Présidentielle en Côte d'Ivoire : Soro, le candidat du GPS, avance en terrain miné

Guillaume Soro fait le point sur sa candidature à la présidentielle d'octobre 2020. S'affichant volontiers en « Macron ivoirien », hors des partis traditionnels et en rupture assumée avec le président Ouattara, il multiplie les signes en direction de Laurent Gbagbo, devenu « faiseur de rois », et annonce son retour prochain en Côte d'Ivoire.
(Crédits : Reuters)

« Je veux faire de la politique autrement, apporter des idées nouvelles », a introduit Guillaume Soro à l'occasion d'un dîner-presse tenu mercredi 23 octobre rue de la Paix à Paris, aux côtés de l'indéfectible Affoussiata Bamba Lamine, l'ex-porte-parole des Forces nouvelles.

Celui qui avait annoncé sa candidature lors d'une « crush party » réunissant la diaspora ivoirienne à Valence, le 12 octobre dernier, entend s'appuyer sur une nouvelle organisation « en dehors des partis » pour sortir des clivages traditionnels. « J'ai lancé un mouvement citoyen, Générations et peuples solidaires (GPS), qui n'est pas un parti politique. Nous en sommes déjà à 15 000 adhérents [...] Je suis rassuré; car j'ai rarement perdu mes combats », avance-t-il.

Un mouvement sans appareil politique, une jeunesse portée comme étendard, une grande consultation nationale relayée sur Internet, l'initiative n'est pas sans rappeler celle d'un certain Emmanuel Macron. « En marche » de Monsieur Macron a 500 000 adhérents sur les réseaux sociaux et nous en sommes à 800 000. J'ai 47 ans et je veux incarner la jeunesse dans un pays où vous avez des candidats comme Monsieur Bédié qui a 85 ans [...] Puisque Macron a la quarantaine, moi aussi j'ai l'âge d'être candidat ».

L'argument de la jeunesse devra néanmoins s'accompagner de moyens financiers et de solides soutiens politiques nationaux et internationaux sur lesquels le candidat préfère rester discret. Quant à son programme, il ne s'étend pas davantage : « Après le diagnostic viendra le projet de société qui sera décliné en plan d'action et ensuite en programme de gouvernement. Nous allons mettre en œuvre ce que veulent les Ivoiriens. Nous nous appuierons sur une plateforme en ligne qui réunira plusieurs thématiques comme la santé ou l'éducation et nous irons sur le terrain pour connaître les attentes selon les régions ».

Une rupture consommée avec Alassane Ouattara

« Ouattara a fait ses 2 mandats, maintenant c'est terminé, il n'est plus candidat. C'est le passé ! L'Afrique doit changer. Même Yahya Jammeh est parti. Il reste qui pour me battre ? La question reste posée », lance Guillaume Soro, déplorant le bilan de son ancien Pygmalion dont il raille volontiers, en joignant le geste à la parole, la « voix doucereuse » et l'apparente bienveillance derrière des résultats « décevants ».

« La Côte d'Ivoire est une vitrine ; les Ivoiriens ne bénéficient pas de la croissance. Le RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, ndlr], c'est vraiment un château de cartes ! [...] Je me suis longtemps laissé berner par la macroéconomie de ce pays. La Banque mondiale qui a de bonnes agences de communication à Paris, prétend qu'il y a 9% de croissance, mais dans le même temps, qu'il y a aussi 46% de pauvreté en Côte d'Ivoire ! On nous a vendu des Messies du FMI mais combien ont réussi ? [...] ». Une attaque directe pour celui qui fut l'ancien DGA du FMI de 1994 à 1999.

« Bogota », le surnom de Guillaume Soro, a occupé les fonctions de Premier ministre, de ministre de la Défense, puis de président de l'Assemblée nationale jusqu'au 8 février 2019. Mais à la question de sa responsabilité sous la présidence d'Alassane Ouattara, il « assume le 1er mandat » quand « les taux de croissance étaient les plus élevés », précisant néanmoins : « Je ne suis pas responsable du bilan ». Il considère avoir été trompé par d'improbables engagements : « Quand il a promis la création d'un million d'emplois par an, j'y ai cru. Je suis rentré au village et j'ai annoncé ça à tout le monde ! Mais c'était de la naïveté, car aucun pays ne crée un 1 million d'emplois par an... ».

Guillaume Soro revient enfin, sur le point de rupture avec Alassane Dramane Ouattara (ADO) qu'il date de sa volonté de briguer un troisième mandat, rendu en théorie possible après le changement de Constitution de 2016. « Au début, je pensais que nous étions sur le même chemin jusqu'au moment où j'ai compris. On me demandait de partir de la Primature, c'est ce que j'ai fait, tout en attendant une nomination de n°2 au RDR [le parti d'ADO, ndlr] qui ne venait pas [...] Dès le départ, Monsieur Ouattara avait compris que s'il voulait exercer pleinement son pouvoir, il ne pouvait y avoir 2 capitaines dans le même bateau [...] J'ai un sentiment de trahison, mais il faut avancer en politique ».

La rupture est consommée et la charge assumée envers le président en fin d'exercice, et Guillaume Soro en profite pour envoyer des signaux assez clairs à Laurent Gbagbo : « La corruption est beaucoup plus développée que sous Gbagbo [...] Le meilleur allié de la réhabilitation de Gbagbo en Côte d'Ivoire aujourd'hui, c'est Ouattara qui fait pire que lui ».

