Niger : Bazoum promet une pédagogie par l'exemple  : «Je serai implacable contre les délinquants»

Entre échauffourées et « coup d'Etat » manqué, la transition démocratique au Niger reste fragile et les défis qui attendent le nouveau président sont immenses. A peine investi, il a indiqué qu'il ferait de la sécurité, de l'éducation et de la lutte contre la pauvreté ses priorités. Hommage appuyé à Mahamadou Issoufou et premières orientations, le discours d'investiture de Mohamed Bazoum donne le LA...
(Crédits : DR.)

Le 2 avril 2021, Mahamadou Issoufou passait la main à son dauphin du PNDS, Mohamed Bazoum après 2 mandats successifs. Récemment récompensé du prix Ibrahim, « Zaki » (« le lion », en langue haoussa), aux prises avec une situation sécuritaire alarmante et doté de maigres ressources (le Niger demeure le pays le plus pauvre du monde selon l'IDH du PNUD), aura maintenu une certaine stabilité politique en interne, échappant à 4 tentatives de coup d'Etat. Il aura aussi accompagné une « transition démocratique historique » d'avis d'observateurs internationaux et redressé le PIB de 16%. Ses opposants lui reprochent en particulier la dégradation sécuritaire, une présidence marquée par des scandales de corruption, des violations de libertés à l'instar de la récente coupure Internet qui a suivi la proclamation des résultats du second tour de la présidentielle et des arrestations post-électorales massives jugées arbitraires. Aussi, alors que Mahamane Ousmane du RDR-Tchanji (qui revendique la victoire à la présidentielle) déposait ses recours devant la cour constitutionnelle, la remise quasi simultanée du prix Ibrahim 2020 au principal soutien de Mohamed Bazoum fut interprétée comme un véritable camouflet par l'opposition.

C'est en tous cas, un départ sous les bons auspices de la communauté internationale pour Mahamadou Issoufou qui, dans son discours à la nation du 1er avril, n'a pas caché sa satisfaction d'être le nouveau récipiendaire du fameux prix. A l'issue d'une campagne « ethnicisée » par une partie de l'opposition, l'ancien président du Niger « rassembleur », part en déclarant que « désormais, tout Nigérien, quelle que soit son origine ethnique, peut espérer être Président de la République » (Mohamed Bazoum est issu d'une communauté arabe ultra-minoritaire au Niger). Pourtant, d'échauffourées en arrestations (plusieurs centaines, dont celle de l'ancien Premier ministre, Hama Amadou du Moden Fa Lumana), la transition politique jusqu'ici présentée comme un exemple de consolidation démocratique au Niger, apparaît de plus en plus fragile...

Une tentative éclair de « coup d'Etat » à 48 h de l'investiture

Dans la nuit du 30 au 31 mars 2021, aux environs de 3 heures du matin, des coups de feu sont entendus non loin de la présidence. Des tirs nourris fusent dans la nuit, suivis de ripostes à l'arme lourde de la garde présidentielle, pendant une vingtaine de minutes. « Une tentative de coup d'Etat a été déjouée », déclare Abdourahamane Zakari, le porte-parole du gouvernement, quelques heures après les faits, lors d'une conférence de presse. « D'ores et déjà, plusieurs personnes en lien avec cette tentative de coup d'Etat sont interpellées et d'autres, activement recherchées » a t-il ajouté. Pendant l'attaque, Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum, s'étaient réfugiés en lieu sûr.

« Coup fourré ou coup d'Etat ? » s'interroge l'opposition. « Cette prétendue tentative de coup d'Etat, orchestrée sans aucune intelligence par le pouvoir sert de prétexte pour : -casser l'élan du peuple souverain décidé à ne pas se laisser voler la victoire (...), -opérer des arrestations, -écarter tous les officiers fichés « ethnicistes », indiquait un communiqué de presse de la coalition CAP20-21 et alliés (soutiens de Mahamane Ousmane), daté du 1er avril. La tentative de « putsch » maîtrisée en quelques minutes par la garde présidentielle, à quelques heures d'une marche de contestation pacifique à Niamey (finalement interdite par les autorités), intrigue dans les rangs de l'opposition qui réclame une commission d'enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur cet épisode.

