'un « acte purement humanitaire -qui- ne traduit en rien une volonté d'ingérence dans une quelconque procédure judiciaire ».

« J'ai lui ai parlé il y a trois jours et il était vraiment joyeux. Je ne connais pas son calendrier de déplacement, ni s'il va rester longtemps. Mais le principal, c'est qu'il soit là », explique Alexandre. A la question du procès relatif au massacre du 28 septembre 2009 qui attend son frère, il assure s'en satisfaire. « Nous savons qu'il est innocent dans cette histoire (...) On se réjouit de ce procès », affirme-t-il.

A quand le procès du 28 septembre 2009 ?

Pourtant, Moussa Dadis risque gros. S'il y a peu de risque qu'il ne soit traduit devant la Cour pénale internationale (CPI), selon Kabinet Fofana, analyste politique et directeur de l'Association guinéenne de Sciences Politiques (AGSP), son retour s'inscrit dans une logique de réconciliation nationale sur la base d'un règlement judiciaire d'une affaire qui avait entraîné la mort de 157 personnes et le viol de 109 femmes, selon les Nations unies. Pour rappel, Moussa Dadis Camara était à la tête de l'Etat lorsque des militaires sont entrés dans le grand stade de la capitale pour réprimer dans le sang une manifestation contre sa candidature à l'élection présidentielle.

La lenteur des procédures judiciaires, l'inculpation tardive de Dadis et les ombres qui continuent de planer sur un certain nombre de personnages-clés de la vie politique guinéenne dans ce dossier révoltent les familles de victimes.

L'extradition retentissante d'Aboubacar Toumba Diakité dit « Toumba » (ancien chef de camp de Dadis), le 12 mars 2017, s'apparentait davantage à un « calcul politique qu'à une réelle volonté judiciaire », estime Kabinet Fofana. Pour sa part, Dadis n'a cessé depuis le pays des hommes intègres de défendre son innocence et de réclamer la tenue d'un procès.

« Je voudrais encourager la tenue de ce procès (...) pour la mémoire des victimes de ces douloureux événements, pour le respect des institutions de la République et pour la vérité de l'Histoire », a-t-il affirmé, se disant prêt à « dire sa part de vérité -pour que- plus jamais ce genre d'événements ne viennent endeuiller la Guinée ».

Prenant acte du retour du capitaine Camara, la FIDH, l'OGDH, l'AVIPA et MDT ont fait savoir par voie de communiqué qu'ils espéraient que ce « retour ouvrira la voie à l'organisation d'un procès, que les victimes attendent depuis 12 ans. Son inculpation par les juges en charge de l'affaire, en juillet 2015, avait constitué un pas décisif dans l'instruction qui s'est clôturée en décembre 2017 ».

De son côté, Yomba Kourouma, l'avocat de « Toumba », inculpé et retenu en détention pour son implication présumée dans les événements du 28 septembre 2009, multiplie les déclarations dans la presse guinéenne, dénonçant « deux poids deux mesures » dans ce dossier et réclamant la mise aux arrêts immédiate de Moussa Dadis Camara.

Un retour au pays qui recouvre des enjeux multiples

Alors que le retour de l'ancien président de Transition, Sekouba Konaté, après une décennie d'absence a provoqué d'impressionnants rassemblements dans la région de Haute-Guinée (où le président déchu Alpha Condé conserve de nombreux soutiens), la venue de Moussa Dadis Camara, moins spectaculaire à Conakry, ne saurait cacher la popularité de l'enfant de la Guinée forestière en qui, nombre de Guinéens, se reconnaissent encore.

« Leurs retours s'inscrit dans l'opération de charme engagée par Mamadi Doumbouya qui joue sur la réduction de la fracture mémorielle et tente d'entreprendre ce qu'Alpha Condé n'a pas réalisé », analyse Kabinet Fofana. « Il a libéré les réfugiés politiques, s'est rendu à Bambeto, a rétrocédé les cases de Bellevue à la famille de Sékou Touré et procédé au changement de nom de l'aéroport de Conakry. Le retour de Moussa Dadis Camara et de Sekouba Konaté est une façon de se faire l'opinion sans empiéter sur le procès, comme l'indiquait le communiqué du 30 novembre. D'ailleurs, il a été demandé au Garde des Sceaux d'accélérer la construction du tribunal qui abritera le procès tant attendu du 28 septembre ».

Il faut dire que la période de grâce des 100 premiers jours de transition est révolue et que bientôt les Guinéens, tout comme la communauté internationale, pourraient bien intensifier la pression sur le calendrier électoral, alors que l'opposition (l'UFDG de Cellou Dalein Diallo en particulier) commence à s'impatienter.

Dadis avait lui-aussi connu un état de grâce et promettait de ne pas briguer le pouvoir suprême. On connaît la suite : une candidature à l'odeur de souffre qui a conduit aux manifestations du stade de Conakry...

« Le procès du 28 septembre a été freiné sous les mandats d'Alpha Condé, car les implications politiques et électoralistes ont pesé lourdement (...) Il n'est pas si simple d'organiser ce type de procès. Ce qu'il se passe en Guinée n'est pas une exception, quand on regarde les cas de Hissène Habré ou de Yahya Jammeh... C'est bien plus compliqué que d'appliquer un décret de 1994 en rétrocédant les cases de Bellevue à la famille de Sékou Touré », souligne-t-il.

Des formations de magistrats guinéens aux fonds décaissés après de longues procédures par les bailleurs internationaux pour construire le nouveau tribunal qui accueillera le procès, les étapes ont traîné en longueur, au grand dam des familles des victimes. Depuis la destitution d'Alpha Condé (retenu en résidence surveillée), ces dernières espèrent une accélération du dossier. Mamadi Doumbouya sera-t-il en mesure de tenir ses engagements pour faire avancer le dossier ?

« Une semaine après le putsch, la popularité de Mamadi Doumbouya était à son paroxysme, selon un sondage que nous avions réalisé au sein de l'AGSP. 63,65 % des sondés considéraient que le coup d'Etat était « venu au bon moment ». Aujourd'hui, sa popularité reste grande, mais elle n'est plus tout à fait au même niveau », explique l'analyste politique.

Ayant engagé une lutte féroce contre la corruption, mis en retraite forcée des hauts gradés de l'armée et chassé nombre d'anciens caciques du pouvoir à la faveur de techniciens venus des diasporas, tout en maintenant captif et dans un sort incertain l'ancien président déchu, le chef de la Transition ne s'est pas fait que des amis. Pour l'heure, il conserve sa popularité et les retours de Konaté et de Camara participent à la stratégie de réconciliation nationale de celui qui assure ne pas nourrir d'ambitions présidentielles...

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