Madagascar  : dernière ligne droite avant les présidentielles

Dans quelques jours, les électeurs devront choisir leur prochain chef d'Etat parmi les 36 candidats en lice. Certains d'entre eux s'imposent comme les grands favoris du scrutin du 7 novembre. Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana, tous deux anciens présidents, sont au coude à coude, face à un président sortant qui accuse un certain retard. Entre risque de fraude et d'abstention massive, l'issue du scrutin demeure aléatoire...
(Crédits : DR)

Tananarive a comme des airs de fête depuis quelques jours. Les véhicules aux couleurs des principaux candidats animent les artères de la ville, à l'heure des derniers grands meetings du premier tour. Les tee-shirts et les affiches sont distribués sans compter aux enfants qui se pressent derrière les caravanes électorales, faisant presque oublier un moment, l'état d'extrême pauvreté dans lequel sont plongés les habitants du 5ème pays le plus pauvre du monde selon le FMI. Tous les candidats ne sont d'ailleurs pas logés à la même enseigne et Cristian Preda, Chef des Observateurs de la Mission d'Observation Electorale Madagascar 2018 prévient que l'inégalité des moyens engagés ne doit pas peser sur les résultats définitifs du scrutin, à l'occasion d'une conférence de presse qui s'est tenue le 2 novembre dernier.

Parmi les supporters d'un jour: combien d'entre eux se mobiliseront le 7 novembre prochain ? En effet, malgré l'importance de l'échéance présidentielle, l'abstention est estimée à plus d'un électeur sur deux, reflet de la désillusion populaire liée à la corruption qui gangrène la classe politique depuis des décennies, dans un pays où le PIB par habitant ne dépasse pas 424$ par an. « Je n'irai pas voter le 7 novembre. Je n'attends rien des hommes politiques qui sont tous corrompus. Chacun cherche son propre profit » explique désabusé Etienne, la trentaine, père de deux enfants et chauffeur de taxi à Tananarive.

Parmi les dossiers validés par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC), 3 anciens présidents se présentent à la magistrature suprême, dont l'ancien Chef d'Etat aujourd'hui âgé de 82 ans, Didier Ratsiraka dit « l'Amiral rouge » qui ne nourrit guère d'illusions sur ses chances de victoire mais qui souhaiterait néanmoins peser lors des débats de l'entre-deux tours.

Parallèlement, parmi les personnalités que devront choisir les quelques 9.903.913 électeurs malgaches répertoriés par la Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI), plusieurs ministres pourraient jouer, le cas échéant, un rôle décisif dans le report des voix.

Outre « les têtes d'affiche » politiques, des candidatures hétéroclites viennent animer le débat politique, comme celles du très populaire chanteur Dama du groupe Mahaleo, ou encore celle de Dieu Donné Maihlol, le pasteur qui espère que la prophétie de 2013 d'accéder au pouvoir, se réalisera dès la semaine prochaine...

Cependant, à moins d'une semaine du premier tour, force est de constater que le président sortant devra surtout faire face à la concurrence des très populaires Andry Rajoelina (MAPAR) et Marc Ravalomanana (TIM) qui bénéficient tous deux de soutien politiques, financiers et médiatiques considérables.

Difficile fin de règne pour le président « Héry »

Hery Rajaonarimampianina, l'ancien locataire du Palais d'Iavoloha explique qu'un mandat ne suffit pas pour répondre aux défis de la pauvreté, rejoignant l'avis de ses partisans qui prônent une certaine continuité politique, pour assurer un développement national pérenne.

Pourtant, le pari d'une réélection semble difficile à tenir pour le président « Hery », dont le bilan est teinté de scandales liés à la corruption.

L'ancien Ministre des Finances d'Andry Rajoelina, expert-comptable de formation, considéré comme un homme précis et rigoureux accuserait un sérieux retard. Selon le dernier sondage réalisé le 26 septembre par la fondation allemande Friedrich-Ebert, il serait en troisième position derrière Rajoelina (25%) et Ravalomanana (17%) avec seulement 4% des intentions de vote. Toutefois, il reste difficile d'évaluer l'évolution des tendances électorales car plus aucune statistique ne filtre depuis septembre, les autorités ayant interdit la publication des sondages d'opinion pour sauvegarder « l'ordre public et la Sécurité de l'Etat »...

Elu démocratiquement en 2013 (NDR : une situation inédite depuis l'indépendance), il laisse un bilan qui fait aujourd'hui l'objet de vives critiques de la part de ses opposants. En effet, en dépit du retour de Madagascar sur la scène internationale, les coupures d'eau et d'électricité, la situation sanitaire alarmante, la dévaluation de la monnaie qui continue de se déprécier sur le marché des devises interbancaires (NDR : passant de 2.892 MGA pour 1€ à 3.937 MGA pour 1€ en 5 ans), l'augmentation de l'insécurité (multiplication des kidnappings affectant notamment la puissante communauté karane), sont autant d'écueils reprochés au chef du HVM, qui peine à convaincre, bien qu'il parvienne encore à remplir le stade du Coliseum de Tananarive comme en témoigne son dernier meeting, dimanche 4 novembre.

Marc Ravalomanana, sera-t-il le « candidat du peuple » ?

