Le Maroc réaffirme son engagement contre l'obscurantisme à l'occasion de la visite papale

Les 30 et 31 mars, le Roi Mohamed VI a reçu le souverain pontife à Rabat. Le royaume réaffirme ainsi son ouverture religieuse dans un pays à 99% musulman. Entre l'appel de Jérusalem et l'éducation comme rempart à l'extrémisme, sur fond de défi migratoire : retour sur une visite placée sous le signe du dialogue inter-religieux...
Le pape François salue les femmes lors d'une visite à un service social rural dirigé par les Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul à Temara, près de Rabat, au Maroc, le 31 mars 2019.
Le pape François salue les femmes lors d'une visite à un service social rural dirigé par les Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul à Temara, près de Rabat, au Maroc, le 31 mars 2019. (Crédits : Vatican Media via REUTERS)

Il pleut averse lorsque le Saint-Père arrive à Rabat. Cela est signe de prospérité dans le Royaume chérifien et la pluie ne décourage pas les fidèles qui l'attendent patiemment sur les trottoirs de la capitale. C'est donc sous une pluie battante que le Commandeur des croyants et le Saint-Père se sont dirigés vers l'esplanade de la Tour Hassan de Rabat, pour s'adresser à la foule.

«Votre visite coïncide avec le mois béni de Rajab» a déclaré le roi Mohamed VI. C'est aussi à l'occasion du 800ème anniversaire de la rencontre historique entre Saint-François d'Assise et le Sultan d'Egypte Al Kamil en 1219, que le souverain pontife est arrivé en terre musulmane à l'invitation du Roi Mohamed VI, pour promouvoir le dialogue inter-religieux et pour rencontrer les catholiques du Maroc. Son père avant lui, avait été le premier Chef d'Etat d'un pays arabe à recevoir le pape, en la personne de Jean-Paul II en 1985, dans le stade de Casablanca, qui avait réuni près de 80 000 personnes.

Sa Sainteté a donc été reçue au Palais royal avant de s'adresser aux Marocains, depuis l'Esplanade de la Tour Hassan. Il s'est ensuite rendu dans le mausolée du roi Mohammed V, puis au sein de l'Institut Mohamed VI de formation des Imams Mourchidines et des Mourchidates, avant de rejoindre le siège de Caritas pour y rencontrer les migrants.

Dimanche 31 mars, il s'est d'abord rendu au centre rural des services sociaux de Témara, avant de rencontrer les prêtres et le conseil œcuménique des églises, dans la cathédrale de Rabat, achevant sa tournée marocaine par une grande messe au sein du complexe sportif Prince Moulay Abdellah qui a réuni plusieurs milliers de fidèles. «Je veille, effectivement, au libre exercice des religions du Livre et Je le garantis. Je protège les Juifs marocains et les chrétiens d'autres pays qui vivent au Maroc» a rappelé le Roi, à l'occasion de ce déplacement historique. Néanmoins, le souverain pontife a mis en garde les fidèles contre toute tentation prosélyte qui en coûte jusqu'à 3 ans de prison dans le royaume chérifien.

Une rencontre placée sous le signe du dialogue inter-religieux

Samedi, à l'intérieur de l'Institut Mohamed VI de formation des Imams Mourchidines et des Mourchidates, des étudiants ont exprimé leur foi avant que l'orchestre philarmonique national ne vienne ponctuer cette visite-éclair par des chants arabe, hébraïque et catholique: signe du «dialogue des cultures», qui était précisément le thème choisi pour cette visite apostolique. Une initiative qui renvoie à la Constitution du royaume chérifien, selon laquelle «l'Islam est la religion d'Etat qui garantit à tous, le libre exercice des cultes».

Les relations entre le Maroc et le Vatican se sont renforcées depuis les années 1980. En1984, le Dahir Royal confirme le statut de l'Eglise catholique et définit un cadre législatif, s'ensuit la visite de Jean-Paul II en 1985, au Maroc. En 1997, le royaume ouvre une Ambassade auprès du Saint-Siège. En 2000, Mohamed VI se rend au Vatican où il rencontre le Pape Jean-Paul II et plus récemment, en août 2018, le Roi Mohamed VI a nommé Raja Naji Mekkaoui, Ambassadeur du Maroc au Vatican. La visite du Pape François est le point d'orgue du renforcement des relations entre le Maroc et le Vatican, qui tient en partie, à l'augmentation du nombre de catholiques dans le royaume depuis quelques années...

Le Maroc abritait près de 300 000 fidèles en 1956 et comptait près de 200 églises catholiques. Une communauté qui s'est réduite comme peau de chagrin avec le temps et qui ne représente plus à ce jour, que 30 000 à 35 000 pèlerins, 44 églises et 57 prêtres d'une quinzaine de nationalités, supervisés par les Evêques de Tanger et de Rabat. En effet, après le départ en masse des expatriés européens, la communauté catholique s'est évaporée, avant de connaître un nouveau souffle, grâce à l'arrivée de migrants, souvent jeunes, venus du sud du Sahara. Certains s'y installent pour étudier tandis que d'autres, bloqués par FRONTEX, patientent dans le royaume qui constitue l'un des principaux lieux de transit vers l'Europe.

L'éducation comme rempart à l'extrémisme était également l'un des fils conducteurs de cette rencontre. Le roi du Maroc a insisté sur la nécessité de renforcer le «dialogue entre les religions abrahamiques -qui- est manifestement insuffisant dans la réalité d'aujourd'hui (...) le dialogue inter-religieux doit faire sa mue».

