Tunisie : coup de frein à l'Instance Vérité et Dignité

Les débats longs et houleux se sont en réalité nourris des inimitiés politiques et des sensibilités personnelles. La catharsis nationale des douleurs pendant les années noires risque d’être stoppée nette par ce vote des parlementaires qui met un terme au mandat de quatre ans de l’Instance Vérité et Dignité (IVD). Au-delà, c’est tout le processus de justice transitionnelle qui prend un sérieux coup de frein.
Ibrahima Bayo Jr.

Symbole de l'ambiance électrique de ces débats de deux jours entamés samedi 24 mars, les députés d'Ennahda (islamo-conservateurs) et du Courant démocratique ont préféré claquer la porte de l'Hémicycle que de participer au vote. Une politique de la «chaise vide» qui a conduit à un verdict qui ne souffre d'aucune équivoque.

«Passage en force» !

Avec deux abstentions, les parlementaires ont voté ce lundi tard dans la soirée, à 65 voix contre et zéro voix pour, la question du prolongement du mandat de l'Instance Vérité et Dignité (IVD), soumise à leur approbation, comme rappelé la matinée du vote par le Tribunal administratif.

En fonction depuis 2014 et destinée à identifier, faire témoigner et indemniser les victimes des années noires des régimes Bourguiba et Ben Ali, l'IVD avait un mandat qui devait expirer en 2018. Mais le Conseil de cette instance présidée par Sihem Ben Sedrine avait décidé de le prolonger d'un an pour se donner le temps de finaliser ses travaux et rendre un bilan. Affront ultime pour certains députés, sans recueillir l'aval de l'Assemblée nationale !

Face à la contestation, Mohamed Ennaceur, président de l'Assemblée, a décidé de mettre la question aux voix. La séance qui s'est ouverte ce samedi en présence de la présidente de l'IVD, venue convaincre les derniers réticents avant de quitter la salle, s'est soldée en foire d'empoignes. Dans une ambiance acrimonieuse marquée par des invectives, certains députés en sont même venus aux mains. Les débats houleux se sont prolongés jusqu'à ce lundi 26 mars au soir avant de donner un vote contesté pour absence de quorum (au moins 73 députés). Un «passage en force», dénonce Sihem Ben Sedrine après le vote !

Sihem Ben Sedrine, seule contre tous ?

Toutefois, ce vote électrique est symptomatique des velléités qui escortent cette instance depuis sa création par la loi organique de 2013. Au sein de Nidaa Tounes (au pouvoir) qui a raboté les prérogatives de l'IVD en votant une loi d'amnistie controversée, on ne s'est pas montré enthousiaste pour charrier le remugle du passé. Des hommes d'affaires proches de l'ancien régime, mais aussi d'anciens haut-fonctionnaires dont le président Béji Caïd Essebsi (ancien ministre de l'Intérieur) pourraient être pointés du doigt par les témoignages parfois publics des victimes.

Une explication peut-être fournie. Le vote de ce lundi soir pourrait être une «vengeance soft» contre Sihem Ben Sedrine dont la gestion à la tête de l'IVD. A la tête de l'instance, cette ancienne journaliste pourrait avoir accumulé assez d'ennemis qui n'ont cessé de dénoncer sa gestion autoritaire et son manque de sens du consensus. Six des quinze commissaires ont claqué la porte de l'IVD en protestation contre son pilotage des dossiers. Nidaa Tounes faisait savoir ouvertement avant le vote que si Sihem Ben Sedrine devait rester à la tête de l'IVD, il voterait pour la fin de son mandat.

Pour autant, ce sont la justice transitionnelle et le solde de tout compte de ces blessures du passé qui en prennent un sérieux coup de frein. Sans mandat, l'IVD ne devrait plus bénéficier de subventions de l'Etat pour poursuivre son travail de témoignes et d'enquête. La prolongation de sept mois que réclamait l'IVD a donc été sacrifiée sur l'autel des inimitiés politiques et des intérêts partisans. Dans les couloirs de l'IVD, il se murmure que le Conseil aurait décidé de passer outre l'injonction parlementaire et de continuer son travail de vérité. Avec ou sans l'Etat !

Ibrahima Bayo Jr.

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