Exilé en Afrique du Sud à la suite du coup d'Etat du 17 mars 2009, l'homme d'affaires a réussi un retour en force depuis quelques mois, sur la scène politique malgache.

A la tête de la puissance compagnie agro-industrielle Tiko S.A, Marc Ravalomanana avait initié un nouveau mode de gouvernance, multipliant le recours aux expertises internationales entre 2002 et 2009. « Dada » Ravalomanana (NDR : « papa » » en malagasy) avait engagé un certain nombre de mesures structurelles pour relancer l'économie, réduire le taux de pauvreté ou pour réformer l'éducation primaire. Il se présente comme le candidat du « peuple ». Les électeurs malgaches n'ont pas oublié le parcours atypique de l'autodidacte, ancien vendeur de lait ambulant devenu multimillionnaire : symbole du self-made man malagasy.

« C'était un bon président, il a engagé beaucoup de réformes sociales, notamment dans l'éducation (...) Il a créé des emplois et grâce à lui, mon père a trouvé du travail. Il est policier maintenant » déclare tout sourire Fandresena, 14 ans, venu assister au meeting de « son candidat » au stade de Mahamasina, le 3 novembre dernier sous un ciel de traîne, arborant fièrement le numéro 25 de Ravalomana.

« Je vis à Paris mais j'ai tout quitté pour venir le soutenir le temps de la campagne: mon travail, mon mari : tout ! C'est important pour moi d'être ici, c'est le seul qui pourra nous permettre de relever la tête : au moins ça ! Vous savez, je connais plusieurs candidats personnellement et je n'en vois aucun autre capable de nous sortir de cette situation catastrophique» explique Nina 58 ans, tout de blanc vêtue, installée depuis plus de 20 ans à Paris.

Ce jour-là, l'homme harangue une foule en liesse de plus de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Une femme s'évanouie, évacuée par les services de sécurité en toute hâte. De nouveau, Marc Ravalomanana, décline son projet politique, insistant sur la dimension sociale de son programme et présentant, sous un tonnerre d'applaudissement, ordinateur et uniforme, qu'il promet d'offrir aux écoliers malgaches en cas de victoire. La sécurité ? Le problème est selon lui, à imputer à la prolifération des armes qui ont suivi le coup d'Etat de 2009, une attaque à peine voilée en direction de son principal concurrent, Andry Rajoelina.

Ravalomanana pourra notamment s'appuyer sur une partie de la classe populaire et des habitants de la capitale, dont son épouse, Lalao Ravalomanana, est devenue la première femme maire en 2015.

« Andry TGV » : le grand favori transformera-t-il l'essai ?

Andy Rajoelina, surnommé « Andy TGV » en raison de son ascension fulgurante (NDR : élu maire de Tananarive en 2007 à 33 ans, devenu Président de la Haute autorité de Transition à 35 ans en 2009), affiche un dynamisme à toute épreuve. Il a su séduire une partie de la jeunesse malgache qui porte fièrement la couleur « orange » du candidat, sur des 4X4 qui sillonnent Tananarive au son des musiques composées en son honneur. Chants, danses et artifices ponctuent les meetings à « l'américaine » du candidat: effet garanti ! La couleur orange domine cette campagne et s'affiche aux quatre coins de la capitale.

Appuyé par une équipe jeune et engagée, il peut également compter sur l'appui de Mialy, son épouse issue de l'influente famille Razakandisa, qui n'hésite pas à prendre publiquement la parole et qui s'est particulièrement investie dans le développement de l'éthanol comme substitut au charbon. Une ressource consommée par plus de 70% des ménages, qui culmine à 18 millions de m3 par an, selon les autorités malgaches, et qui provoque pollution et déforestation massive.

Mialy et Andry, c'est un peu les Jackie et John Kennedy malgaches, qui renvoient un modèle de réussite fulgurante, pour une partie de la jeunesse malgache en mal de projets d'avenir...

Rajoelina promet de redresser l'économie de Madagascar, en s'attelant à l'autosuffisance alimentaire, au développement des énergies et des infrastructures (création d'une ville nouvelle, développement touristique), à la valorisation des ressources naturelles (en triplant les taxes) et à la sécurité, en particulier.

Peu préparé à l'exercice du pouvoir en 2009, il dit avoir « changé » et s'être mieux « entouré ». Court-circuité par son ancien ministre des Finances, il règle ses comptes avec « Hery » et Ravalomanana dans une biographie publiée en septembre dernier (NDR : Par amour de la patrie »)...

Depuis plusieurs mois, il multiplie les initiatives pour redorer son blason en multipliant les déplacements internationaux, grâce à son Initiative pour l'Emergence de Madagascar (IEM) lancée à Paris en janvier dernier au Petit Palais.

« Andry-TGV » devra faire face à Marc Ravalomanana qui n'a pas oublié celui qu'il l'a succédé à la suite du coup d'Etat militaire de 2009. Le candidat affiche une attitude confiante, pariant sur une victoire dès le 1er tour, fruit d'une campagne de proximité haletante aux quatre coins de l'île. « Andry », le favori deviendrait en cas de victoire le 19 décembre prochain, le plus jeune président du continent, jamais élu à ce jour à l'âge de 44 ans...

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