Afrique : les (nouveaux) visages du pouvoir en 2020

Ils ont été élus ou ont prêté serment au cours de l’année 2019. A des moments parfois décisifs pour l’avenir de leur pays, certains ont légèrement renouvelé les figures de la photo de famille des chefs d’Etat du Continent. D’autres se maintiennent, souvent face à une vive contestation ou une prolifération de polémiques. Dans l’un ou l’autre des cas, voici les (nouveaux?) visages du pouvoir en Afrique !
Ibrahima Bayo Jr.
(Crédits : IJB pour LTA (avec Reuters))

Domingos Pereira ou Umaro Sissoco Embalo, nouvelle année, nouveau président?

En guise de cadeau de la nouvelle année, la commission électorale de Guinée-Bissau va annoncer ce 1er janvier 2020, les résultats du second tour de la présidentielle du 29 décembre ainsi que le nom du futur président de la République. Le plus gros défi sera de remettre sur les rails économiques un pays instable politiquement. Et l'affiche du duel a de quoi semer l'inquiétude chez les observateurs.

A ceux qui opposent à Umaro Sissoco Embalo (47 ans) son fragile score de 28% au premier tour, cet ancien Premier ministre répond vite par un aphorisme sur l'éparpillement des voix entre les nombreux candidats à la succession au fauteuil du Palais de la Place des Héros à Bissau. Plus encore, il rappelle avoir rallié à la cause du Madem-G15, le second parti du pays, les faiseurs de rois,  Nuno Gomes Nabiam et le président sortant José Mario Vaz. Mais les choses ne sont pas aussi simples.

En face, Domingos Simões Pereira est un candidat de taille. Depuis la crise politique née de son limogeage par José Mario, le chef du PAIGC tient les brides du parti historique de l'indépendance et bénéficie de son aura et sa machine électorale. Au premier tour, Domingos Simões Pereira  a raflé 40% des suffrages exprimés, après avoir réussi à remporter une victoire aux législatives, puis arraché une alliance décisive pour contrôler l'Assemblée nationale. Autant de faits d'armes politiques qui le propulsent au rang de favori. Sur fond d'accusations de fraudes avant même la proclamation des résultats, la tension est palpable entre les deux camps.

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Abdelmadjid Tebboune, le mal élu

Officiellement, depuis qu'il a juré ce 19 décembre 2019, la main sur le Coran, il est devenu le président d'une Algérie en quête de changement. Tout s'est joué vite : avec un peu plus de 58% des voix, cet ancien Premier ministre d'Abdelaziz Bouteflika est élu dès le premier tour de l'élection contestée du 12 décembre 2019. Est-il pour autant accepté en tant que président de l'Algérie ? Loin s'en faut.

Tout comme son ex-mentor, Abdelmajid Tebboune fait face à la persistance du mouvement de contestation qui a précipité la démission d'Abdelaziz Bouteflika. Le mouvement s'est intensifié avec la tenue contestée d'une présidentielle rejetée par les contestataires. Il semble avoir atteint son paroxysme avec la sourde oreille du régime qui a poussé dans le sens d'un scrutin, ce qui a peu suscité l'enthousiasme chez les électeurs. Le taux d'abstention a dépassé la barre des 60 %, moins de quatre électeurs sur dix ont élu ce nouveau président.

Sans essoufflement, chaque vendredi depuis dix mois, des milliers de citoyens descendent dans les rues des grandes villes pour réclamer le démantèlement d'un système politique tenu par la haute hiérarchie militaire. A la tête de l'armée, le Général Gaïd Salah est apparu comme la figure qui cristallise les revendications, jusqu'à son brusque décès peu après la prestation de serment de l'homme qu'il venait d'installer au pouvoir. La main tendue de ce dernier aux contestataires n'a pas calmé la rue. Désormais seul face à un mouvement de masse grossissant, sa marge de manœuvre reste très réduite.

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Hage Geingob, la pauvre gestion d'un pays riche

Sa barque a tangué, mais il reste au gouvernail de la Namibie pour un nouveau mandat. A 78 ans Hage Geingob a été réélu lors des élections générales de décembre 2019 à la tête de cette république du sud-ouest de l'Afrique riche de ressources naturelles (diamants, uranium) et halieutiques (poissons). La mauvaise gestion de la manne financière a ponctué la fin du premier mandat de celui qui dirige la Namibie depuis 2014.

