
L'effet de surprise et les moments d'indignation passés, les 84 millions d'électeurs nigérians appelés aux urnes pour le tripe scrutin présidentiel, législatif et sénatorial, devront se résoudre à attendre encore une semaine de plus avant d'accomplir leur devoir civique. Le scrutin initialement prévu le samedi 16 février a été finalement et à la dernière minute, moins de 5H00 après l'ouverture des bureaux, reporté au samedi 24 février. Un report que la commission électorale nationale indépendante (INEC) a justifié par des problèmes de logistiques. « A la suite d'un passage en revue de tous les problèmes logistiques et notre plan opérationnel pour organiser des élections libres, transparentes et crédibles, la Commission en est arrivée à la conclusion qu'organiser ces élections dans les temps indiqués n'était plus possible », a expliqué le président de l'INEC, Mahmood Yakubu, qui a rencontré dans la journée du samedi, l'ensemble des acteurs engagés dans le processus pour tenter de justifier la décision de la Commission.
Les explications de l'INEC sont pourtant loin d'avoir convaincu grand monde et surtout ont amplifié les inquiétudes sur sa capacité à garantir un processus électoral régulier et transparent. Le président sortant, Muhammadu Buhari, candidat du Congrès des Progressistes (APC) au pouvoir, a été l'un des premiers à manifester sa «profonde déception» pour ce report. «Malgré la longue période de préparation qui lui était donnée, l'INEC a reporté les élections présidentielles et législatives, quelques heures avant son commencement», a constaté le chef de l'Etat qui était déjà arrivé depuis vendredi à Daura, son village natal, où il devrait accomplir son vote. «J'appelle tous les Nigérians à se contrôler et à rester calmes, patriotes, et unis pour empêcher tout complot ou tentative de mettre en péril notre démocratie», a déclaré Buhari qui a regagné la capitale fédérale Abuja, dans la journée du samedi 16 février pour reprendre ses activités présidentielles.
Accusations mutuelles et inquiétudes
Du côté de l'opposition, c'est également le tollé général. L'ancien vice-président Atiku Abubakar, candidat du Parti populaire démocratique (PDP) a implicitement accusé le pouvoir d'avoir orchestré ce report. «Ne réagissez pas à cette provocation avec colère, de la violence ou toute autre réaction qui pourrait bénéficier à ceux qui ne souhaitent pas voir les élections se dérouler comme prévu !», a lancé le candidat de l'opposition et principal challenge de Buhari, à qui d'ailleurs il a lancé un défi. «Vous pouvez retarder une élection, mais vous ne pouvez pas retarder le destin», a déclaré Atiku Abubakar.
Des accusations que rejette en bloc le pouvoir qui rappelle qu'en 2011 et en 2015 lorsque le PDP était au pouvoir, les élections ont également été reportées de plusieurs semaines pour des raisons de sécurité. Les deux camps s'accusent donc mutuellement d'être responsables de cette situation que l'INEC a pourtant tenu à assumer, ce qui n'est pas sans provoquer des inquiétudes sur l'issue du scrutin. Dans un communiqué, Situation Room, une organisation qui regroupent plus de 70 groupes de la société civile, a déclaré que le report avait porté atteinte à la crédibilité de la commission électorale, en créant « une tension et une confusion inutiles ».
Alors que le scrutin se déroule dans un contexte des plus tendus avec plusieurs morts déjà enregistrés durant la campagne électorale, le temps est aux incertitudes sur les risques d'une crise post-électorale qui risque de plomber les perspectives de croissance de la première économie du continent qui sort tout juste de la récession. «Peu importe qui gagne, il est maintenant beaucoup plus probable que le perdant contestera le résultat et soutiendra que l'élection a été compromise parce que des matériaux sensibles sont disponibles», a par exemple déclaré à Reuters, Bismarck Rewane, économiste et PDG du cabinet de conseil Finance Derivatives, basé à Lagos.
Afin de calmer les esprits, les missions d'observation de l'Union européenne (UE), de l'Union africaine (UA), de la CEDEAO et d'autres organisations ont exhorté les Nigérians «à rester calmes et à soutenir le processus électoral». Au sein de l'opinion, on s'indigne du fait que la première puissance économique du continent ne soit capable d'organiser un scrutin aussi décisif en raison d'insuffisances logistiques. Pour l'heure, le report ne fait que profiter à la secte Boko Haram qui a intensifié ses attaques terroristes dans le nord-est du pays et au Niger voisin, afin d'empêcher la tenue du scrutin dans les zones où elle est active.
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