Dans ce contexte fragile et face au refus de l'opposition de reconnaître une victoire entérinée par la cour constitutionnelle, quelle sera la marge de manœuvre du nouveau président ? Un risque de désobéissance civile est-il à craindre ? Mohamed Bazoum tendra-t-il la main aux adversaires d'hier, pour la réconciliation de demain ? Il a rappelé dans son discours d'investiture, « la sagesse » de son adversaire du second tour, Mahamane Ousmane qui en appelle à la contestation des résultats, dans le respect des règles de droit. « Je suis disposé à entretenir avec lui ainsi qu'avec les autres leaders des partis politiques de l'opposition, le dialogue constructif qu'il faut, pour favoriser un climat politique apaisé, propice aux intérêts de notre pays » a-t-il confirmé. En sera-t-il de même avec Hama Amadou ?

Une investiture placée sous haute sécurité

Vendredi 2 avril 2021, plusieurs chefs d'Etat et de nombreuses délégations étrangères étaient attendues à Niamey, en dépit d'un contexte sécuritaire sous haute tension, pour assister à la cérémonie d'investiture de Mohamed Bazoum. Nana Akufo-Addo, le président du Ghana, Roch Marc Kaboré, le président du Burkina Faso, Idriss Déby Itno, le président du Tchad, Faure Gnassingbé, le président du Togo, Azali Assoumani, le président des Comores, Umaro Sissoco Embalo, le président de Guinée-Bissau, Mohamed Ali Ould Abdel Aziz, le président de Mauritanie, George Weah, le président du Libéria, Bah N'Daw, le Président de Transition du Mali, mais aussi le vice-président turque, le vice-président soudanais, le Premier ministre algérien, la Première ministre gabonaise, le président de la Commission de l'Union africaine (UA) et la Secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), avaient notamment répondus à l'invitation du président du Niger. Paris avait dépêché Jean-Yves Le Drian, son ministre de l'Europe et des Affaires étrangères à Niamey.

Après un hommage appuyé de Mohamed Bazoum qui a salué « la droiture, la loyauté, la générosité, la rigueur et le patriotisme » de son prédécesseur, Mahamadou Issoufou sort de scène, les poings levés et sous les applaudissements du public. Le Centre de Conférence Mahatma Gandhi est comble et la circulation routière est bloquée dans un quartier quadrillé par les forces de sécurité. Le Niger est en zone rouge. Plus de 300 personnes ont perdu la vie dans des attaques terroristes depuis le mois de janvier 2021. « Le terrorisme et la pauvreté » sont les deux « ennemis » du Niger, a rappelé Mohamed Bazoum.

L'an dernier, le pays consacrait près de 18% de son budget pour assurer sa sécurité. Pourtant, la situation se dégrade, et ce, en dépit des soldats nigériens déployés sur le territoire, des 5 100 soldats de la force Barkhane présents dans le Sahel et des 1.200 militaires tchadiens récemment arrivés dans le pays. Un désengagement progressif des troupes françaises au sol qui est dans l'air du temps n'est pourtant pas de nature à perturber l'ancien ministre de l'Intérieur, pourvu que le support aérien de la France se maintienne. Mohamed Bazoum est-il prêt à prendre ses distances avec Paris ? Se rapprochera-t-il de nouveaux partenaires, comme les Américains ?

En interne, sur quels soutiens pourra-t-il s'appuyer ? Issu d'une communauté très minoritaire (les Oulad Souleymane), il ne bénéficie pas de la même assise nationale que son prédécesseur Haoussa. Parviendra-t-il à se faire accepter par tous les Nigériens ou l'opposition perturbera-t-elle durablement le mandat du nouveau président ? Dans un souci « d'unité » nationale, Mohamed Bazoum a affirmé le 2 avril qu'il serait « le président élu pour tous les Nigériens ».

