Guinée-Bissau : ce limogeage par lequel la crise va s'exacerber

Sans s’embarrasser de précautions diplomatiques, la CEDEAO a relevé le « caractère illégal » de la décision de limogeage d’Aristides Gomes. Ce Premier ministre avait été désigné par l’organisation sous-régionale pour conduire les affaires courantes jusqu’à la présidentielle du 24 novembre prochain. Mais par décret présidentiel daté du 28 octobre dernier, José Mario Vaz l’a démis de ses fonctions pour le faire remplacer par Faustino Fudut Imbali. De quoi précipiter le pays dans une crise politique inextricable à moins d’un mois du scrutin décisif pour la remise en jeu du fauteuil du Palais de la Place des héros à Bissau.
Ibrahima Bayo Jr.
(Crédits : IJB pour LTA (avec Reuters))

C'est désormais inévitable: José Mario Vaz a décidé d'aller au clash. Le 28 octobre dernier, le président sortant bissau-guinéen évoquait «une grave crise politique qui empêche le fonctionnement normal des institutions de la République». Si fait que le locataire du Palais de la Place des héros a pris le même jour, un décret de limogeage du Premier ministre Aristides Gomes et de dissolution de son gouvernement.

Sans perdre de temps, le chef de l'Etat bissau-guinéen a pris dès le lendemain, un décret de nomination d'un nouveau Premier ministre. Son choix s'est porté sur l'ancien Premier ministre (mars à décembre 2001) et ex-chef de la diplomatie (2012-2013), Faustino Fudut Imbali. A moins d'une semaine de l'ouverture de la campagne électorale pour la présidentielle du 24 novembre prochain, la tension au sommet de l'Etat est à son summum. En signe de protestation, Aristides Gomes s'est rendu ce mercredi 30 octobre à son bureau pour «une journée normale de travail au service du peuple», selon une publication sur sa page Facebook.

«Caractère illégal évident» du limogeage d'Aristides Gomes

Il faut dire que l'«ancien» Premier ministre a un soutien de taille. Sans langue de bois diplomatique dans son communiquéla CEDEAO s'est dite « très préoccupée par l'évolution de la situation récente en Guinée -Bissau» notamment par des «informations sur une tentative de coup de force visant à remettre en cause les institutions de l'Etat, la création d'obstacles artificiels destinés à entraver le processus électorale pour les élections présidentielles [...]». L'organisation sous-régionale relève le «caractère illégal [...] évident» du limogeage d'Aristides Gomes et de son gouvernement à qui elle « réitère tout son soutien» dans la préparation du scrutin du 24 novembre.

Pour éviter un enlisement dans la crise politique née depuis 2015 d'une guerre intestine au PAIGC, le parti-Etat, la CEDEAO avait décidé à son sommet du 29 juin dernier à Abuja, de proroger le mandat de José Mario Vaz. Le pouvoir de ce dernier n'était plus devenu que protocolaire depuis que le gouvernement d'Aristides Gomes, issu des élections législatives du 10 mars 2019 était chargé de conduire les affaires gouvernementales. Qu'introduit donc ce nouveau coup de force politique du président José Mario Vaz ?

D'abord, il enraye la machine gouvernementale à une semaine seulement de l'ouverture d'une campagne électorale qui devrait remettre en jeu le fauteuil du  président sortant. Chargée d'organiser la présidentielle du 24 novembre, l'équipe Gomes se retrouve au milieu d'un tiraillement avec celle de son «successeur». Si bien que si la situation n'est pas  réglée, le processus électoral risque de prendre un sérieux coup de frein et la présidentielle reportée à des calendes grecques. Et c'est peut-être là tout le bénéfice de José Mario Vaz.

La Guinée-Bissau, le dernier îlot d'instabilité qui agace la CEDEAO

Exclu de la course du PAIGC, évincé du Madem G-15, le premier parti d'opposition, au profit d'Umaro Sissoco Embalo, le président sortant se présente en indépendant à la présidentielle. Outre son bilan économique catastrophique dans ce parent pauvre d'Afrique de l'Ouest, classé sur la liste des Etats narcotrafiquants et traversé par la pauvreté, José Mario Vaz n'a que peu de soutiens et relais pour espérer remporter la bataille de sa propre succession. Réinitialiser une machine électorale pilotée par le PAIGC (au pouvoir) avec qui il est en déliquescence, est sans doute pour lui, la meilleure stratégie pour gagner du temps, histoire de se refaire politiquement.

Comment en est-on arrivé là? Depuis plusieurs semaines, Aristides Gomes dénonce des crocs-en-jambe dans sa mission d'organiser les premières élections pacifiques depuis le retour de la légalité constitutionnelle avec l'arrivée au pouvoir de José Mario Vaz en 2014. Alors lorsque l'«ancien» Premier ministre Gomes impute une tentative de «coup d'Etat» à Umaro Sissoco, il a charrié le remugle des démons du passé dans une Guinée Bissau qui aura connu quatre coups d'Etat -parfois sanguinolents-, seize tentatives de putschs depuis que cette ex-colonie portugaise est devenue indépendante en 1975 suite à une guerre de libération.

Pour ajouter à un climat préélectoral déjà délétère, la manifestation organisée le samedi 26 octobre dernier en signe de riposte par l'opposition s'est soldée par une répression féroce ayant fait au moins un mort et plusieurs blessés. A une semaine de l'ouverture de la campagne pour la présidentielle, l'incertitude étreint toute la Guinée-Bissau. Connu pour son instabilité quasi chronique, le pays se retrouve à nouveau au bord du précipice d'une crise politique sans précédent. Et le limogeage décrié pourrait le précipiter dans une grave crise institutionnelle. Le début d'un tragique recommencement qui agace dans les couloirs de la CEDEAO où la Guinée-Bissau reste le dernier îlot d'instabilité

Ibrahima Bayo Jr.

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