Une opération séduction en direction de Gbagbo

En cas de présence au second tour, Soro affirme que Bédié lui a confirmé qu'il le soutiendrait. En revanche, il ne peut en dire autant pour le fondateur du FPI auquel il adresse des signes répétés en vue d'une réconciliation. « Si c'était une élection à un tour, c'est Gbagbo qui serait président de la Côte d'Ivoire aujourd'hui », déclare Guillaume Soro, se référant à la popularité toujours importante de l'ancien chef de l'Etat, dont les avocats demandent actuellement « une mise en liberté immédiate et sans condition » après les sept années de prison passées aux Pays-Bas.

Laurent Gbagbo (FPI) et Henri Konan Bédié (PDCI), après s'être affrontés pendant plusieurs décennies, ont affiché leur réconciliation le 29 juillet dernier à Bruxelles. Une alliance de circonstance à quelques mois des présidentielles pour Gbagbo, l'opposant socialiste historique de Houphouët-Boigny et pour Bédié, le libéral et héritier du « père de la nation ».

Toutefois, le résultat des élections sera fonction d'un jeu d'alliances qui se fera vraisemblablement dans la dernière ligne droite et l'ancien chef de la rébellion sait qu'il ne peut gagner seul aussi, une alliance avec le taciturne Bédié allié au débonnaire Gbagbo serait la clé d'une victoire, même s'il n'est pas dupe et précise qu' « il n'y aura pas de toute façon, de report unanime des votes de Gbagbo », la guerre ayant laissé quelques indélébiles traces dans les esprits ivoiriens. « J'ai demandé pardon au peuple ivoirien pour mon rôle pendant la guerre [...] J'ai décidé d'aller demander pardon à Monsieur Gbagbo et à Monsieur Bédié », explique-t-il néanmoins. Guillaume Soro en appelle à la « réconciliation », dont il impute également l'échec au président Ouattara.

L'opération séduction est amorcée : « Laurent Gbagbo et moi ne nous sommes pas encore vus, mais nos émissaires se parlent. Je n'ai aucun contentieux particulier avec lui. J'ai l'âme en paix et le cœur tranquille. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts [...] Nous devons faire preuve de capacité d'élévation, car un homme d'Etat doit consentir à des sacrifices pour son pays ». Alors que le fils du leader du FPI, Michel Gbagbo a porté plainte en France contre Soro, l'éléphant socialiste pardonnera-t-il la trahison du « jeune » candidat à qui il avait accordé sa confiance et un poste de Premier ministre ? Pour l'heure, rien n'est moins sûr et Guillaume Soro devra encore certainement affronter un certain nombre d'obstacles d'ici octobre 2020.

Un chemin de campagne pavé d'embûches

Entre intimidations et menaces de poursuites judiciaires, le candidat du GPS avance en terrain miné. Pour rappel, dans la nuit du 8 octobre dernier à Valence en Espagne, il est réveillé en pleine nuit par la police espagnole qui évoque un mandat d'arrêt international pour l'interroger. Les policiers finissent par quitter l'hôtel après plus d'une heure d'échanges, laissant Soro dans la stupeur. Les appels de ce dernier à l'ambassadeur de Côte d'Ivoire en Espagne sont restés sans réponse. « Mes avocats ont déposé une plainte et la justice tranchera, car c'est trop grave [...] Quelqu'un voulait avoir une photo de Guillaume Soro menotté pour mettre fin à ma candidature ».

Ce n'est pas la seule mésaventure du candidat fraîchement déclaré, car il a également eu maille à partir avec les autorités consulaires états-uniennes. « Mon visa a été annulé par les Etats-Unis à la demande de la Côte d'Ivoire qui a avancé le fait que je n'étais plus président de l'Assemblée nationale. J'apprends par ailleurs que le gouvernement américain fait des notes sur ma personne pour me faire passer pour un individu qui aurait des connexions avec les terroristes ». Des accusations auxquelles Guillaume Soro avait déjà été confronté dans les médias ivoiriens lors des attentats de Grand-Bassam du 13 mars 2016. « On a essayé de faire croire que j'étais impliqué ! Un journal proche du gouvernement [Le Patriote, journal fondé par Hamed Bakayoko, actuel ministre de la Défense, ndlr] avait titré à 2 reprises que j'entretenais des relations avec les terroristes ».

Reste le processus électoral et la composition de la CEI (Commission électorale indépendante) dont il redoute la neutralité. « Les guerres en Afrique partent souvent de processus électoraux mal maîtrisés. Je tire la sonnette d'alarme. Si rien n'est fait, le pays va encore souffrir et si Monsieur Ouattara veut qu'il y ai la paix en Côte d'Ivoire, il est obligé de modifier la CEI », a averti l'ancien chef de guerre. De quoi faire craindre le réveil de vieilles passions dans ce pays où la population demeure divisée, sur fond de communautarisme.

A la question d'être écarté du scrutin avant l'échéance électorale, il répond tout de go : « Ouattara lui-même a été écarté de la présidentielle ».

Enfin, Guillaume Soro qui devra récupérer son passeport - « Je n'ai pas de passeport aujourd'hui. J'ai seulement le passeport diplomatique » qui ne pourra être renouvelé - déclare néanmoins : « Il n'est pas dit que moi Soro Guillaume, je resterai en exil. Je rentrerai bel et bien en Côte d'Ivoire. Si on veut m'arrêter, on verra », a-t-il lancé, annonçant qu'il retournerait en Côte d'Ivoire avant la mi-novembre, après des déplacements prévus en Italie et en Angleterre. Rien ne semble donc inquiéter le candidat Soro, ni les tentatives d'intimidations, ni les menaces judiciaires : « Vous dites que j'ai des ennemis puissants. Dites-leur que moi aussi je suis un adversaire puissant ! », prévient-il.

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