Félix Tshisekedi aux Etats-Unis : les enjeux d’une première visite hors d'Afrique

Brazzaville au Congo, Luanda en Angola, Addis-Abeba en Ethiopie, Windhoek en Namibie, Kigali au Rwanda et même Entebbe en Ouganda, bientôt Dakar…et on ne compte plus ! Depuis son arrivée au pouvoir Félix Tshisekedi parcourt, d’un pas pressé, les capitales. Une activité diplomatique intense qui ne s’est limitée jusque-là que dans la sous-région ou sur le Continent. Pour sa première visite hors d'Afrique, le président congolais est attendu aux Etats-Unis, du 3 au 5 avril . Objectif principal, resserrer les liens diplomatiques, mais aussi économiques, commerciaux et même sécuritaires avec ce partenaire stratégique avec qui Joseph Kabila a été en déliquescence à la fin de son mandat. Retour sur les enjeux de cette visite au pays de l’Oncle Sam.
Ibrahima Bayo Jr.
(Crédits : Présidence RDC)

A la mi-mars, la visite de Tibor Nagy, le sous-secrétaire d'Etat américain aux Affaires africaines, en avait balisé le chemin. A Kinshasa comme dans les capitales occidentales où l'on guettait la première destination hors Afrique de Félix Tshisekedi, le Département d'Etat américain a confirmé la visite à Washington du président congolais du 3 au 5 avril. Une visite officielle au cours de laquelle le chef de l'Etat devrait loger dans la suite d'un palace cinq étoiles.

Pas de rencontre Trump-Tshisekedi

Dans l'attente de la formation de son gouvernement, Félix Tshisekedi a choisi de prendre dans sa délégation, outre ses proches collaborateurs du cabinet, des hommes d'affaires du réseau Makutano qu'il a rencontré en marge de l'Africa CEO Forum fin mars, mais aussi des entrepreneurs locaux mais de la diaspora congolaise aux Etats-Unis. «La liste n'est pas encore définitivement finalisée», confie un membre de l'équipe de communication joint au téléphone par La Tribune Afrique.

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«Au cours de sa visite, le président Tshisekedi rencontrera le secrétaire d'Etat [Mike] Pompeo, ainsi que d'autres responsables de haut niveau du Cabinet afin de discuter de la coopération entre les États-Unis et la République démocratique du Congo dans divers domaines, notamment les efforts déployés pour contenir l'épidémie d'Ebola»,détaille Robert Palladino, le porte-parole du Département d'Etat lors de son briefing du 26 mars.

Dans l'agenda de la visite, aucune mention d'une rencontre entre Donald Trump et Félix Tshisekedi sur laquelle le Département d'Etat et la diplomatie congolaise entretiennent volontairement le flou«S'Il n'est pas reçu par Trump, je pense que c'est dû au fait que, bien que le reconnaissant comme président de la RDC, les Américains n'ont pas oublié qu'il n'est pas le véritable vainqueur des élections du 30 décembre. S'il réussit à se débarrasser de Kabila, pour les Etats-Unis, il aura réussi et je pense qu'à ce moment-là, il sera reçu par Trump», explique Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l'Université de Liège en Belgique.

La carte américaine pour réduire l'influence de Joseph Kabila

Même s'il a passé le relais lors d'une transition pacifique mais contestée, Joseph Kabila garde une influence considérable sur la vie politique avec une majorité confortable dans les deux chambres du parlement. Dans l'espoir de son retour au pouvoir, le président sortant conserve une présence économique non négligeable qui réduit la marge de manœuvre de son successeur.

«Je pense que la volonté des Etats-Unis est d'appuyer Félix Tshisekedi dans sa tentative de se démarquer de l'ancien président Kabila. Pour les Etats-Unis, la réussite de Félix est en grande partie conditionnée à la mise à l'écart des partisans de Kabila. Leur priorité semble être l'écartement de Kabila», souligne Bob Kabamba.

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Cette visite en terre américaine revêt donc un cachet plus symbolique pour le successeur de Joseph Kabila. En droite ligne de l'Union africaine (UA) et de la communauté internationale, les Etats-Unis avaient un peu traîné des pieds à reconnaître la victoire contestée de Félix Tshisekedi. Passée sa méfiance hésitante, Washington avait fini par opter pour la realpolitik, matérialisée par une posture de collaboration et de resserrement des liens diplomatiques et économiques avec Kinshasa.

«La sagesse des Etats-Unis serait d'envisager de continuer à exhorter d'autres acteurs de la scène politique congolaise à la pacification et à la consolidation de notre jeune démocratie pour un développement durable», plaide pour sa part Idian Omari, membre du bureau politique du PPRD de Joseph Kabila dont il souligne l'alliance scellée dans un programme gouvernemental commun comme une alternative.

Derrière la rencontre Trump-Tshisekedi, les vrais enjeux?

Et pourtant, la portée de cette visite aux Etats-Unis ne se mesure pas seulement au symbolisme d'une poignée de main entre le 45e président des Etats-Unis et le 1er président de transition du pays le plus riche en ressources naturelles d'Afrique. Derrière l'idée de cette rencontre Trump-Tshisekedi, hypothétique jusqu'à preuve du contraire, se cache peut-être les enjeux d'une visite pendant laquelle tous les actes du président congolais seront scrutés à la loupe.

A la manœuvre, la représentation diplomatique américaine à Kinshasa a tenté de combler une lacune dans la communication sur les enjeux de ce déplacement du président congolais en terre américaine. «La visite du président Tshisekedi offrira l'occasion d'examiner plus en détail notre intérêt commun à lutter contre la corruption, à respecter les droits de l'homme, à améliorer les services de santé et d'éducation pour le peuple congolais, à améliorer la sécurité et à créer plus d'emplois pour les Congolais en attirant plus d'investissements américains» complète  dans un communiqué, Mike Hammer, l'ambassadeur américain à Kinshasa. Un langage diplomatique qui ne soulève qu'un coin du voile.

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Le durcissement dans la réglementation imposé par le régime sortant ne décourage pas les Américains de lorgner le très stratégique secteur des mines qui suscite déjà la convoitise d'autres puissances notamment la Chine, première concurrente des Etats-Unis. «Pour Felix Tshisekedi, il est important d'avoir une reconnaissance internationale de son pouvoir, mais aussi une aide économique pour réussir les réformes indispensables pour améliorer l'existence de la population congolaise. Pour les Etats-Unis, il y a encore des intérêts qui doivent être défendus notamment dans le secteur minier -cobalt, minerai stratégique dans les décennies à venir, résume Bob Kabamba.

Pour sa part, Idian Omari, analyste stratégique et porte-parole du FCC de Joseph Kabila pousse la réflexion plus loin. «L'intérêt américain est plus stratégique. Il s'agira de l'opportunité que va offrir le président Félix Tshisekedi de pouvoir explorer et exploiter nos minerais par des firmes américaines dans notre pays, la question des minerais comme le cobalt, le coltan, l'or, qui pourrait être longuement traitée au cours de son séjourJ'imagine cela comme un enjeu majeur de cette visite du président Félix Tshisekedi, surtout depuis la découverte de la sengierite dans les mines de Luiswishi dans la province au Haut Katanga. Ce minerai serait plus radioactif que l'uranium et suscite actuellement la curiosité des plusieurs pays à travers le monde», conclu-t-il.

Ibrahima Bayo Jr.

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Commentaire 1
à écrit le 19/04/2019 à 17:29
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