«Pour faire face aux radicalismes, la réponse n'est ni militaire, ni budgétaire ; elle a un seul nom : Education» a-t-il précisé. Mettant en garde, la jeunesse «contre les phénomènes de radicalisation et d'entrée dans la violence», il a invité le Saint Père au sein de l'Institut de formation des Imams, précisant avoir répondu «favorablement aux demandes de plusieurs pays africains et européens» pour accueillir leurs jeunes en son seing. «Il est temps que la religion ne soit plus un alibi pour ces ignorants» a déclaré le Commandeur des croyants.

La question migratoire au centre des discussions

En 2013, le Roi du Maroc a initié une nouvelle politique migratoire et quelques 25 000 migrants avaient été régularisés en recevant une carte de séjour. L'essentiel arrivait d'Afrique subsaharienne et de Syrie. Il s'agissait notamment d'étrangers conjoints de ressortissants marocains et de leurs enfants, de ceux qui disposaient d'un contrat de travail et des migrants installés dans le royaume depuis au moins 5 ans.

En 2016, une nouvelle vague de régularisation, assortie du prolongement des cartes de séjour de 1 à 3 ans, fut instaurée. En chiffres, ce sont 25 437 personnes qui ont reçues leur carte de séjour dont 24% de Sénégalais, 18% d'Ivoiriens, 6% de Guinéens et 6% de Camerounais.

L'arrivée des jeunes migrants s'est accompagnée d'un renouveau pour l'église catholique au Maroc. Selon Bernard Coyault, le Directeur de l'Institut Al Mowafaqa, près de 90% des chrétiens du Maroc viennent actuellement d'Afrique subsaharienne.

Lieux de culte et de rencontres, les églises représentent souvent un relais social central pour les jeunes subsahariens fraîchement arrivés dans le royaume où ils retrouvent des associations d'entraide telle que Caritas... Par ailleurs, l'Eglise alloue 1.5M€ dans le cadre d'un programme pluriannuel nommé «Kantara» (Cf. «pont») pour venir en aide aux migrants au Maroc.

Soulignant l'importance du Pacte de Marrakech adopté en décembre 2018, le souverain pontife est revenu sur cet engagement commun «nécessaire pour ne pas accorder de nouveaux espaces aux « marchands de chair humaine » qui spécule sur les rêves et sur les besoins des migrants.»

«Le choix des gouvernements (européens) révèlent une attitude d'égoïsme» a déclaré quant à lui, Cristobal Lopez Romero, l'archevêque du diocèse de Rabat, condamnant les politiques migratoires établies de l'autre côté de la méditerranée. «Il ne s'agit pas seulement de migrants, mais c'est le Christ lui-même qui frappe à nos portes» a insisté le pape François.

Le Vatican et le Maroc reconnaissent «l'unicité et la sacralité de Jérusalem»

Dès son arrivée, le Pape François s'est penché sur la question de Jérusalem avec le roi Mohamed VI. De cet échange est sorti un appel commun concernant le statut de Jérusalem. «Nous pensons important de préserver la ville sainte de Jérusalem/ Al Qods Acharif comme patrimoine commun de l'humanité et, par-dessus tout pour les fidèles des trois religions monothéistes, comme lieu de rencontre et symbole de coexistence pacifique, où se cultivent le respect réciproque et le dialogue.» Le texte revient sur la nécessité de garantir «la pleine liberté d'accès aux fidèles des trois religions monothéistes et le droit de chacune d'y exercer son propre culte.»

Cet appel commun pour la paix, renvoie à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par le président Donald Trump, en décembre 2017, qui avait provoqué un véritable tollé dans le monde arabe.

Le Vatican et le royaume du Maroc s'accordent ainsi sur le fait que Jérusalem représente «un lieu de rencontre (...) symbole de coexistence pacifique, où se cultivent le respect réciproque et le dialogue».

Pour rappel, dès 2017, le souverain pontife avait partagé «sa profonde inquiétude» relative à la décision des Etats-Unis, lançant un «vibrant appel» «pour que tous s'engagent à respecter le statu quo de la ville, en conformité avec les résolutions pertinentes de l'ONU.»

Le déplacement du Pape François aura mobilisé les fidèles venus de tout le pays, à l'occasion de ce voyage-express. «J'ai pris le train ce matin depuis Kenitra et me voici à la cathédrale pour voir le Pape François. C'est une grande chance !» s'exclame Jean-Marie, étudiant ivoirien en géologie, basé au Maroc depuis un an. «Je suis prêt pour cet après-midi et j'ai  mon ticket pour la messe !» s'exclame-t-il, au sortir de la cathédrale. Il y a retrouvé plusieurs centaines de jeunes subsahariens pour entonner les chants religieux à tue-tête, dans une ambiance festive et chaleureuse...

C'est sous un soleil éclatant que le souverain pontife à quitter le Maroc en fin d'après-midi. Les catholiques africains se réjouissent d'ores et déjà du prochain voyage du Pape sur le continent. En effet, après des déplacements au Kenya, en Ouganda, en Centrafrique et au Maroc, le Saint-Père a annoncé mercredi dernier, qu'il se rendrait à Madagascar, à l'île Maurice et au Mozambique en septembre prochain.

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Commentaire 1
à écrit le 01/04/2019 à 20:29
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En général je me méfie de tout ce qui touche à la religion ! L’obscurantisme n’est pas toujours là où on pense ... !

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