Jusqu'aux portes des élections générales de décembre 2019 que la Swapo (au pouvoir) a remportées sans majorité au Parlement, le site Wikileaks a mis des documents-preuves de pots-de-vin reçus par les membres du Cabinet présidentiel. Réélu sous le plus mauvais score du parti depuis l'indépendance, Hage Heingob a vu sa cote de popularité s'effriter sous l'effet d'accusations de fraudes dans son entourage. Ses démentis avec véhémence n'y changent pas beaucoup.

Issu d'une aile dissidente, Panduleni Itula (62 ans) est propulsé au rang de nouveau chef de l'opposition avec son Mouvement des sans-terres (LPM) qui a fédéré autour de la déception du premier mandat. La bataille de positionnement entre les deux frères ne devrait pas faire oublier la crise économique persistante depuis ans et un un taux de chômage qui ne cesse de grimper. Mais elle conditionnera encore longtemps les thèmes de la vie politique.

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 Mohamed Ould Ghazouani, cet ami qui vous veut du bien

Avant même son entrée au Palais de marbre gris, on prédisait à Mohamed Ould Ghazouani, un rôle de marionnette principale dont les ficelles seraient tirées par Mohamed Ould Abdelaziz son prédécesseur qui lui a cédé le fauteuil présidentiel. A l'épreuve des faits, le premier chantier du nouveau président de la Mauritanie semble être de se débarrasser de la tutelle pesante de celui avec qui il partage une amitié de plus de trente ans.

Débarqué de l'Union pour la République(UPR), Ould Abdelaziz devrait observer de loin le jeu politique depuis sa tente de retraite à Zerouate. Son dernier réseau d'influence, le Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP) dont les baïonnettes lui ont permis d'arriver au pouvoir, a été démantelé puis profondément remanié. Élu à la présidentielle de juillet 2019 dans ce qui ressemblait encore à un jeu de chaises musicales à la Poutine préparant un possible retour au pouvoir d'Ould Abdelaziz, le nouveau maître des lieux est désormais Mohamed Ould Ghazouani.

Mais dès qu'il a été investi des pleins pouvoirs, cet ancien ministre de la Défense âgé de 62 ans, issue d'une confrérie soufie très influente, a emprunté la technique auprès de son homologue angolais Joao Lourenço. En prenant langue avec l'opposition politique qui réclame l'audit de la gestion publique de son ami, il cultive son indépendance. En démantelant les réseaux Ould Abdel Aziz, il écarte l'ombre menaçante d'un coup d'Etat. Indépendance feinte ou volonté de gouverner seul? A Nouakchott, l'on a du mal à composer avec la fin de l'amitié entre les deux hommes.

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Cyril Ramaphosa, le retour de l'héritier putatif de Mandela

Toute sa carrière politique, Cyril Ramphosa l'a vécue avec la frustration d'avoir été écarté de l'ANC (le parti au pouvoir depuis la fin de l'Apartheid) au profit de Thabo Mbeki lorsqu'il fallait préserver l'héritage de Nelson Mandela. Le syndicaliste acharné du parti-Etat va alors compenser cette éviction en bénéficiant de la politique de discrimination positive en faveur de la communauté noire dans une Afrique du Sud post-apartheid. De la politique, il continua d'en faire, mais en branchant le câbles de son réseau dans le monde des affaires en attendant patiemment son heure.

Cette dernière arrive dans le sillage de la litanie de scandales qui ponctue les deux mandats de Jacob Zuma, menacé d'impeachment. Lorsque celui-ci démissionne en février 2018, c'est le vice-président Cyril Ramaphosa qui est appelé pour assurer l'intérim avant d'être choisi par l'ANC pour terminer le mandat et éviter une défaite de l'ANC qui domine la vie politique depuis 1994. Avec la mise en place d'une expropriation sans compensation des terres au Blancs, Cyril Ramaphosa permet à l'ANC d'accuser le coup mais pas de remonter dans l'estime d'une partie de sa base électorale.