Mohamed Bazoum : « Notre agenda diplomatique sera centré sur le Mali »

« Je n'ai que trop conscience de ce que sont mes défis », a déclaré Mohamed Bazoum lors de son discours d'investiture qui apparaît comme une véritable feuille de route : lutter contre le terrorisme, réduire la pauvreté, promouvoir la bonne gouvernance et procéder à la refonte du système éducatif. Avec un taux de natalité moyen de 6,9 enfants par femme, selon la Banque mondiale, sur quels ressorts s'appuiera-t-il pour transformer « la croissance échevelée de -la- démographie en « dividende économique » ?

Les objectifs macroéconomiques de Mohamed Bazoum portent sur l'amélioration de l'environnement des affaires, pour renforcer le secteur privé et attirer davantage d'Investissements directs étrangers (IDE). « Mon objectif est de porter le taux de croissance annuel moyen à 8%, le taux de pression fiscale à 20%, de réduire le taux de pauvreté de 43% à 25% en 2025, de maintenir le taux d'inflation en dessous de 3% et d'améliorer substantiellement la part des secteurs secondaires et tertiaires dans l'économie, de façon à les porter respectivement à 45% et 35% du PIB en 2025 » a-t-il annoncé. Alors que la mine d'uranium de Cominak vient tout juste de fermer ses portes, et dans l'attente de l'exploitation prochaine de l'or noir nigérien, l'heure est à la diversification, mais aussi au renforcement des capacités (agricoles, en particulier).

En matière de gouvernance, il prévient que « quiconque avec une responsabilité dans l'administration publique, répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes » (eu égard au scandale qui avait fait trembler l'administration en 2020, frappée d'un détournement de fonds de plusieurs milliards de francs CFA, destinés à l'achat d'équipements pour les soldats nigériens, aux avant-postes de la lutte contre le terrorisme). Il a averti qu'il s'appuierait sur « la pédagogie de l'exemple » contre la corruption et qu'il serait « implacable contre les délinquants », tout en tendant la main à la société civile pour « mettre fin à certains malentendus »...

Enfin, il est revenu sur les récentes attaques terroristes « qui ont dépassé toutes les bornes » dénonçant de « vrais crimes de guerre ». Rappelant que les bases du terrorisme sont hors du territoire nigérien, notamment dans la région de Diffa (où sévit Boko-Haram depuis 2015) qui compte 130 000 réfugiés nigérians, il a déclaré qu'il engagerait immédiatement des discussions avec les autorités du Nigéria pour renvoyer les réfugiés dans leur pays. « Tels quels, ces camps sont des fabriques potentielles de terroristes, voilà pourquoi il est urgent d'y mettre fin », a-t-il lancé.

Mais au-delà de la milice nigériane, c'est bien la question malienne qui préoccupe Mohamed Bazoum. « L'EIGS est un groupe criminel dirigé par des ressortissants du Maghreb -qui-, a ses principales bases en territoire malien [...] Le combat contre lui sera très difficile aussi longtemps que l'Etat malien n'aura pas exercé la plénitude de sa souveraineté sur ces régions. La situation actuelle du Mali a un impact direct sur la sécurité intérieure de notre pays. C'est pourquoi notre agenda diplomatique sera centré sur le Mali, dans le cadre d'une étroite coordination avec les pays du G5 Sahel, l'Algérie, la France, les Etats-Unis d'Amérique et les autres membres permanents du Conseil de sécurité notamment » a-t-il poursuivi. Rupture ou continuité sécuritaire : l'arrivée de Mohamed Bazoum à la tête du Niger s'accompagnera-t-elle d'un remaniement des alliances géostratégiques ?

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