RDC : Joseph Kabila signe la fin du «glissement» et désigne Ramazani Shadary comme dauphin

Sans congrès électif au PPRD, avec des candidatures unilatérales de membres de sa majorité, l’introduction au Parlement d’une loi sur les anciens présidents, les signaux étaient peut-être clairs. Mais avec la dextérité politique de Joseph Kabila à «glisser» malgré l’expiration de ses deux mandats, le doute avait envahi les Congolais. Le suspense est désormais levé : après plus de 16 ans au pouvoir, Joseph Kabila va passer le témoin présidentiel à celui qui sera élu à la présidentielle du 23 décembre 2018. Ce sera la première alternance politique pacifique depuis l’indépendance de la RDC. Pour le compte de la majorité présidentielle, le dauphin désigné est Emmanuel Ramazani Shadary qui sera le porte-étendard. Un choix qui charrie plusieurs conséquences. Analyse.
Ibrahima Bayo Jr.
(Crédits : DR)

L'insupportable attente a laissé place à une fumée blanche sortie de la cheminée de la ferme de Kingakati. Joseph Kabila ne sera pas candidat à un troisième mandat comme le redoutaient les Congolais, la communauté internationale et les analystes à l'affût de toute information provenant de ce domaine privé, situé à 15 km de Kinshasa.

Qui est Shadary, le dauphin désigné de Joseph Kabila ?

Lors d'une conférence de presse ce mercredi 8 août 2018, en début d'après-midi à Kinshasa, Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement a confirmé que «l'oiseau rare» que Joseph Kabila cherchait depuis deux semaines dans les onze critères qu'il avait établis pour ses consultations, est Emmanuel Ramazani Shadary. Héritage de Joseph Kabila en bandoulière, ce sera donc le Secrétaire permanent du PPRD (au pouvoir) qui portera les couleurs du Front commun pour le Congo (FCC), la large coalition dont Joseph Kabila est «l'autorité morale»

Né à Kabamabaré dans la province du Maniema, cinq mois après l'indépendance de cette ancienne colonie belge, ce diplômé de sciences politiques âgé de 54 ans est donc celui qui vient d'être coopté sur la short-list de Joseph Kabila où, jusqu'à la dernière minute, il côtoyait l'ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo ou encore le président de l'Assemblée nationale, Aubin Minaku.

Dans son fief, il a été élu député en 2006 et 2011, avant de devenir président du Groupe parlementaire du PPRD (au pouvoir), puis coordonnateur de la majorité présidentielle, ce père de huit enfants a été vice-Premier ministre congolais, ministre de l'Intérieur et de la sécurité entre 2016 et 2018. Mais la carrière de Emmanuel Ramazani Shadary n'est pas si lisse.

Aux côtés Evariste Boshab, son prédécesseur au poste de ministre de l'Intérieur, le dauphin de Kabila figure sur la liste des personnalités sanctionnées par l'Union européenne en avril 2017. En tant que responsable de la police, des services de sécurité et des gouverneurs des provinces, les deux hommes sont pointés du doigt pour les répressions des marches de protestation ou l'intimidation d'opposants politiques. Qu'à cela ne tienne, la surprise du chef  c'est lui.

Non-candidature de Kabila, l'onde de choc en RDC et en Afrique centrale

Prenant même son entourage de court, c'est donc le respect de la Constitution congolaise, dont il avait fait sa profession de foi dans ses discours, que Joseph Kabila a choisi. Passé le suspense de la désignation du dauphin, l'onde de choc d'une non-candidature de Joseph Kabila devrait secouer le pays et même l'Afrique centrale. Certains observateurs avaient laissé entendre que les consultations de Kingakati n'étaient en fait qu'un «test de fidélité et loyauté» lui permettant de jauger les appétences au sein de sa famille politique et de pouvoir faire le «nettoyage» interne.

Il faudra observer dans les prochains jours, si des déçus de la désignation Ramazani Shadary ne vont pas tenter la cavalerie seule pour se porter candidats. Avant même que le nom de Shadary ne sorte du chapeau, des candidatures issues de la majorité présidentielle se sont signalées dans les bureaux de la CENI. Le début d'une guerre intestine ? Rien n'est à écarter, même si «l'autorité morale» de Joseph Kabila devrait arbitrer les différends, selon le scénario actuel.

Le grand perdant de ce suspense intenable est l'opposant Moïse Katumbi. Sauf si la CENI prolonge les dépôts de candidatures de 48h et que les obstacles s'éclipsent par enchantement, l'ancien gouverneur du Katanga ne sera pas sur la ligne de départ pour la présidentielle 2018, englué dans des soupçons de double nationalité et des ennuis judiciaires qui l'ont empêché de faire parvenir son dossier. Sa chance d'entrer au Palais de la Nation vient de voler en éclats.

D'un autre côté, la renonciation de Joseph Kabila à la tentation du troisième mandat envoie des signaux qui risquent de mettre en difficulté ses pairs qui règnent depuis des décennies dans des palais d'Afrique centrale. Le message subliminal de l'alternance, au moment où Paul Biya s'achemine vers une septième candidature à un septennat, n'a pas dû être du goût du locataire d'Etoudi. Le constat pourrait être le même pour Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, actuel détenteur du record de longévité au pouvoir en Afrique, résolu à se départir de ses difficultés via un dialogue avec son opposition méfiante. Dans des contrées hors Afrique centrale, les présidents tentés par un troisième mandat pourraient se voir opposer désormais l'exemple Kabila.

«Chaque pays a ses logiques et les alternances politiques encore plus. Au Cameroun, au Tchad comme au Congo Brazzaville, les actuels présidents agiront avec leur propre logiciel, soit en tripatouillant les Constitutions ou en manipulant les élections. Cela ne va pas modifier la donne et restera une expérience kabilo-centrée», nuance pourtant Régis Hounkpè, directeur exécutif du cabinet InterGlobe Conseils

L'avenir de Kabila en question

Pourtant une autre question qui doit traverser l'esprit de tous les Congolais : que va devenir Joseph Kabila ? Le président congolais pourrait retourner à la gestion de son considérable patrimoine économique et financier, bâti sur l'héritage de son père, Laurent Désiré Kabila. Avec en prime le parachute antiatomique contre les poursuites qu'on lui promet même devant la CPI et la retraite dorée que lui prépare une loi sur les anciens présidents, Joseph Kabila pourrait retourner à l'agriculture et l'élevage. C'est peut-être mal connaître ce taiseux.

Cette désignation du dauphin c'est, «pour Joseph Kabila, se ménager à bon compte une sortie honorable, tout en préservant des acquis et une possibilité de revenir sous une forme plus astucieuse. Je ne serai pas étonné qu'il a avisé certains de ses pairs avant de prendre cette position qui pourrait s'avérer être un tour de passe-passe poutinien», analyse un fin connaisseur de la RDC. Face aux pressions internationales et internes, Joseph Kabila semble donc avoir cédé à «ce que réclame le peuple». A moins que le jeu de chaises musicales ne soit son joker pour conserver le pouvoir. Même dans l'ombre du Palais.

Ibrahima Bayo Jr.

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