La preuve en est faite à la présidentielle de l'année suivante. En mai 2019, Cyril Ramaphosa est (ré)élu avec un peu plus de 57% des voix, c'est le plus faible score de l'ANC depuis sa création. Les électeurs ont peut-être adressé la dernière mise en garde à l'ANC : les accusations de financement illicite de la campagne victorieuse de Ramaphosa ont eu la consonance d'une gestion à la Zuma. Inévitablement, l'ANC est fissurée de l'intérieur avec une aile toujours fidèle à l'ancien président au moment où dans l'opposition, des figures plus jeunes montent.

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Macky Sall, un hyper-président tenté par un troisième mandat?

Un «coup KO !». Avant même la proclamation des résultats de la présidentielle du 24 février 2019, Mahammed Boun Abdallah a superposé son habit de directeur de campagne sur celui de Premier ministre pour annoncer la victoire dès le premier tour de Macky Sall. Sans suspense, le président du Sénégal depuis 2012 a été réélu pour cinq ans. Avec plus de 58% des voix, selon les résultats consolidés du Conseil constitutionnel, il survole Idrissa Seck et Ousmane Sonko, ses principaux challengers réduits à se disputer la place de chef de l'opposition.

Dès sa prestation de serment, le président réélu embraye sur une réforme du régime en supprimant le poste de Premier ministre, faisant basculer le Sénégal dans l'hyper-présidence. Pour lui, c'est une volonté de contourner une administration loin d'être efficiente afin d'accélérer la politique des grands travaux de son premier mandat qui avaient valu au pays quelques points de croissance. Soulignant les retards dans le lancement ou la livraison de ces infrastructures,  les opposants y voient une dérive autoritaire du régime et même la porte ouverte à un troisième mandat.

Au sein du parti au pouvoir, le débat sur le rempilement du chef de l'Etat sénégalais au-delà de la limite constitutionnelle est encore précautionneusement ceint d'une muselière pudique. A l'horizon lointain de  la présidentielle 2024 où il faudra choisir ou non un remplaçant à Macky Sall, la question présente un haut risque de querelles d'héritiers au sein du parti. Elles pourraient parasiter le bilan du mi-mandat ou celui du quinquennat finissant même si Macky Sall a su habilement manœuvré dans l'échiquier politique.

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Félix Tshisekedi, le rêve de mon père

Aujourd'hui, Félix Tshisekedi est un peu plus à l'aise dans son costume de quatrième président de la République démocratique du Congo. On est loin de son collapsus lors de son investiture du 24 janvier 2019 que l'on mettra sur le compte d'un gilet pare-balles un peu trop ajusté. L'émotion est aussi une des pistes a envisager pour expliquer l'évanouissement présidentiel. Si elle concrétise la première alternance pacifique en RDC, l'arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi est d'abord la concrétisation du rêve de son père.

Opposant aux régimes des Kabila (père et fils), Etienne Tshisekedi, ancien premier ministre de Mobutu, est décédé en février 2017 en Belgique, sans voir l'alternance démocratique dont il avait fini par devenir le héraut. Mais l'UDPS, le parti qu'il a fondé, a fait la courte échelle à un de ses  cinq enfants. Il aura fallu des pressions internationales suffisamment marquées pour mettre fin au glissement de Joseph Kabila et conduire le pays à la présidentielle du 31 décembre 2018.

A la surprise générale, c'est Félix Tshisekedi qui est élu avec 38% devant Martin Fayulu et Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin du sortant. Un an après la présidentielle, le second réclame toujours la «vérité des urnes». Sporadiquement, il soulève les accusations d'inversion des résultats, fruit d'un deal supposé entre Joseph Kabila, président honoraire et sénateur à vie, et Félix Tshisekedi, la «marionnette» d'un président de l'ombre. Trop occupée à ravir le fauteuil présidentiel, l'opposition n'a pas vu venir que la coalition du président sortant a ravi la majorité dans les deux chambres du parlement et «infiltrer» tous les leviers d'influence politique et économique du pays, dans l'attente du retour annoncé de Joseph Kabila au pouvoir.

Ibrahima Bayo Jr.

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